« Museum : Killing in the Rain » T1 par Ryôsuke Tomoe

Pour son nouveau thriller, Pika fait les choses en grand en sortant deux éditions différentes de « Museum » : une normale en trois parties et une version plus grande en deux parties. Il est indéniable que le polar de Ryôsuke Tomoe le mérite bien. L’aventure y est intense et les réflexions bouillonnantes. Qui se cache derrière ces meurtres et surtout pourquoi choisir ces personnes, dont le passage de vie à trépas dans des mises en scène macabres et intrigantes ne semble que le fait du hasard ?

Lorsqu’il rêve, le lieutenant de police Hisashi Sawamura se repasse toujours la même image : celle du départ de sa femme, emportant son fils et lui reprochant de ne penser qu’à son travail et donc de négliger sa famille. Il n’a pourtant pas le temps de s’appesantir sur son sort, un meurtre sordide vient d’être découvert. Une jeune femme a été enchaînée et livrée en pâture à une meute de chiens affamés. Étrange mise à mort qui demande beaucoup de préparation et un esprit forcément dérangé pour mener cette exécution à son terme. Le tout accompagné d’un message sibyllin régurgité par un des chiens : la sanction de la pâtée pour chiens.

De son côté, Yuichi Tsutsumi est un déchet de la société vivant aux crochets de sa mère. À 28 ans, il passe ses journées à jouer aux jeux vidéo ou à se soulager devant des animés scabreux. Méprisant envers les autres, il est surpris le jour ou un rôdeur rentre chez lui. Affublé d’un masque de grenouille, cet assassin va lentement découper le jeune homme, afin de lui faire payer sa venue au monde. Quel est le rapport entre ces deux meurtres ? Peut-être la mise en scène sordide, ou simplement l’autre message déposé à ses cotés : la sanction pour comprendre la souffrance de sa mère.

Ryôsuke Tomoe signe ici un vrai polar morbide dont la construction scénaristique est à la hauteur des plus grands maîtres du genre. L’auteur distille les informations au compte-gouttes, ce qui est logique, mais ne fait pas languir plus qu’il ne doit le lecteur. Dès le second chapitre, on rentre dans le vif du sujet. La tête du tueur est connue, du moins, le masque de grenouille qu’il arbore. Si le premier meurtre n’a pas bénéficié d’une débauche graphique, le second s’appesantit sur les hurlements de sa victime lorsqu’il est question de lui couper une oreille, puis deux, le tout avec une mise en scène artistique répugnante. Attention, contrairement à un roman, ce manga a une force visuelle indéniable qui ajoute à la cruauté des actes commis sans tomber dans le gore vulgaire. Le dessinateur n’insiste pas lourdement et inutilement sur les actes que le tueur réalise, il ne montre souvent que le résultat, ce qui laisse vraiment l’imagination vagabonder dans cette ellipse temporelle blanche entre deux cases spécifiques à la BD. Ce non-dit a ainsi encore plus de force que dans un roman où tout cela aurait été décrit. Le lecteur ressent forcément la douleur entre l’avant et l’après. C’est cette douleur que le policier arrive à canaliser sans être pris de nausées contre-productives. Pourtant, quand sa famille va entrer en jeu, il va devenir incontrôlable et rapidement abandonner ses grands principes. C’est là que la tension va monter crescendo.

Visuellement, ce manga est un chef d’œuvre : le trait, réaliste, montre bien l’émotion des personnages. L’atmosphère est évidemment pesante, tout comme le temps, lourd, à cause de la pluie incessante qui sert principalement à l’assassin : en lui masquant ses forfaits. Une pluie qu’adorent les batraciens : voilà peut-être la signification de ce masque de grenouille. Les décors, très présents, ce qui est rare dans les mangas, sont également très détaillés et renforcent le côté sérieux de l’enquête. Le suspens est à son comble et l’effroi monte au fur et à mesure des révélations distillées au compte-gouttes. C’est rondement mené et le lecteur n’a qu’une hâte : arriver à la fin et ainsi découvrir l’épilogue de ce massacre artistique.

Pika a d’ailleurs bien compris que ce manga avait un bon potentiel et que le lecteur pouvait vite devenir accroc. Du coup, il existe deux éditions, tout comme au Japon. La première de 240 pages a vu son premier tome sortir le 12 avril 2017. La série sera complète en trois tomes à 8,05 € unité. La seconde édition est plus luxueuse, car plus grande. Alors que l’édition classique mesure 13 x 18 cm, l’édition prestige en deux tomes fait 17 x 24 cm et comporte 336 pages. Soit, un volume et demi comportant en plus, à chaque fois, un chapitre spécial contant la genèse de l’assassin. Cette édition augmentée est pour sa part sortie le 17 mai 2017 et il va falloir patienter jusqu’en octobre pour le second opus prestige, alors que la série classique verra son numéro deux publié en juillet et le final en octobre.

Avec ce polar digne des meilleurs films noirs, Ryôsuke Tomoe rentre par la grande porte dans la catégorie des auteurs qui compte. L’édition prestige a été éditée en réponse au succès de l’adaptation cinématographique de novembre 2016 par Keishi Ôtomo.


Les amateurs de polar sont toujours friands des héros qui tombent en disgrâce petit à petit. Ici, c’est le lieutenant Hisashi Sawamura qui s’embourbe dans les divagations de ce serial killer à tête de grenouille. La partie de cache-cache qui s’engagent n’est pas forcément gagnée d’avance. Plus l’histoire se dévoile, plus le lecteur est pris aux tripes. Si l’histoire commence nonchalamment, elle prend l’allure d’une course effanée au fil des pages.

Gwenaël JACQUET

« Museum : Killing in the Rain » T1 par Ryôsuke Tomoe
Éditions Pika Graphic (16 €) – ISBN : 9782811634872

MUSEUM © Ryosuke TOMOE / Kodansha Ltd.

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