Avec « Le Tombeau des chasseurs », le talentueux Victor Lepointe évoque la tragédie collective d’une bataille vosgienne en 1915 et, plus encore — par le regard de l’un d’eux, Victor Granet —, scrute l’intimité des sentiments de ces chasseurs alpins sacrifiés. Plongée dans la si mal nommée Der des ders…
Lire la suite...« Le Photographe de Mauthausen » par Pedro Colombo et Salva Rubio
Républicain Espagnol, Francisco Boix est déporté à Mathausen en janvier 1941. Ce photographe de métier va trouver la force de dérober les clichés pris par les SS, afin de témoigner de l’enfer concentrationnaire. Plus de 2 000 clichés serviront ainsi de pièce à conviction contre le régime nazi, lors des procès de Nuremberg et de Mauthausen-Gusen en 1946 et 1947. Cet incroyable destin est narré ici avec force et précision dans un épais one-shot à haute teneur pédagogique : 100 planches emplies d’effrois et de sensibilités, renforcées d’un précieux dossier documentaire de 50 pages…
Ayant fui l’Espagne franquiste, Boix (né en 1920) se retrouve intégré dans une compagnie de travailleurs étrangers au sein de l’armée française. Lors du grand chaos de juin 1940, il est fait prisonnier avec 7 000 de ses camarades ; considérés comme des ennemis du Troisième Reich, ils sont déportés dans le camp de concentration de Mauthausen le 27 janvier 1941 : les deux tiers d’entre eux n’en reviendront jamais…
Construit par des détenus au nord de l’Autriche en août 1938, Mauthausen viendra sinistrement compléter le camp de travail voisin de Gusen : ce vaste complexe concentrationnaire fera plus de 90 000 victimes (les chiffres exacts sont inconnus). Jusqu’en 1942, il est ainsi utilisé pour l’emprisonnement et l’exécution des opposants politiques au régime. Brimades, exécutions sommaires, restrictions alimentaires (le poids moyen est de 40 kg), maladies et conditions sanitaires inhumaines seront le lot quotidien des 14 000 prisonniers par ailleurs exterminés au travail. Dans les proches carrières de granit, sous une chaleur étouffante ou par des températures de – 30 °C, les prisonniers (jugés irrécupérables par leurs bourreaux) devront porter jusqu’à leur dernier souffle de lourds blocs de granit, gravissant sous la contrainte les 186 marches de « l’escalier de la mort ». Justement construit par des Espagnols, cet escalier deviendra l’un des symboles de la souffrance endurée à Mauthausen.
Comme on le devine dès le titre et le visuel de couverture, les talents de Boix pour la photographie lui sauvèrent probablement la vie, bien que l’innommable soit le sujet de ses clichés. Ayant la chance d’intégrer le service d’identification du camp (dirigé par l’étrange Paul Ricken), dépendant de la Gestapo, Boix est chargé de prendre aussi bien des photos privées de soldats et d’officiers, des mises en scènes de détenus (semblant en apparence bien traités…) que des photos de prisonniers décédés dans des circonstances douteuses. Alors que chaque cliché est développé en 5 exemplaires, Boix et le Polonais Stefan Grobowski vont décider d’en conserver en secret un sixième, au péril de leurs vies. Sortis de Mathausen ou conservés dans l’attente de temps meilleurs, ces clichés témoignent de moments clés (dont la visite d’Himmler en avril 1941). Avec le Leica dont il s’est emparé, Boix immortalisera également la libération du camp (effective le 5 mai 1945) ou la banderole hissée par les Espagnols survivants afin d’accueillir les troupes alliées. Dans l’impossibilité de rentrer en Espagne, Boix exercera ensuite son métier à Paris, aux côtés de 2000 de ses compatriotes. Sa rencontre avec l’héroïque résistante Marie-Claude Vaillant-Couturier sera bientôt déterminante : fin janvier 1946, Boix est appelé comme témoin lors du procès de Nuremberg. Devenu photographe à L’Humanité, Boix mourra en 1951 à Paris, probablement des suites d’une maladie contractée à Mauthausen. Entre temps, ses clichés et sa vie seront devenus un pan d’Histoire. 70 ans plus tard, une certaine logique devait conduire au fait que ce soient deux auteurs Espagnols qui puissent rendre justice au destin de Francisco Boix : le scénariste Salva Rubio (dont nous avions déjà salué l’album « Monet, nomade de la lumière ») et le dessinateur Pedro Colombo (du reste, n’oublions pas la coloriste Aintzane Landa) n’ont assurément pas failli dans ce complexe devoir de mémoire.
Philippe TOMBLAINE
« Le Photographe de Mauthausen » par Pedro Colombo et Salva Rubio
Éditions du Lombard (19,99 €) – ISBN : 978-2-803635252
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