Quel plaisir, après des années et des années de chroniques sur les nouvelles parutions concernant le 9e art, de continuer à découvrir des auteurs prometteurs qui, d’emblée, semblent vraiment maîtriser les codes narratifs et graphiques de la bande dessinée ! C’est d’autant plus méritoire quand il s’agit d’un premier album en ce domaine : ce qui est le cas de Pierre Alexandrine avec son « Amourante ». Ce dense ouvrage de 230 pages, édité chez Glénat, nous propose un voyage aussi palpitant qu’amusant à travers les époques et les lieux, en remettant en question notre obsession tout à fait compréhensible de plaire perpétuellement et de ne pas mourir…
Lire la suite...« Voyage en République du Crabe » par Tarmasz

On voyage de façon touristique ou professionnelle. L’héroïne de cet album fait partie de la seconde catégorie. Maya est chargée d’assurer la livraison d’un paquet en mains propres et en un temps record (c’est la spécialité de son agence) dans une petite île, autarcique, inconnue, où l’accès des étrangers est limité à une dizaine de personnes par an…
Maya tente d’abord d’en savoir un peu plus avec quelques recherches sur Internet mais, à l’évidence, les informations sur la République du Crabe sont rares et le peu qu’elle récolte est peu encourageant : « Il y pleut beaucoup », « Ça regorge de moustiques »… Elle décide de tenir un carnet de voyage : « Après 4 heures d’avion, 5 de bateau et pas mal d’attente, j’arrive à Port-Tremble, le poste frontière du pays, c’est un petit port fortifié en bois mouillé, érigé au-dessus d’un ilot de vase »… Le décor est posé ! Les difficultés commencent pour Maya dans un monde tatillon, méfiant, répulsif, mais pas question de rebrousser chemin : une mission est une mission et impossible pour elle de contrarier les ambitions de son employeur !
Le travail, c’est le travail, mais le voyage, c’est le voyage ! Aussi commence-t-elle à s’acquitter de doubles pages thématiques sur les transports à Crabe, l’architecture, les habits, l’histoire, la politique, la cuisine (la spécialité, c’est l’oignon !), la famille, les insectes, les saisons, la végétation, les mythes, les objets, les symboles… Un vrai guide de voyage pour une contrée où peu iront. D’ailleurs, sait-on où elle se situe ? Pas le moins du monde.
Il faut dire que ce minuscule pays où « la terre ferme n’existe pas » a tout d’un monde improbable, marginal, intrigant, un monde qui, malgré tout ce qu’on en apprend, restera en grande partie inconnu. L’héroïne en a vite conscience : les portes s’y ferment, les habitants se replient, c’est un huis-clos utopique et anachronique que restitue avec talent le graphisme de l’auteure.
Son style naïf et d’une grande cohérence est saut sauf réaliste. Cela n’en rend que plus étonnants encore ces décors de bric et de broc où tout s’entremêle, aux paysages ramollis, aux horizons qui ondulent, aux perspectives qui se tassent… Les maisons aux façades de guingois cohabitent avec des végétations rondouillardes. Les pêcheurs s’agitent sur leurs ombres sombres et d’étranges sortes de yaks aux cornes phénoménales servent de bêtes de somme…
Voilà un petit voyage inoubliable dans une Venise souffreteuse, parenthèse quasi kafkaïenne dont on ressort en se demandant qui l’a rêvée… Nous ou Tarmasz, cette illustratrice (« tatoueuse au style inimitable », nous dit-on) dont c’est le premier album de bande dessinée et sûrement pas le dernier ?
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Voyage en République du Crabe » par Tarmasz
Éditions Delcourt (19,99 €) – ISBN : 978-2-4130-0012-9