Trimestriel initié par les éditions du Tiroir et animé par Alain De Kuyssche, L’Aventure était à l’origine un luxueux magazine renouant avec la bande dessinée traditionnelle franco-belge. Son créateur disparu en janvier dernier, ses compagnons de route — André Taymans, Christian Lallemand et Alain de Grauw — « continuent l’aventure », poursuivant la collection de hors-séries cartonnés, mais aussi lançant le trimestriel L’Aventure Preview. Sans oublier des collections d’albums et d’artbooks publiés sous le label des éditions du Tiroir avec le concours de la plateforme Ulule.
Lire la suite...Claude Pascal, le boulimique ! (première partie)
Claude Pascal a successivement travaillé pour trois hebdomadaires prestigieux : Vaillant, Pilote et enfin Spirou. Plus de 20 journaux ont publié ses pages de la fin des années 1940 jusqu’aux années 1980. Et pourtant, malgré cette production importante il demeure un dessinateur peu connu des lecteurs de bandes dessinées. La redécouverte de ce créateur modeste et talentueux s’imposait donc…
« Notre ami n’aime pas parler du passé. Trop de souvenirs un peu tristes de sa jeunesse le hantent encore sans doute ! Pascal a poussé, grandi, est devenu homme et dessinateur, dans les pierres, les rues, les chemins de cette localité travailleuse (Saint-Maur). L’enfance d’un fils d’ouvriers n’est pas toujours, vous le savez, dorée… » : c’est en ces mots que l’auteur anonyme de la rubrique « Qui es-tu ? », publiée dans le n° 637 de Vaillant (28/07/1957), évoque le dessinateur Claude Pascal, né le 10 février 1931 à Saint-Maur en banlieue parisienne.
Ce fils d’ouvrier entre aux Arts appliqués où il côtoie Pierre Le Guen, Roland Garel ou encore Jacques de Brown, le fils de René Brantonne.
Assistant de Le Guen et de Brantonne, il commence sa carrière en 1949 dans l’hebdomadaire O.K. Il lui faut peu de temps pour se doter d’un trait réaliste, tout en souplesse, personnel et efficace, que le lecteur attentif détecte au premier coup d’œil.
Sa première bande dessinée (non signée), « Jody et le faon », est publiée à partir du n° 132 de O.K (13/01/1949).
Il s’agit de l’adaptation d’un film larmoyant de la Metro-Goldwyn-Mayer réalisé d’après le roman de Marjorie Keenan Rawlings.
Hélas, O.K disparaît rapidement, comme bien d’autres titres de ces années d’après-guerre, le laissant sans travail.
Les Années Vaillant…
Notre jeune débutant trouve refuge à la fin de la même année au journal Vaillant, ou plutôt à 34 : ancêtre des formats de poche que viennent de lancer les éditions Vaillant. Il y anime les enquêtes de deux journalistes concurrents, mais néanmoins amis : Christian Dehaut et Jacques Falguière
. Ces récits complets d’une vingtaine de pages écrits par Roger Lécureux et Jean Ollivier sont publiés de 1949 à 1956 dans 34, devenu en cours de route Caméra : « Christian Dehaut joue et perd », « La Pierre du sacre », « Un festival sans histoire »…, puis dans Vaillant qui propose quelques récits complets jusqu’en 1958 : « Dehaut dépasse les bornes », « Haut les mains vieux frère »… Notons que d’autres épisodes seront réalisés par Pierre Le Guen et Gérald Forton.
Tout en animant ce sympathique duo, Claude Pascal signe dans 34, puis Caméra, des récits complets aux thèmes variés : « Les Saboteurs du rail », « Rio Paraguay », « Un homme quitta la terre », « Au pays de la peur »…
Au fil des épisodes, il peaufine son trait et finit par obtenir sa propre série dans les pages de Vaillant, après y avoir livré des illustrations : ce sera « Louk chien-loup », dont un premier grand récit de 60 pages démarre dans le n° 413 du 12 avril 1953.
Imaginé par Roger Lécureux, Louk est un louveteau : fils de Ookie le chien jaune égaré dans la forêt canadienne, accouplé à une grande louve. Devenu adulte, Louk cherche le contact avec les hommes et plus particulièrement avec le trappeur au grand cœur François Québec.
Le duo vit plusieurs aventures (« Louk et la fièvre de l’or », « La Vallée des 7 spectres », « Le Trésor des Mahannah »…), avant un ultime récit complet : « Louk à la rescousse » publié dans le n° 772 (27/02/1960), numéro où se termine également sa dernière histoire à suivre (« Contre requin d’acier »).
Notons que les dernières pages de l’épisode « La Ville derrière les eaux », publié en 1955 et 1956, sont dessinées par Max Lenvers.
Les aventures de Louk n’ont été proposées que, bien tardivement, dans deux albums proposés par les microéditions du Taupinambour en 2008 et 2010, mais le premier épisode a toutefois été repris dans le n° 9 du magazine des éditions Vaillant Les Grandes Aventures (juin 1961), sous une couverture d’Antonio Parras.
Toujours dans Vaillant, Claude Pascal propose « Les Chats-huants » à partir du n° 622 (14/04/1957) : trois épisodes seulement pour cette courte série d’aviation qui prend fin dans le n° 848 avec « Opération survie » (03/09/1961).
En compagnie d’anciens pilotes ayant fait la guerre à ses côtés, Frank Lamitié crée les Chats-huants : une équipe d’aviateurs prêts à tout qui louent ses services.
Ces personnages, dont les aventures sont écrites par Roger Lécureux, sont aussi les héros de quelques nouvelles illustrées par Claude Pascal.
On lui doit également une trentaine d’histoires complètes indépendantes, le plus souvent en trois pages, publiées par Vaillant du n° 599 (« Le Naufragé ») au n° 695 (« L’Évasion de l’homme sans jambes »).
Vaillant change de formule et de politique éditoriale avec son n° 889, mais « Louk » n’est pas retenu.
Aucune nouvelle série ne lui ayant été proposée, Claude Pascal quitte l’hebdomadaire du parti communiste, après dix années de collaboration régulière, pour les pages plus hospitalières de Pilote.
Tout au long de ces années d’apprentissage passées dans Vaillant, Claude Pascal dessine pour d’autres éditeurs, certes moins prestigieux, mais toujours avec le même respect du travail bien fait.
Encore jeune débutant en 1952, il tente sa chance à la Société parisienne d’édition (S.P.É.) qui publie l’hebdomadaire Fillette. Il réalise quelques illustrations pour les numéros hors-série trimestriels, puis pour Fillette jusqu’en 1956. Il signe quelques couvertures (n° 352, 354, 358…), illustre des romans (dont « La Grotte au loup » de Philippe Mouret, puis « La Boîte à bonheur » de A.P. Hat en 1953). Au cours de cette collaboration, il réalise une seule bande dessinée pour Fillette : « Captive des glaces », à partir du n° 492 (22/12/1955).
Pour d’autres journaux de la S.P.É., il crée le western « Hurricane Kid » écrit par Georges Vidal dans le mensuel Pschitt junior aventures en 1957. Un album broché, « Hurricane Kid signe sa première victoire », est publié dans la collection Trappeurs et cow-boys.
Il anime aussi l’éphémère « Hubert Hollingway » dans Jeunesse joyeuse en 1961. Ce mensuel reprend aussi « Sitting Bull » en 1960 : une histoire publiée à l’origine dans la collection Mondial Aventures
où il dessine aussi un « Buffalo Bill » (scénario Georges Vidal) en 1955 et adapte « Robinson Crusoé » en 1961.
Toujours pour la S.P.É., il réalise de 1956 à 1958 les 16 couvertures des aventures de Davy Crockett traduites dans la collection Trappeurs et cow-boys.
À partir de 1955, il collabore aux mensuels de récits complets À travers le monde, Sans peur et O.Kay de la S.É.G. (Société d’éditions générales).
Il livre un premier récit dans Sans Peur n° 44 (« La Montagne gronde » en février 1955), puis crée le personnage de Marcel le matelot dans le n° 45.
Accompagné par Joki son singe mascotte, Marcel parcourt les océans, à bord de cargos où la vie est souvent rude.
Publiés jusqu’au n° 66, quelques épisodes de cette série seront réédités dans Les Loups en 1967.
Une autre série, « Lucky », démarre dans le premier numéro de O.Kay (mai 1959), pour se conclure dans le n° 39 (août 1962). Lucky est un agent secret américain des plus classiques qui traque les espions au temps de la guerre froide. Certains épisodes sont réédités par Les Loups en 1966 et 1967.
Il collabore aussi à Typhon de 1965 à 1967 où il illustre des vies d’hommes célèbres écrites par Carlos d’Aguila (« Mermoz », « Guynemer », « Mozart », « Le Libérateur de Paris »…) et à Super Smashen 1964 (« Poste-frontière stop », « Champion de service »…).
Pendant plus de dix ans, Claude Pascal travaille pour cette filiale de la S.F.P.I. (Société française de presse illustrée) dirigée par Jean Chapelle. C’est pour cet éditeur spécialisé dans les formats de poche qu’il crée le « Chevalier Biscaye » avec le scénariste Michel Bergerac, dans le poche Dennis en 1958.
Corsaire, devenu espion au service du roi de France, Biscaye y poursuit ses aventures jusqu’en 1962, puis déménage dans Cap 7où il navigue jusqu’au n° 72. Entretemps, la série est signée J. et F. Rollan où visiblement Claude Pascal n’est plus seul au crayon (j’oserai souffler le nom de Pierre-Léon Dupuis à ses côtés), puis est reprise en 1962 jusqu’à sa conclusion par Maxime Roubinet.
Plus brièvement, Pascal campe « Les Enquêtes de l’inspecteur Hardy » dans Cap 7en 1959 et 1960 : un polar classique fort bien mis en images sur un scénario de Marco Rob.
Enfin, on le rencontre dans Super Zorro, autre titre de la S.F.P.I., en 1959 et 1960, où il propose quelques histoires indépendantes (« Quel sale temps ! »).
En 1956, Claude Pascal travaille brièvement pour les éditions Artima de Tourcoing. Il reprend le personnage de « King le vengeur », créé en 1952 par Bob Leguay dans Dynamic. Il signe sept épisodes publiés dans la deuxième série du magazine Audax (du n° 41 à 43, puis du n° 49 à 52) : un western traditionnel dont le héros est un cow-boy solitaire qui vient en aide à ceux qui font appel à lui.
Infatigable, dans les pages de l’hebdomadaire Ima, notre dessinateur met en images deux histoires à suivre.
« Le Ranch aux fantômes » est un western se déroulant au Texas, dont le scénario est signé Georges Fronval à partir du n° 73 (30/05/1957).
Il est suivi par « Le Bouddha de jade » : un polar ayant pour cadre la Chine et qui commence dans le n° 91.
Il y signe aussi une dizaine de récits complets en quatre pages en 1957 et 1958 : « Drame en forêt », « La Loi du large », « Les Menottes »…
En 1957, commence une brève collaboration avec les deux hebdomadaires de Cino Del Duca, Hurrah ! et L’Intrépide.
Pour le premier, il illustre les rubriques « Ici s’est passé… » ou « Hurrah ! sport » et propose quelques récits complets : « Témoin à charge », « La Frégate du destin »…
Pour L’Intrépide, il dessine également des récits complets le plus souvent historiques (« Le Complot de Montmort ») et réalise quelques illustrations.
C’est toujours en 1957 qu’il travaille pour Femmes françaises, hebdomadaire féminin du Parti communiste français, où il adapte deux classiques de la littérature : « L’Île au trésor » de Robert Louis Stevenson et « La Tulipe noire » d’Alexandre Dumas.
À suivre…
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts et mise en pages : Gilles RATIER
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Excellent. Effectivement, cet auteur mérite d’être remis en lumière, car son dessin classique est tout à fit intéressant. C’est avec plaisir que je me plonge à la fois dans vos rétrospectives érudites et dans certain de ces récits que je chine au fil de l’eau. Longue vie au patrimoine écrit de BDzoom !