Le premier tome de « L’Ombre des Lumières » sorti l’an passé (1) se terminait par le départ, en ce milieu du XVIIIe siècle, du malfaisant chevalier de Saint-Sauveur pour le Nouveau Monde. En effet, toutes ses intrigues se sont retournées contre lui ! Après avoir séduit et trompé la jeune Eunice de Clairefont éprise de la philosophie des Lumières, menacé de mort par son mari et criblé de dettes, Saint-Sauveur a été obligé de s’exiler. En débarquant à Québec, il ne désespère cependant pas de retrouver sa place à Versailles, d’autant plus qu’un de ses peu fréquentables amis lui a proposé d’effacer toutes ces dettes s’il accepte de réaliser une mission vengeresse qui va lui permettre de déployer ses funestes talents…
Lire la suite...Les missions exotiques et choc d’Odilon Verjus !
En 1996, Yann et Verron lançaient un personnage atypique et pittoresque : un missionnaire, un de ces soldats du christianisme qui ont essaimé un peu partout sur la planète la religion des colonisateurs. Vu par l’anticonformiste Yann, il ne fallait heureusement pas s’attendre à un récit hagiographique et béat. C’est avec son humour dévastateur habituel et son regard perfide que Yann décrit alors pendant sept albums « les exploits » du père Odilon Verjus que les éditions du Lombard décident de rééditer en deux volumes.
Le premier titre publié nous envoyait en Papouasie (Nouvelle Guinée) à la fin des années 1920. Le père Odilon, missionnaire, a plus d’une « mission » à se coltiner : évangéliser (soit !), gérer un problème de crocodiles qui dégustent ses ouailles, affronter un sorcier plutôt païen et la pétulante ethnologue Margaret Mead, enquêter sur un avion qui s’est écrasé et, cerise sur le crucifix, supporter un jeune missionnaire, Laurent de Boismenu, tombé du ciel ! Déjà, le bonhomme occupe l’écran : il est gras, truculent, gourmand, coléreux, tonitruant, vigoureux, bref, aussi atypique que sympathique.
Aidé du jeune père Laurent, il se voit ensuite confié par le Vatican une drôle de mission… à Pigalle, dans le but de retrouver une mystérieuse boîte volée dans les caves du Vatican. La vision désinvolte de la vie parisienne du début du siècle où l’on croise prostituées et proxénètes, mais aussi Les Pieds nickelés, Piaf, Cocteau, Gide, Foujita, Michel Simon, Calder… est impertinente et savoureuse.
Les pères Odilon et Laurent quittent cependant les chaleurs de Pigalle pour se retrouver sous les froidures d’Alaska. Ils doivent y retrouver et y châtier les assassins de leurs prédécesseurs missionnaires. Dans ces terres inhospitalières, nos deux soldats du Christ rencontrent le virulent collègue et néanmoins concurrent ecclésiastique, le père Bompas, protestant de choc. Ce n’est rien finalement face aux rites chamaniques des Esquimaux et aux ardeurs des ours locaux. Les péripéties désopilantes du couple de missionnaires prouvent qu’on peut rire sur la calotte (sic !) polaire ? Pourquoi pas… puisque Charcot est aussi de la partie !
Au tome 4, Laurent et Odilon arrivent à Berlin. En cette année 1932, Adolf Hitler commence sa terrifiante « carrière », tandis que Joséphine Baker fait du music-hall et que la cinéaste Leni Riefenstahl produit un film de propagande. Entre les militants à croix gammée et les danses aguichantes, nos deux héros ont fort à faire pour s’en sortir (et sauver le Saint suaire !). Yann construit là une étonnante histoire où les faits et les personnages réels alimentent une fiction totalement dépourvue de vraisemblance, mais passionnante et drôle, dénonçant à leur façon les nazis, la mégalomanie et le racisme de ses instigateurs. Les auteurs s’attachent à faire d’Hitler un pitre dangereux et opportuniste, mêlé à d’autres sbires aussi sinistres, certes dans le but de faire rire, mais aussi de faire réfléchir aux horreurs de l’intolérance.
Même avec des sujets aussi sérieux que l’Allemagne nazie, c’est parfaitement irrévérencieux et délicieux. Le dessin sec, nerveux Laurent Verron y est d’une incroyable efficacité. Et il ne faudra évidemment pas rater le second volume de cette intégrale réunissant les trois autres tomes publiés qui se passaient dans la Bretagne profonde de 1932 ; puis, aux États-Unis, à Hollywood; enfin, en plein ciel, dans un drôle de dirigeable. À noter qu’en outre, la réédition compte une préface de Patrick Gaumer riche et bien illustrée.
Pour ceux que le personnage du missionnaire intéresse, signalons le travail de Philippe Delisle, « De Tintin au Congo à Odilon Verjus : le missionnaire, héros de la BD belge », chez Karthala, en 2011. L’auteur montre que la figure du missionnaire dans la bande dessinée belge ne se réduit pas à un élément de décor pour des aventures lointaines mais révèle les racines culturelles des auteurs avant les années 1960. Sa relecture fouillée des chefs-d’œuvre, de productions oubliées ou des récits irrévérencieux comme Odilon Verjus est un joli travail d’érudition.
Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Odilon Verjus : l’Intégrale » T1 par Laurent Verron et Yann
Éditions Le Lombard (29 €) – EAN : 9782803673179
La couverture de cette intégrale est particulièrement réussie ! Cette série est remarquable, très intelligemment écrite. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est à découvrir d’urgence !