Il semblerait que l’éditeur Altercomics, ait tenu ses promesses de faire un effort conséquent sur la traduction en langue française et l’orthographe des textes de certains fumetti du célèbre catalogue de Sergio Bonelli, qu’ils ont commencé à publier depuis le mois d’août (1) : preuve en est la parution des n° 2 disponibles depuis le 8 novembre… Nous en sommes vraiment heureux, notamment pour l’excellente série policière « Julia », scénarisée par Giancarlo Berardi et illustrée pour cet épisode par le virtuose Corrado Roi : voilà qui devrait ravir les amateurs de bandes dessinées populaires italiennes en noir et blanc !
Lire la suite...Quino est mort : Mafalda pleure son père !
Lorsqu’on consulte la presse, le nom de Mafalda figure dans tous les titres qui annoncent la disparition de son créateur. Devenue le symbole de tout un peuple subissant l’oppression, la gamine à l’imposante chevelure laisse, dans l’ombre, le formidable dessinateur humoristique qu’était Quino. Et c’est regrettable.
Fils d’immigrés espagnols, Joaquin Salvador Lavado est né le 17 juillet 1932 à Mendoza, en Argentine.
Lorsqu’il se lance dans le dessin humoristique au milieu des années 1950, il prend le pseudonyme de Quino : diminutif de Joaquin.
Ses dessins sont publiés dans de nombreux journaux locaux : Tia Vicenta, Vea y Lea, Esto Es, Siete Diaz…
Jusqu’au jour de 1962 où Mansfield, une firme d’électro ménager, lui propose de réaliser une bande dessinée publicitaire ayant des enfants pour héros.
Si le projet demeure dans les cartons, Quino reprend les personnages pour un strip destiné au magazine Primera Plana de Buenos Aires, à partir du 24 septembre 1964.
Six mois plus tard, la petite bande fait son entrée dans le quotidien El Mundo, puis à partir de 1967 dans Siete Dias ilustrados, jusqu’à sa conclusion : le 25 juin 1973.
Très vite, le personnage de Mafalda devient l’égérie de la bande où figurent Monolito, Susanita et Felipe.
Plus qu’un simple divertissement, Mafalda, petite fille au visage ingrat et en avance sur son âge, est politiquement engagée : elle n’hésite pas à dénoncer les pouvoirs totalitaires avec sa naïveté enfantine.
Ce qui lui vaudra plusieurs interdictions dans divers pays d’Amérique du Sud.
Malgré la pression de ses éditeurs et les demandes de ses lecteurs, Quino n’a jamais repris son personnage, préférant se consacrer à sa véritable passion : le dessin humoristique.
En France, trois albums souples de « Mafalda » sont publiés par les éditions Jean-Claude Lattès en 1972 et 1973, puis une série de 12 albums édités par Glénat, en noir et blanc, en couleurs et, enfin, sous forme d’intégrale.
Grand admirateur du travail de Quino, l’éditeur Jacques Glénat publie, à partir de 1976 et jusqu’en 1996, 15 recueils de ses dessins d’humour régulièrement réédités : « Pas mal et vous ? », « À table ! », « Qui est le chef ? », « Bien chez soi », « C’est pas ma faute », « La Guernica »…
Ces dessins pleine page (ou sous forme de bandes dessinées souvent sans textes) riches en subtilité et fourmillants de détails, sont de véritables bijoux que le succès de la série « Mafalda » ne doit pas faire oublier.
Plus qu’un auteur de bande dessinée, Quino est l’un des plus brillants humoristes de sa génération.
Réfugié en Italie après le coup d’État de 1976, Quino vivait depuis de nombreuses années en Espagne où il est mort le 30 septembre 2020, hospitalisé à la suite d’un AVC. Il avait été décoré de la Légion d’honneur en 2014 à l’occasion du Salon du livre de Paris.Une petite anecdote pour terminer. Il y a une trentaine d’années Quino, Jean-Charles Kraehn et moi-même avions été invités au Salon du livre de Montréal au Canada.
Lorsque nous sommes arrivés au stand des éditions Glénat, une longue file de personnes, surtout des femmes, attendait.
Elles se sont élancées vers Quino, certaines en pleurs, lui prenant les mains, l’embrassant…
C’étaient des immigrées argentines venues saluer celui qu’elles considéraient comme un dieu !
Celui qui, à travers « Mafalda », avait exprimé avec simplicité l’oppression subie par leur pays.
Le défilé s’est poursuivi tout au long de la journée. Le soir, au dîner, nous avons voulu lui en parler, mais avec une grande modestie, il s’est contenté d’un grand sourire qui en disait long sur l’émotion qu’il avait éprouvée au cours de cette journée.
Quino était un compagnon délicieux, modeste, drôle et, surtout, un immense dessinateur.
Nos pensées vont à ses proches.
Henri FILIPPINI