Le premier tome de « L’Ombre des Lumières » sorti l’an passé (1) se terminait par le départ, en ce milieu du XVIIIe siècle, du malfaisant chevalier de Saint-Sauveur pour le Nouveau Monde. En effet, toutes ses intrigues se sont retournées contre lui ! Après avoir séduit et trompé la jeune Eunice de Clairefont éprise de la philosophie des Lumières, menacé de mort par son mari et criblé de dettes, Saint-Sauveur a été obligé de s’exiler. En débarquant à Québec, il ne désespère cependant pas de retrouver sa place à Versailles, d’autant plus qu’un de ses peu fréquentables amis lui a proposé d’effacer toutes ces dettes s’il accepte de réaliser une mission vengeresse qui va lui permettre de déployer ses funestes talents…
Lire la suite...Des hommes et des dieux pour Joseph Béhé !
Pourquoi des dieux et des esprits surnaturels ? Quels liens tissons-nous exactement entre la religion, la mort et la morale ? Autant de questions qui interrogent notre humanité et les religions depuis la nuit des temps… Aux croisements de l’ethnographie moderne, des sciences cognitives et de la biologie de l’évolution, Pascal Boyer apportait la plupart des réponses en 2001, dans son essai « Et l’homme créa les dieux ». 20 ans plus tard, au sein d’une actualité bouleversée par les intolérances et les fanatismes, Joseph Béhé en livre une monumentale adaptation de 368 pages. Publiée chez Futuropolis, cette somme graphique et documentaire se révèle déjà incontournable, notamment pour tous ceux qui voudront obtenir des éclaircissements autour de ces concepts aussi complexes qu’essentiels…
Après avoir mené un travail de longue haleine au Cameroun afin d’étudier les traditions orales des groupes ethniques d’Afrique centrale, le Français Pascal Boyer gagne une stature internationale en novembre 2001 avec « Et l’homme créa les dieux : comment expliquer la religion », initialement publié chez Robert Laffont. Cet essai anthropologique riche de 360 pages explique notamment comment les concepts religieux ont pu obtenir un si grand succès d’estime dans la plupart des cultures de notre planète. Pour étudier cette acceptation du fait religieux, Boyer a analysé comment l’esprit humain engendre des phénomènes culturels ou des thèmes communs relevant de l’extraordinaire. Les concepts d’esprits, de fantômes, d’ancêtres ou de dieux, hautement transmissibles dans une communauté, guideraient ainsi l’ensemble des relations sociales, dans une culture rendue perméable aux croyances religieuses. S’appuyant sur l’anthropologie (étude de l’humain sous tous ses aspects physiques et culturels), mais aussi sur les sciences cognitives (étude des mécanismes de la pensée et du traitement de l’information), la linguistique, l’histoire et la biologie évolutionniste (étude de l’évolution des espèces), l’essai de Boyer permet tout simplement une meilleure compréhension des religions, finalement entendues comme phénomène naturel. Devenu directeur de recherches au CNRS puis professeur dans une université américaine renommée à Saint-Louis (Missouri), Pascal Boyer continue d’œuvrer actuellement sur l’évolution culturelle de la religion.
Travail au long cours oblige, l’adaptation de « Et l’homme créa les dieux » aura exigé pas moins de… huit années de travail pour Joseph Béhé (voir les cinq tomes du « Légataire » parus chez Glénat entre 2006 et 2010 ; scénario de Frank Giroud), auteur complet qui enseigne en parallèle (depuis 1998) à la Haute École des Arts du Rhin (anciennement l’École supérieure des arts décoratifs) de Strasbourg. En couverture, la silhouette noire d’un homme habillé d’un complet mais demeuré humblement pieds nus fait un geste déictique vers le ciel. Le bras et le doigt ainsi tendus nous font songer à une inversion visuelle de la célèbre « Création d’Adam » (1512) peinte par Michel-Ange au plafond de la chapelle Sixtine. Ici et comme le titre le précise, c’est bien l’humain qui est donc à l’origine de la création de l’idée divine, dans un renversement éclairé de toutes les thèses créationnistes. Naturellement, dans ce visuel, toutes les époques (des Vénus paléolithiques aux Vierges à l’enfant de la Renaissance italienne), tous les cultes, tous les symboles (fétiche tribal ou ânkh égyptien) et tous les mythes (le dieu hindou Shiva, le dragon oriental Long ou encore Seth, le dieu du mal égyptien) sont rassemblées et passées silencieusement au crible scientifique, face à la principale question métaphysique récurrente : « Si Dieu a créé l’univers, qui a créé Dieu ? ».
Concernant la genèse graphique de ce visuel, l’auteur commente : « Durant les huit ans de travail de cet album, j’ai souvent pensé à la couverture. Les quatre premières propositions (voir les visuels 1 à 4 ci-dessus) étaient les idées que j’ai successivement eues ces quatre dernières années. En 2020, année de la finalisation, c’est la quatrième proposition que je trouvais la plus intéressante. Sébastien Gnaedig, mon éditeur, était d’accord avec moi. J’ai donc renvoyé une version éclaircie (ou blanche ; n° 5) au graphiste et maquettiste Didier Gonord, après avoir jugé le visuel retenu trop sombre à mon goût… Didier m’a demandé si je pouvais faire quelque chose pour étendre le propos à « toutes » les religions (ou au moins quelque chose qui faisait un peu mieux référence au contenu : densité, variété, exhaustivité). J’ai donc fait diverses autres propositions (6), qu’il a utilisées pour m’envoyer la proposition 7. Je n’aimais pas l’effet coloré orange, préférant quelque chose de plus diffus : j’ai proposé une huitième version. Didier n’aimait pas l’effet multiplié des figures qu’il jugeait artificielle… ce en quoi j’étais d’accord ! Gilles Scheid, un ami illustrateur qui avait réalisé l’exécution des couvertures du « Décalogue » et du « Légataire », m’a alors suggéré la couleur or. J’ai renvoyé une version n° 9 en demandant un marquage en métallisé doré ou un vernis sélectif sur le jaune. Pour des raisons de budget, déjà alourdi par la pagination de l’ouvrage, Didier m’a proposé un simili or avec des variations bronze. Ce fut la version 10, la définitive. J’ai trouvé ce compromis idéal. »
Que dire du monumental travail de vulgarisation graphique accompli par Béhé ? Dans la préface de l’album, Pascal Boyer (qui déteste les longues planches explicatives et chargées de textes) déclare lui-même : « Béhé a donc fait l’impossible ou le presque impossible. […] Car l’illustration est si parfaitement appropriée à ces sujets difficiles, qu’il est facile d’oublier qu’il a fallu tant de recherche pour y parvenir. » Et, plus loin : « L’adaptation de Béhé met en avant l’essentiel, le plus passionnant de ce sujet – la ménagerie baroque d’idées religieuses sécrétées par les esprits humains, et l’immense diversité des cultures, dans ce domaine -, sans jamais lâcher l’autre bout du fil, l’explication, la description de ce qui se passe dans nos têtes […] ». Narrateur omniscient et s’adressant directement à ses lecteurs au fil des planches, Pascal Boyer est aussi le moteur d’un scénario qui prend prétexte de la rencontre d’amis autour d’un repas estival pour évoquer toutes les grandes questions liées au thème de la religion. Un dialogue et un débat s’instaure entre les protagonistes, aussi ouvert qu’amusé, surpris ou parfois décontenancé par les arguments avancés.
Précisant au fil des planches et des chapitres les différentes manières que possède l’humain pour assimiler une information, définir un concept ou classer les choses et les idées par catégories, le scientifique n’a de cesse de croiser différents résultats : ceux de l’ethnographie moderne, des sciences du cerveau et ceux apportés par le renouvellement de la réflexion darwinienne, laquelle permet d’inscrire le phénomène religieux dans la longue histoire de notre espèce. En noir et blanc, utilisant à son tour la totalité des outils offerts par le dessin et le 9e art (dialogues, représentations, symboles, schémas, références culturelles diverses, cartographie, planches cases, inserts, ellipses, etc.) Béhé clôture son œuvre par un clin d’œil savamment ironique concernant la réalité ou la fiction de ses personnages. Commentaires et pistes bibliographiques accompagnent in fine cette nouvelle Bible graphique (nous n’osons plus parler de roman…) hautement instructive, véritable pavé jeté par ailleurs dans la mare des fanatismes et intolérances de tous bords.
Philippe TOMBLAINE
« Et l’homme créa les dieux » par Joseph Béhé, d’après Pascal Boyer
Éditions Futuropolis (33,00 €) – EAN : 978-2-7548-0936-8
D’après les dessins de couverture, il semble que toutes les religions soient traitées… sauf une. L’Islam n’aurait-il pas été créé par l’Homme ?
La couverture n’est pas exhaustive, le livre cite beaucoup plus de religions que celles de la couverture.
Il ne s’agit pas de faire des listes de religions qui auraient été crées ou pas par les humains, mais d’une explication rationnelle des croyances en général.