Attention Picasso : Yatora arrive dans sa période bleue !

Sujet atypique pour un shōnen somme tout bien classique, « Blue Period » retrace l’exploration de l’expression picturale par un ado décrocheur. Cette série entraîne le lecteur à la découverte du monde de l’art et de ses débouchés, au travers des yeux d’un voyou sans ambition. Chalenge à la hauteur des attentes du héros qui trouve enfin un sens à sa vie. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Yatora n’est pas vraiment une racaille, mais c’est loin d’être un élève sérieux. Sans passion, il partage les passe-temps illusoires de ses amis : la cigarette, le foot, les beuveries… Il n’a aucune personnalité, alors qu’il est finalement plutôt brillant. Avec un peu d’effort, il obtient des notes plus qu’acceptables. Quatrième de sa classe, il pourrait aisément viser le podium, mais se contente de faire le minimum nécessaire. Pour son orientation, il n’en fait pas plus. Il n’a aucun rêve et n’arrive pas à formuler un choix concret. Mais ça, c’était avant de découvrir la peinture. Subjugué par le travail d’une de ses camarades, il va s’inscrire au cours d’art et, surtout, se donner des objectifs pour progresser. Il manque de technique, mais a clairement un bon ressenti du médium. Ce qui fait que ses tableaux, même approximatifs, dégagent quelque chose qui touche son premier public : ses camardes de classe.

Le héros est loin des voyous typiques comme on peut en voir dans les séries « Racaille blues », « Rookies » ou « GTO ». Yatora est juste un jeune en situation de lassitude. Loin d’être méchant, il n’a juste pas trouvé de but à sa vie. Plutôt que de s’appesantir sur ce mal-être, la jeune scénariste et dessinatrice, Tsubasa Yamaguchi, rentre rapidement dans le vif du sujet en permettant à son personnage de se tourner vers une discipline artistique alors qu’il n’y connaissait clairement rien. Béotien, le lecteur découvre avec lui les techniques et le travail nécessaire pour produire une œuvre touchante. Dès le départ, il est évident que la peinture n’est pas un don, mais un travail de longue haleine. Le message montre que tout le monde peut prétendre à devenir artiste peintre s’il s’en donne les moyens. Mais pour certains, cela sera plus facile, plus rapide ou demandera beaucoup de remise en question. Il en ressort que chaque artiste est finalement différent.

Étrange autoportrait de Tsubasa Yamagichi qui se présente comme aimant les ampoules et dessiner des mangas. Habituellement, elle se représente revêtant un masque de grenouille.

La ténacité de Yatora va l’amener à choisir une voie inattendue en décidant, sur un coup de tête, d’intégrer la prestigieuse Université des Arts de Tokyo. Yamaguchi Tsubasa, elle-même issue de cette université, nous en dresse donc un tableau des plus réaliste. Elle n’hésite pas à mettre en avant les difficultés que les futures élèves peuvent rencontrer.

En effet, postuler dans une école d’art est loin d’être synonyme d’oisiveté. « Blue Period » n’est pourtant pas un manuel à l’attention des aspirants artistes, mais les conseils distillés au fil des pages permettent de se mettre en condition. Cela permet surtout de relativiser sur la dénomination de génie que certains s’empressent d’apposer sur les artistes. Grâce à ce titre, le lecteur voit bien qu’avant tout, il s’agit d’un travail mûrement réfléchi et parfois de longue haleine.

L’édition française comporte quelques pages en couleurs qui ont disparu au Japon, entre la prépublication dans le magazine Afternoon et l’édition reliée. Bien évidemment, on aurait aimé en voir plus, vu la grande quantité de peinture réalisée par l’autrice ou certaines de ses connaissances pour ce projet. Contentons-nous déjà de ce supplément exclusivement disponible en France. Comme toujours, il est bien dommage de voir un personnage évoquer des monstres verts ou des lapins bleus sans en visualiser les nuances. Mais c’est aussi ça qui fait travailler l’imagination du lecteur. Quand Yatora a su coucher sur papier l’émotion que la couleur de l’aube lui évoquait, c’est là qu’il a vu qu’il pouvait transmettre plus qu’une image avec un dessin. Lui même ne trouvait pas sa composition particulièrement réussie, mais il a su éveilleur des sentiments indescriptibles chez ses camarades. À l’aide de simples touches colorées, ils ont bien ressenti ce moment précis ou le soleil se lève sur le Japon.

Publié depuis 2017, c’est en 2020, après sept recueils publiés, que la série « Blue Period » a obtenu la consécration en remportant coup sur coup le Prix Manga Taishô ainsi que le 44e Kôdansha Manga Awards dans la catégorie générale. À raison d’un nouveau volume tous les deux mois, la publication française devrait rattraper son retard sur la version japonaise courant 2022.

Alors que le neuvième volume de la série est tout juste disponible au Japon, Tsubasa Yamaguchi annonce, via Twitter, qu’une série d’animation, actuellement en cours de création, sera diffusée dans le courant de l’année 2021. Les informations distillées sont maigres, mais ce titre étant parfaitement adapté à une série qui pourrait capter une jeune audience, il est logique, au vu de ses dernières récompenses, qu’un tel projet soit mis en chantier.

Premier visuel servant à présenter la future série de « Blue Period ».

La peinture, en tant que profession artistique, est un sujet peu traité en manga. Prenant le parti de montrer l’ascension d’un jeune devant progresser dans ce milieu extrêmement codifié et particulièrement fermé est clairement novateur. Fort de son expérience, Yamaguchi Tsubasa, a su rendre la compétitivité du monde de l’art dans une histoire classique où le lecteur appréhende le cheminement intellectuel de son héros. En suivant Yatora, l’aspirant artiste trouvera peut-être de l’inspiration dans le parcours de ce héros de fiction extrêmement proche de sa réalité.

Gwenaël JACQUET

« Blue Period » T1 par Yamaguchi Tsubasa
Éditions Pika ( 7,50 €) – EAN  : 9782811645380

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