Il semblerait que l’éditeur Altercomics, ait tenu ses promesses de faire un effort conséquent sur la traduction en langue française et l’orthographe des textes de certains fumetti du célèbre catalogue de Sergio Bonelli, qu’ils ont commencé à publier depuis le mois d’août (1) : preuve en est la parution des n° 2 disponibles depuis le 8 novembre… Nous en sommes vraiment heureux, notamment pour l’excellente série policière « Julia », scénarisée par Giancarlo Berardi et illustrée pour cet épisode par le virtuose Corrado Roi : voilà qui devrait ravir les amateurs de bandes dessinées populaires italiennes en noir et blanc !
Lire la suite...« Le Baron perché » d’Italo Calvino revit dans une lumineuse bande dessinée…
En 1957, parait « Le Baron perché » : roman d’apprentissage qui connait un succès mérité en Italie, puis hors des frontières de la péninsule. 60 ans plus tard, pour sa première bande dessinée, la jeune Claire Martin adapte, avec talent et une grande fraîcheur, ce chef-d’œuvre de la littérature du XXe siècle. De quoi (re)découvrir l’humour et la profondeur d’un texte qui n’a pas vieilli.
En ce XVIIIe siècle finissant, la société d’ancien régime étouffe l’Europe sous une chape de préséance et un ordre venu du Moyen Âge. Côme Laverse du Rondeau n’a pas à se plaindre de sa naissance. Il est l’aîné d’une famille noble du Nord de l’Italie, ce qui lui ouvre les meilleures perspectives pour son avenir. À 12 ans, il ne se pose pas encore de questions sur l’ordre du monde, mais, esprit rebelle, il s’oppose à son père lors d’un repas. Il refuse de manger des escargots : mode nobiliaire qui vient de la cour de Versailles. Il s’échappe par la fenêtre ouverte et se réfugie dans les arbres du parc familial. Désormais, il ne foulera plus jamais le sol !
Ce qui aurait pu passer pour un mouvement d’humeur enfantin, s’installe dans la durée. Côme se plait à vivre de branches en branches.
Il est régulièrement approvisionné par Blaise, son petit frère qui lui apporte de quoi se nourrir et s’aménager un domicile en bois acceptable.
Il transige aussi avec les exigences de bonne éducation de son père. Il reçoit sur la plus basse branche d’un chêne, l’enseignement d’un précepteur, religieux mais ouvert d’esprit. Il lui fait découvrir les écrits des esprits les plus déliés du siècle des Lumières : ceux de Voltaire, Rousseau ou Diderot.
Toujours aussi à l’aise dans les frondaisons, Côme part à la découverte du monde en dehors du parc familial. D’arbres en arbres, il agrandit le territoire qu’il peut dominer du haut de sa canopée.
Il fait ainsi la connaissance de Violette, une ravissante voisine qui ne le laisse pas indifférent puis d’un groupe d’exilés espagnols à qui on a interdit de fouler le sol italien. Il peut alors partager ses livres de chevet et entamer des discussions avec des personnes qui continuent de vivre dans le siècle.
Il revient dans son village de naissance où le petit peuple l’a surnommé le Baron perché.
La Révolution française a des répercussions en Ligurie et Côme, en adulte éclairé aide les villageois à mettre fin à des pratiques médiévales dépassées. Il obtient ainsi une certaine célébrité.
L’empereur Napoléon de retour d’une campagne militaire victorieuse fait un détour pour entamer une discussion avec lui comme auparavant Alexandre-le-Grand s’était entretenu avec le cynique Diogène.
Mais plus le temps passe, moins on écoute l’ermite arboricole et l’âge venant, rester vivre dans les arbres devient de plus en plus délicat…
On retrouve dans cette très belle adaptation toute la verve, l’ironie amusée mais aussi la profondeur du roman d’Italo Calvino. Dans ce conte philosophique, le baron perché est un nouveau candide qui grandit en se nourrissant des principes de la philosophie des Lumières.
C’est pour l’auteur italien, membre de l’Oulipo, l’occasion, derrière la fantaisie de cette situation, de développer des thématiques qui lui sont chères : la liberté gagnée qui permet l’accomplissement personnel, la nécessité de se retirer du monde pour pouvoir l’observer objectivement, le besoin de solitude pour s’épargner certaines contraintes sociales ou une méditation sur la dépendance de l’homme à la société qui l’entoure en particulier à sa famille.
Formée à l’école Émile Cohl, Claire Martin réussit son entrée dans le monde de la bande dessinée. Elle transcrit avec talent la légèreté et la fantaisie, l’ambiance poétique si particulière de l’œuvre originale.
Respectueuse du texte, mais inventive, elle a trouvé le ton juste pour rendre en images toute la malice gouailleuse de Calvino.
Son graphisme simple, expressif et coloré va à l’essentiel, il met intelligemment en avant l’impertinence et l’anticonformisme d’un héros, radical et fragile à la fois, particulièrement attachant.
« Le Baron perché » est sans conteste, une des plus belles découvertes en bande dessinée jeunesse de ce début d’année. À vous, jeunes et moins jeunes de lire cette première BD parfaitement maîtrisée, que vous ayez ou non lu le roman d’origine.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Le Baron perché » par Claire Martin, d’après Italo Calvino
Éditions Jungle (16,95 €) – ISBN : 978-2-8222-2998-2
Amusant! Dans le langage d’aujourd’hui, on peut dire que ce petit baron est « perché »!!
Oui, on pourrait le dire ! D’ailleurs l’expression apparue récemment fait référence à l’oiseau perché qui est hors d’atteinte, loin de tout. Un peu comme notre baron, perché sur son arbre. Sa pensée est hors d’atteinte de ses contemporains.
Enfin, pour ceux qui cherchent à se renseigner sur l’expression « Complétement perché », je vous renvoie à cet excellent article du Monde : https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2014/01/03/completement-perche_4341933_4497186.html