Avec « Le Tombeau des chasseurs », le talentueux Victor Lepointe évoque la tragédie collective d’une bataille vosgienne en 1915 et, plus encore — par le regard de l’un d’eux, Victor Granet —, scrute l’intimité des sentiments de ces chasseurs alpins sacrifiés. Plongée dans la si mal nommée Der des ders…
Lire la suite...Arsène Lupin : aux origines d’une vie feuilletonesque…
Riche des 70 millions de visionnages Netflix concernant sa version modernisée intitulée « Lupin », le gentleman-cambrioleur imaginé par Maurice Leblanc en 1905 n’a jamais été aussi populaire. Jusqu’à truster, un temps, les meilleures ventes en janvier 2021 : 60 000 exemplaires ayant été urgemment réimprimés par Hachette Romans ! Inévitablement, cette incroyable résurrection profite aussi au 9e art : les éditions Rue de Sèvres ayant judicieusement choisi de rééditer en intégrale les exploits de jeunesse d’Arsène, trilogie parue de 2014 à 2016… Où comment un adolescent de 12 ans, envoyé dans un bagne pour garçons sur Belle-Ile-en-Mer, est recueilli par le comte de la Marche afin de lutter contre la criminelle Confrérie des Lombards. Crimes, coups fourrés, personnages retors et rebondissements à toutes les cases : un feuilleton lupinien de haute volée.
As du déguisement et grand adepte des identités multiples, Arsène Lupin (dont le nom est emprunté à Arsène Lopin, un ancien conseiller municipal parisien) possède précisément plusieurs visages ; selon que l’on se souvienne du héros – très marqué Belle Époque, avec son haut-de-forme, sa canne et son monocle – dans la peau de Robert Lamoureux (1957), de Georges Descrières (1971), de Jean-Claude Brialy (1980), de François Dunoyer (1989), de Romain Duris (2004) ou donc (mais avec une astuce scénaristique supplémentaire) d’Omar Sy en 2020. Ce sans compter « Lupin III » (« Edgar, le détective cambrioleur ») : série d’animation manga mettant en scène le petit-fils du héros, initiée en 1967 par Kazuhiko Katō et qui fera bien des heureux sur FR3 Jeunesse à partir de 1985. N’oublions pas de citer dans cette liste « Le Château de Cagliostro » : film d’animation réalisé comme déclinaison de « Lupin III » par Hayao Miyazaki dès 1979, avec une maîtrise narrative et graphique qui en laissera beaucoup pantois. Notons que l’extinction des droits patrimoniaux de Maurice Leblanc depuis janvier 2012 a aussi ouvert la voie à bien des adaptations dans le monde entier, dont quelques suites de la série animée évoquée, sur petits et grands écrans (voir ainsi le film « Lupin III : The First », paru en octobre 2020).
Dessiné dans France-Soir par Georges Bourdin à partir de 1948, repris par Jacques Blondeau dans Le Parisien libéré en 1956, le personnage d’Arsène Lupin revient essentiellement dans la bande dessinée franco-belge avec (le gentleman) André-Paul Duchâteau et Jacques Géron, dans la collection BDétectives pour six titres (et autant d’adaptations) parus chez CLE entre 1989 et 1998. Après 2012, les scénarios originaux se développent. Ainsi par conséquent de la trilogie « Arsène Lupin : les origines » ou des « 1000 Mystères d’Arsène Lupin » (deux titres par Galien et Mike Crocbart entre 2016 et 2018). S’éloignant du canevas biographique érigé par Maurice Leblanc, les scénaristes Benoit Abtey (« Kamarades » en 2015-2016 chez Rue de Sèvres) et Pierre Deschodt, deux anciens élèves des cours théâtraux de Jean-Laurent Cochet, font d’Arsène un être au cœur noble, victime du régime tortionnaire mis en place à la Haute-Boulogne. Dans la réalité, c’est en 1848 que furent construits les baraquements de ce bagne pour enfants de Belle-Ile-en-Mer : ce lieu indigne passera à la postérité en 1934, avec la révolte d’une centaine de jeunes colons, poussés à bout par les brimades et les tortures quotidiennes… L’établissement ne fermera officiellement qu’en 1977.
Recueilli par le comte Perceval de la Marche, Arsène se voit enseigner les belles lettres autant que l’escrime ou la savate. Face à lui, des ennemis particulièrement impitoyables, selon les grandes traditions du genre : l’inspecteur corrompu Bellemain et surtout Gabriel de Saint-Mérande, parangon du crime et de la fourberie, ordonnateur de l’ordre des Lombards qui formera à son tour – à partir de 1893 (voir le T2 « Le Dernier des Romains ») – un condisciple et rival d’Arsène, Bérenger de La Motte. Au T3 « Il faut mourir ! », la couple est pleine et les camps antagonistes livrés aux dernières extrémités. Alors qu’une intrigante et audacieuse série de vols défraye la rubrique des faits divers, Arsène et Bérenger, 18 ans au compteur, s’affrontent ici (dans un pensionnat suisse) comme Holmes et Moriarty chez Arthur Conan Doyle. L’on comprendra du reste que le visuel de couverture choisi pour cette intégrale reprenne à l’identique celui du troisième et dernier opus initial. Car, aussi initiatique qu’il soit, des bas fonds jusqu’aux dorures des salons bourgeois où le futur cambrioleur sévira, le parcours du héros est un bien redoutable match de boxe. Où il faudra savoir encaisser les coups bas. « Avec les compliments d’Arsène Lupin », pourra-t-on lire in fine, cette trilogie pouvant sans difficultés déboucher sur une suite.
Tout au long de ses 164 pages, l’aventure dessinée par Christophe Gaultier tient toutes ses promesses : enrichi des couleurs de Marie Galopin, le dessin arbore un style mi-moderne et mi-ancien, idéal pour décrire les ambiances évoquées. Les amateurs de Gaultier ne seront pas étonnés de retrouver là des tonalités et ambiances similaires à celles de précédents ouvrages (voir « Le Cirque aléatoire » en 2004, « Robinson Crusoé » en 2007-2008 ou « Gauguin, loin de la route » en 2013). Ce prequel haletant à l’œuvre de Maurice Leblanc devrait séduire sans mal les férus d’aventures policières matinées de chroniques sociales.
Philippe TOMBLAINE
« Arsène Lupin : les origines » par Christophe Gaultier, Benoit Abtey et Pierre Deschodt
Éditions Rue de Sèvres (18,00 €) – EAN : 978-2810201341