La poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) est manifestement intrigante. Elle n’a été reconnue comme écrivaine qu’après sa mort, sa sœur découvrant alors 1 775 poèmes qu’elle avait écrits. Cette femme de bonne famille, solitaire, indépendante, insoumise et passionnée par les mots l’était aussi par les plantes et le monde sensible qui l’entourait, comme le montre joliment « Le Jardin d’Emily » de Lydia Corry.
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Le regretté Quino (1932–2020) n’a finalement dessiné « Mafalda » que de 1964 à 1973. Mais en neuf ans les strips de la petite fille argentine connaissent un succès mondial tel qu’on la trouve statufiée à Buenos-Aires et qu’elle sert, en 2009, de porte-parole à une campagne féministe italienne. Alors, quoi de neuf dans la BD jeunesse ? « Mafalda » évidemment ! Les éditions Glénat viennent de publier un recueil de ses meilleurs strips autour de sa personnalité émancipatrice et féministe.
Buenos-Aires, 1962 : la marque d’électroménager Mansfield passe une commande pour une campagne publicitaire. Joaquín Salvador Lavado Tejón, un dessinateur de 30 ans, crée pour l’occasion un jeune personnage féminin qu’il appelle Mafalda. Cette campagne publicitaire ne voit jamais le jour, mais le dessinateur encore inconnu reprend son personnage pour en faire l’héroïne de courts strips dans la presse argentine, dès 1964. Il prend alors le nom de plume de Quino, diminutif de son prénom Joaquín, et pendant près de dix ans donne vie au petit monde d’une gamine de dix ans issue de la classe moyenne argentine. Le succès est immédiat en Amérique latine, en Europe et en Amérique du Nord. Quino abandonne cependant son héroïne en 1973, pour se consacrer à des dessins d’humour, à une œuvre poétique et diverse, mais comme Mafalada avec une portée universelle.
« Mafalda » nait dans les années 1960 dans un contexte de grave crise politique en Argentine, marquée par de nombreux coups d’État militaires. Cependant, il n’y a pas de référence directe à cette actualité brûlante dans la bande dessinée simplement quelques rares allusions.
La presque totalité des strips est compréhensible par tous à l’époque et aujourd’hui. On ne peut toutefois faire abstraction du contexte de création, Julián Delgado, son premier éditeur est par exemple mort sous la torture.
Mais Quino contourne habilement la censure avec « Mafalda » ; selon lui : « Mafalda est une petite fille, et on me laissait donc faire. Elle paraît innocente » On rapproche vite son œuvre de celles de deux grands contemporains dont les héros enfantins regardent le monde avec de grands yeux candides : Sempé avec son « Petit Nicolas » et Charles Schultz et ses « Peanuts ». Un humour parfois absurde et le regard naïf et profondément moral d’enfants personnages principaux sont les marques de fabrique de ces chefs-d’œuvres intemporels.
Avec ses grands yeux enfantins, Mafalda questionne le monde qui l’entoure : celui de la classe moyenne argentine, mais aussi de la société humaine dans son ensemble dont elle souligne les paradoxes et les faiblesses. Ses idées sont simples et sincères, mises en avant par le trait élégant, d’une grande évidence de l’un des maitres de la bande dessinée du XXe siècle.
Loin de toute victimisation, elle est vite devenue un symbole d’un esprit contestataire et anticonformiste porté par les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui ont forcément trouvé un bel écho en France.
Dans le présent ouvrage sont compilés des strips consacrés à la place de la femme dans la société et à sa nécessaire émancipation. Ainsi, le préfacier rappelle à propos du personnage de Mafalda :
« Parmi les questions qui la traversent, la condition féminine, la place de la femme, l’égalité homme femme dans la société reviennent régulièrement. C’est d’ailleurs à travers la place de sa mère, femme au foyer que ses réflexions surgissent. Concernant son avenir, Mafalda a d’autres ambitions que de rester chez elle comme sa mère. Ce qu’elle souhaite avant tout c’est prendre sa vie en main, être indépendante, penser à sa carrière. En bref, jouer un rôle important dans l’avenir de l’humanité.
Alors que les revendications des femmes trouvent aujourd’hui un écho puissant, espérons comme Mafalda qu’elles prennent une place de plus en plus importante dans la société, un souhait partagé par Quino qui déclarait en juillet 2018 : »J’ai toujours soutenu les causes des droits de l’homme en général et des femmes en particulier, à qui je souhaite bonne chance dans leurs revendications. » »
Toujours d’actualité, les strips féministes,mais jamais victimaires de Quino raviront les lecteurs de 2022 par leur humour, leur élégance et leur justesse intemporelle.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Mafalda : féminin singulier » par Quino
Éditions Glénat (12,00 €) – EAN : 978-2-344-05209-9
Parution 30 mars 2022