La poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) est manifestement intrigante. Elle n’a été reconnue comme écrivaine qu’après sa mort, sa sœur découvrant alors 1 775 poèmes qu’elle avait écrits. Cette femme de bonne famille, solitaire, indépendante, insoumise et passionnée par les mots l’était aussi par les plantes et le monde sensible qui l’entourait, comme le montre joliment « Le Jardin d’Emily » de Lydia Corry.
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Dans les marais salants d’Aigues-Mortes, dans les années 1890, le travail est pénible, épuisant, et il demande tellement de main d’œuvre qu’en plus des ouvriers français, on fait venir des saisonniers italiens… En oût 1893, une rixe éclate, les relations s’enveniment, les affrontements virent au drame et ce que raconte « De sel et de sang »…
Dans les deux tomes de « Bella Ciao » où Baru avait réuni diverses histoires courtes, plus ou moins autobiographiques (l’immigration de sa famille ouvrière, les conflits politiques entre chemises rouges communistes et chemises brunes fascistes, le sort historique et documenté de la célèbre chanson « Bella Ciao »…), cet auteur consacrait aussi quelques pages à un épisode dramatique de 1893 où les travailleurs français s’en étaient pris aux travailleurs italiens.
Vincent Djinda et Fred Paronuzzi s’attachent à développer, sur près de 130 planches, tous les moments du massacre qui causa la mort de dix personnes et fit une centaine de blessés. Il fallait d’abord décrire les conditions de travail, extrêmement pénibles sous le soleil et dans une lumière aveuglante. Il suffit alors de peu de choses, un mot de trop, une insulte inutile, pour qu’une étincelle embrase le chantier.
Les auteurs s’attachent alors à reconstituer l’engrenage infernal, multipliant les dessins pour rendre compte des accrochages qui s’ensuivent, des coups qui pleuvent et du racisme qui monte en puissance. D’un côté, les « trimards » ; de l’autre, les « macaroni ». Ils se battent et ne peuvent plus s’arrêter, menés, manipulés par des forts en gueule qui ont, ancrée en eux, la haine de l’étranger. Côté patron, on ne voit pas le danger. La vie bourgeoise et confortable crée des œillères (surtout quand on paie moins cher les Italiens). Quand la réalité s’impose et qu’il faudra des forces de l’ordre pour tenter de calmer le jeu, ce sera trop tard, d’autant que les forces de l’ordre seront très insuffisantes pour arrêter cette guerre et cette folie qui menacent bientôt la cité elle-même car « la chasse à l’ours » [l’étranger] est lancée…
Fred Paronuzzi a construit de main de main de maitre cette tranche d’histoire : les dialogues sont affutés : « La ville se met à gronder d’une colère folle. La foule réclame qu’un sang impur abreuve les salins. », écrit-il. Les personnages sont à la fois pittoresques et mémorables et le dessinateur, répétons-le, a découpé avec beaucoup d’efficacité et d’imagination ces longues scènes de combats.
Un petit dossier apporte des informations complémentaires sur le commerce du sel à Aigues-Mortes et sur le procès qui s’ensuivit, à Angoulême. Malgré des preuves accablantes, les 26 inculpés seront acquittés.
Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« De sel et de sang » par Vincent Djinda et Fred Paronuzzi
Éditions Les Arènes (22 €) – EAN : 9791037506320
Parution 19 mai 2022
P.-S. C’est évidemment le moment de relire « Macaroni ! » de Thomas Campi et Vincent Zabus, paru chez Dupuis en 2016. Voir chronique ici-même.