Pour la première fois, la célèbre saga historique de Ken Follett aux millions de lecteurs est adaptée en bande dessinée. Adaptation rigoureuse de l’œuvre par Didier Alcante, d’après la traduction effectuée par Jean Rosenthal en 1990. Cette épopée médiévale est réalisée avec le concours de Steven Dupré : un talentueux dessinateur dont la carrière éclectique trouve ici son point d’orgue. Un voyage initiatique au temps des bâtisseurs de cathédrales, dont ce second opus confirme les promesses du premier (1). Une série annoncée en six albums, incontournables pour les amateurs de bandes dessinées historiques.
Lire la suite...« Agata » : violences et passions dans les années trente…
Depuis la fin du tome 2, Agata, qui avait commencé à chanter à Broadway, est surveillée et logée luxueusement par le chef de la mafia Lucky Luciano, pour s’assurer de son silence sur l’enlèvement du petit Pete et sur les activités du gang. L’album s’ouvre en 1933, sur les annonces fortes du procureur Dewey : saisies, traques, appels à la population pour coopérer… Devant cette pression, les associés mafieux de Luciano demandent l’arrêt de la carrière publique d’Agata et son éloignement, menaçant de liquider Pete et la famille polonaise. Après une dernière entrevue émouvante avec Luciano, qui lui confie son enfance cruelle ayant forgé son esprit de revanche et sa dureté, elle quitte Boston pour retourner à Chicago, vers sa famille. Règlements de comptes entre truands, violence des gangs, avancées de la police avec des enquêtes de plus en plus serrées et arrestations de chefs sont au rendez-vous de la clôture en beauté de cette trilogie : un épisode fourni, superbement mis en scène, comme les précédents. Olivier Berlion, dessinateur et scénariste de ce beau cycle, a accepté de répondre à nos questions à la suite de cette chronique.
Agata noue une belle amitié avec Andy, son très respectueux garde du corps. Luciano n’a pas réussi à la conquérir, mais continue à la protéger, y compris contre ses associés, plus sanguinaires que lui, lesquels commencent à paniquer. Effectivement, les progrès de la police, soutenue par une convergence et une détermination politique (Roosevelt, E. J. Hoover, et La Guardia, le nouveau maire de New York) menacent de plus en plus leurs activités et même leur existence. Dutch, un truand incontrôlable, commence à être dangereux avec ses initiatives violentes, autant isolées qu’imprévisibles. Et, s’il est pris, il dévoilera ce qu’il sait des gangs : il sera donc liquidé. La police commence à arrêter des chefs mafieux. Eunice, une employée d’un procureur, se met au service de Dewey, plus volontariste, pour établir les preuves d’un grand trafic de prostitution : ce qui peut mettre en cause Lucky Luciano. En parallèle, une autre vie attend Agata à Chicago, et surtout le début d’une histoire avec James : le jeune homme déjà côtoyé dans sa communauté polonaise.
Toutes les qualités des deux albums précédents sont réunies dans ce dernier tome : scénario prenant etfourmillant d’étapes variées, mise en image très cinématographique, reconstitution minutieuse des lieux et de l’époque… Les scènes d’actions spectaculaires ou violentes, montrant des mitraillages en costumes sur mesure impeccables, alternent avec des scènes intimistes, approfondissant la psychologie des personnages. Ceux-ci ne sont pas d’un bloc, plus complexes et finalement attachants : Luciano en premier, puis Andy qui prendra des risques pour Agata et qui poursuivra sa propre route en épilogue. Comme dans les grands films cités, on se sent au plus près de la vie réelle (ou fantasmée) des mafieux de ces années Arts déco : entre la vulgarité brutalement sanglante et l’élégance raffinée des vêtements bien coupés et des immeubles de luxe.
Avec exactitude et style, Berlion réussit à faire vivre un univers maintenant lointain, avec ses rues, ses bâtiments, ses mobiliers et décors parfaitement rendus. La comparaison avec les meilleurs films sur l’époque ne s’arrête pas là : le sens du cadrage, la variété des angles de vue, la justesse des personnages et le rythme en font un metteur en scène… sur papier.
Ce n’est donc que justice de lui reconnaître un grand talent et c’est une évidence de voir cette trilogie comme une marque dans la BD réaliste. Et maintenant, place à l’auteur pour ses explications : comme un bilan sur l’ensemble. Un blog existe, avec un bon nombre d’extraits, recherches et visuels inédits tirés de ses principales séries : https://olivierberlion.blogspot.com.
Voir aussi ici nos chroniques des tomes 1 et 2 : Olivier Berlion : Le 9e art et l’art du crime… et Les vrais durs ne dansent pas : Agata chante !.
Entretien avec Olivier Berlion
BDzoom.com —Cette belle trilogie est maintenant achevée. Expliquez-nous un peu sa genèse, votre motivation, pour une histoire aux décors exigeants, avec des personnages historiques…
Olivier Berlion —C’est une succession de hasards. Un dessinateur m’a demandé un scénario : il voulait une histoire de gangsters. Mais, pris par un autre projet, il n’a pas pu le faire. Pour moi, il s’agissait finalement d’une bonne occasion ; cela m’a donné envie de la dessiner ! Après « Le Juge » et « L’Art du crime », pour lesquels j’avais écrit les scénarios et les dessins (sauf pour les dessins de « L’Art du crime », tomes 2 à 8), il me fallait un autre projet excitant. On m’étiquette dessinateur, mais je suis aussi scénariste, et ici je souhaitais avoir les deux rôles.
BDzoom.com —En lisant tout ce cycle, on ne peut pas s’empêcher de penser à certains grands films sur la mafia de cette époque : ceux de Coppola (« Cotton Club », « Le Parrain »), De Palma (« Les Incorruptibles ») ou même Leone (« Il était une fois en Amérique »). Vous ont-ils inspirés d’une façon ou d’une autre ?
Olivier Berlion — Oui, absolument. Surtout « Cotton Club » qui m’a beaucoup marqué depuis que je l’ai vu, quand j’étais jeune. Dans celui-ci et ceux que vous citez, et quelques autres, il y a une iconographie riche, très intéressante, car souvent exacte : une reconstitution et une mise en scène impressionnantes. Et plus récemment, j’ai beaucoup apprécié « Boardwalk Empire », une série de HBO qui se passe pendant la Prohibition. J’ai naturellement accumulé beaucoup de documentation pour ma trilogie, et donc principalement sur les films qui sont les sources les plus accessibles. Je ne suis pas cinéaste, mais je vois, je raisonne un peu comme si j’en étais un, avec les notions de plans, de cadrages, dans la succession des cases, la mise en scène graphique… Le public ne le voit pas forcément, surtout en première lecture, mais il y a un soin particulier dans le contenu des cases, pour l’expressivité, la variété des angles de vue, la narration…
BDzoom.com — Effectivement, on l’a remarqué ! Justement, quelles ont été les difficultés particulières, les défis à surmonter pour représenter cet univers : architecture, décors, costumes, voitures, mobilier… ?
Olivier Berlion —C’est d’abord le fait de mélanger une fiction (l’histoire d’Agata) et la réalité historique (gangsters, police, la politique des années 1930, etc.). Le contexte est réel, ces faits appartiennent à l’Histoire, et mon histoire a sa résolution avec l’arrestation de Luciano en 1936. J’ai lu ses mémoires, ce qui m’a permis de bien situer cette époque et de mieux cerner le personnage.
Lui qui s’efforçait de ne pas avoir de liaison sentimentale pour se préserver des pressions, et qui n’a été concerné que de loin par la prostitution, tombe pour une accusation de proxénétisme. J’ai été amené à imaginer son comportement intime, sa dimension psychologique. Et puis, en défis, il y a évidemment les reconstitutions d’époque : les intérieurs et leurs mobiliers, les armes, costumes, j’ai tout fait pour être au plus près. Lorsque je dessine une rue précise parce qu’elle est le lieu historique d’un fait, je m’efforce de la dessiner comme elle était, et pas une autre pour faire plus joli…
BDzoom.com —À votre avis, quelle est la place de ce cycle dans votre carrière déjà riche ? Ces trois albums ont-ils marqué un progrès, des étapes franchies ?
Olivier Berlion — Depuis longtemps, c’est la première fois que je faisais absolument tout : scénario, dessin, couleurs. Chaque album m’a pris plus de temps que prévu.
Déjà la phase du scénario, un peu comme un film hollywoodien (toutes proportions gardées !), c’est long : jusqu’à six mois pour le dernier tome, que je voulais peaufiner. Et comme le nombre de planches (entre 70 et 80) est supérieur à celui d’un album standard, le dessin prend au moins un an, souvent plus.
J’ai tout donné, peut-être un peu trop, car je suis allé jusqu’à l’épuisement (burn-out). Le premier album a été très bien reçu, y compris par la profession, et il a marché correctement, mais rien n’est garanti.
BDzoom.com —On parle ici et là de vos projets, pouvez-vous nous en dire plus ?
Olivier Berlion —Mon prochain album sera « Pacotille », écrit par Corbeyran (un bon complice que je connais depuis longtemps), avec la collaboration d’Aurélie Bambuck.
C’est une BD au style plus léger, plus minimaliste, mais au thème fort : l’esclavage à hauteur d’enfant, en Afrique. L’album est prévu pour sortir en septembre.
Patrick BOUSTER
« Agata T3 : L’Étoile du sud » par Olivier Berlion
Éditions Dargaud (18 €) — EAN : 978-2-344041727
Parution 22 juin 2022.