Le 3 décembre dernier à Strasbourg, le Conseil de l’Union européenne a approuvé le déclassement du loup dans l’échelle des espèces animales à protéger. Il est ainsi passé d’espèce « strictement protégée » à « protégée », ce qui a pour conséquence de faciliter son abattage. La raison invoquée pour cette modification est une mesure de protection du bétail face à une augmentation de la population lupine. Invité sur le plateau de Millevaches durant une année, le dessinateur Troubs s’est penché sur la question de la cohabitation entre le loup et l’homme… et rend compte de ce travail.
Lire la suite...L’histoire tragique d’un réfugié entre l’Érythrée et les côtes européennes…
On ne quitte pas son pays et toute sa famille de gaieté de cœur. Derrière chaque réfugié il y a une vie de souffrances, de drames parfois indicibles. L’auteur espagnol Ximo Abadía a traduit, dans un style graphique d’une grande force évocatrice, la courte vie d’un jeune Érythréen croisé sur un quai de Valence, d’où il débarquait d’un navire de secours sillonnant la Méditerranée. Désormais, Natan Getachew n’est plus un sans papier anonyme, mais une figure tragique des migrations contemporaines.
En 1993, l’Érythrée devient indépendante après des années de guerre contre son voisin éthiopien. La joie est de courte durée pour la population civile de cet état de l’Est du continent africain, riverain de la mer Rouge. Comme souvent dans la Corne de l’Afrique, une dictature féroce se met en place, laquelle opprime toute volonté de démocratie. C’est pour cela que le père du tout jeune Natan, quatre ans, décide d’émigrer vers l’ancien pays ennemi. Sa femme reste dans le pays pour aider d’autres personnes à partir. Natan ne la reverra jamais, car commence pour lui une longue odyssée sans retour possible.
C’est peu de dire que Natan et son père sont mal accueillis à Addis-Abeba : les blessures liées à 30 ans de guerre ne sont toujours pas refermées. Il leur faut construire une maison avec des tôles et des sacs plastiques dans un bidonville de la mégapole, puis vivre de travaux informels.
Sans argent, tiraillés par la faim, ils en sont réduits à trouver à manger dans les poubelles et chercher de l’eau à la fontaine la plus proche, à 20 km de leur abri de fortune. Natan grandit dans cet univers menaçant.
Comme il lui faut travailler pour pouvoir survivre, il va peu à l’école. Ses amis, Amari, Yoannes, Sofi et lui subissent le racisme et la violence de leurs camarades éthiopiens. Natan quitte vite le collège quand son père tombe gravement malade. Il travaille durement pour avoir de quoi le soigner jusqu’au jour où il décide de quitter le pays.
Parce qu’il manifeste ou qu’il aide des personnes à partir à leur fabriquant de faux papiers, Natan doit faire face à la violence policière, puis à la prison. Il s’évade et rejoint son père. Ce dernier ne veut pas d’un fils mort. Il lui a préparé un paquetage avec des vêtements, de la nourriture ainsi qu’un peu d’argent et payé un passeur pour qu’il puisse se rendre au Soudan.
Pendant que son père s’abîme dans la consommation de khat, une drogue douce locale qui calme la faim (mais provoque des phases de dépression et de paranoïa), Natan entame un périple qui le mène plus loin que prévu. Il passe ainsi du Soudan au Tchad, puis de l’Égypte à la Libye, avant de se retrouver perdu en mer sur un radeau de fortune. Le navire de sauvetage l’Aquarius le recueille, ainsi qu’une centaine de réfugiés. C’est sur un quai du port espagnol de Valence qu’il croise, en juin 2018, le bédéaste Ximo Abadía. Celui-ci décide de raconter les étapes de sa courte vie pour porter témoignage des souffrances de ces migrants qui risquent leur vie pour arriver en Europe.
La lecture de « Khat, journal d’un réfugié » vous prend aux tripes de la première à la dernière page. C’est un témoignage poignant, indiscutable, qui donne chair et vie à tous ces migrants anonymes qui parfois meurent dans l’indifférence presque générale lors d’une traversée tragique de la Méditerranée. Ce récit choc de peu de mots est porté par des images tout aussi prenantes.
C’est à la craie grasse que Ximo Abadía a dessiné des planches aux couleurs flamboyantes. Cela ajoute de l’authenticité à une odyssée dense. L’artiste joue sur les couleurs : du noir profond en cas de crise grave, de dépression profonde ou de menace de mort à des couleurs éclatantes pour souligner la violence de la torture ou au contraire de courts instants de joie de vivre.
Des planches aux formes presque abstraites se comprennent tant elles sont intégrées à un récit d’une grande fluidité. Sans contour de cases, les dessins parfois se rejoignent pour marquer un effet de foule, souligner un détail ou la solitude d’un personnage. Abadía différencie dans son récit les réfugiés, silhouettes longilignes, hâves et maigres, des représentants de l’autorité tout en rondeurs menaçantes.
Ce percutant témoignage biographique est une œuvre dessinée majeure. Ce récit à hauteur d’homme peut s’apprivoiser dès les années collèges, dès 12 ans ; l’âge pivot de Natan quand il doit prendre son destin en main et s’apprêter à tout quitter : son père après sa mère, son continent après son pays d’origine. À lire et à partager pour mieux comprendre le monde et les hommes d’un début de XXIe siècle instable et dangereux.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Khat, journal d’un réfugié » par Ximo Abadía
Éditions La Joie de lire (22,90 €) – EAN : 978-2-88908-596-5
Parution 17 juin 2022