Ansor. Hendrikus Ansor, commissaire de son état. Imaginé par le dessinateur Olivier Wozniak et le scénariste Patrick Weber, le fin limier ostendais revient dans une deuxième enquête qui prend corps dans la prestigieuse station thermale de Spa, en Belgique wallonne. Le lieu, le genre, le style, tout concourt à faire des enquêtes d’Ansor un futur classique.
Lire la suite...« Les Tuniques Bleues T66 : Irish Melody » : la charge de la brigade…
C’est désormais sans le regretté Raoul Cauvin, disparu en août 2021, que les célèbres Tuniques bleues poursuivent leurs aventures durant la guerre de Sécession. En octobre 2020, un 65e tome (« L’Envoyé spécial ») avait été imaginé par le tandem scénaristique BeKa (Caroline Roque et Bertrand Escaich) et dessiné – une fois n’est pas coutume – par Munuera. Pour ce nouvel opus, « Irish Melody », c’est Kris qui, en compagnie de l’infatigable Willy Lambil, entraîne Blutch et Chesterfield à côtoyer en 1862 les membres de la Brigade irlandaise… Pour le meilleur et pour le rire, toujours pour dénoncer les absurdités des combats !
Fin août 2019, craignant de tourner en rond, Cauvin annonçait sa décision d’interrompre la scénarisation des « Tuniques bleues ». Prenant le soin de laisser à son complice un 64e tome entièrement scénarisé, « Où est donc Arabesque ? », Cauvin perturbera néanmoins quelque peu le calendrier éditorial prévu par Dupuis : finalement publié en octobre 2021, ce tome 64 sera, par conséquent, doublé par « L’Envoyé spécial », paru dès l’automne 2020 en tant que le volume 65… afin de combler un vide. Après moultes hésitations, Lambil, qui avait entretemps décidé de poursuivre vaille que vaille, a donc dessiné ce soixante-sixième album ; un ouvrage qui permet à la chronologie des parutions de retrouver quelques semblants de normalité.
Grand admirateur de la série et notamment de « L’Or du Québec », Kris – qui avait jadis imaginé pas moins de 26 titres et couvertures inédites pour Blutch et Chesterfield ! – réalise là un véritable rêve d’enfant. Une aspiration doublée d’un indéniable défi. Fort heureusement, très connu pour son habileté à mettre en scène l’Histoire dans divers registres (« Notre mère la guerre », « Svoboda! », « Les Brigades du temps » ou « Violette Morris, à abattre par tous les moyens »), l’homme a su se montrer convaincant. Bonus supplémentaire : l’idée irlandaise plait beaucoup à Lambil, qui profite ainsi d’un peu de changements graphiques en termes de costumes, personnages et décors. Kris, faut-il s’en souvenir, a déjà mis plusieurs fois les terres irlandaises au cœur de ses intrigues : « Coupures irlandaises » (2008) et « Partitions irlandaises » (2022).
Au cœur de ce 66e album (dont le titre pourra rappeler celui d’un album éponyme de Franz en 1994, pour sa série « Lester Cockney ») figure donc la fameuse Brigade irlandaise, composée de soldats nordistes originaires de l’Éire. En ce 17 mars 1862, en Virginie, ils célèbrent la Saint-Patrick, n’hésitant ni à organiser des courses d’obstacles à cheval (steeple-chase), ni à se déguiser en leprechaun, le folklorique et espiègle farfadet local (voir la couverture), violon (fiddle) en prime. Naturellement, l’intrigue se veut plus complexe qu’un simple étalage des us et coutumes irlando-américaines. Ainsi, voici qu’un soldat de cette Irish Brigade croit reconnaitre en la personne du sergent Chesterfield un lointain cousin. Avec sa chevelure russe et son sale caractère, ce brave Cornélius (Corny !) serait-il d’origine irlandaise sans le savoir ? Parions que la recherche – ou la révélation – de ces mystères généalogiques l’amène à devoir faire des choix… cornéliens.
Au-delà du comique de situation, des quiproquos ou des jeux de mots, le titre permet une nouvelle fois de creuser les arcanes d’un conflit qui, de 1861 à 1865, préfigura les guerres mondiales. Entérinée en septembre 1861 par le ministre de la guerre, la brigade irlandaise se fera notamment reconnaitre pour son cri de bataille, le « Faugh a Ballaugh », signifiant littéralement « Dégage du chemin » ! Composée aux origines par les soldats de trois régiments new-yorkais (dont le Fighting 69th), elle sera renforcée par des volontaires ou des immigrants de même nationalité. De Bull Run à Cold Harbor en passant par Antietam ou Gettysburg, la brigade paiera cependant un très lourd tribut humain ; sa force de combat passe ainsi de 1 600 à 256 hommes pendant la seule bataille de Fredericksburg, le 13 décembre 1862 en Virginie. Suite à ce désastre, la brigade sera peu à peu recomposée, de nouveau réduite puis finalement dissoute en 1864.
Au dessin, malgré quelques faiblesses dans la physionomie des héros, Lambil montre toujours un exceptionnel talent pour composer cases, planches et décors naturels. Villes et campagnes, camps militaires ou pubs irlandais, navires ou champs de batailles, dont de dramatiques scènes enneigées, voici longtemps que l’on n’avait pas observé une telle diversité de paysages et une telle foule de soldats dans la série. Autre signal positif notable : alimenté par les conséquents dialogues de Kris, storyboardé au préalable par Emmanuel Michalak (Lambil ayant été de tous temps habitué aux scénarios dessinés de Cauvin…), l’album se dévore moins rapidement qu’à l’accoutumée. Nul doute que le scénariste se retrouve ici aussi inspiré que le fut Cauvin pour faire prendre conscience des horreurs de la guerre… Jusqu’à l’absurdité lorsque, sur le champ de bataille de Fredericksburg, des Irlandais se retrouvent confrontés à d’autres Irlandais. Mieux vaut une chanson : les Tuniques nous offrent une belle ballade (humoristique) irlandaise.
Philippe TOMBLAINE
« Les Tuniques Bleues T66 : Irish Melody » par Willy Lambil et Kris
Éditions Dupuis (10,95 €) – EAN : 979-1034747931
Parution 30 septembre 2022