Buck Danny, Jerry Tumbler et Sonny Tuckson forment un trio inséparable depuis bientôt 80 ans. Après que la plume de Yann nous a fait découvrir les débuts du jeune Buck Danny, c’est au tour de Frédéric Zumbiehl et Patrice Buendia de nous évoquer les jeunes années de Sonny Tuckson. Une histoire pleine d’émotion, non dénuée d’humour et au délicieux parfum fleurant les années 1950, illustrée par le crayon respectueux de l’Italien Giuseppe De Luca. Nostalgie, quand tu nous tiens !
Lire la suite...« Les Aventures de Théodore Poussin T7 : Cocos Nucifera Island » : un autre voyage vers des îles salutaires ?
Régulièrement, Frank Le Gall (longuement interviewé en fin d’article) fait une escale en terre éditoriale pour nous rappeler à quel point sa série maritime, amarrée dès 1984 au journal Spirou, est l’une des plus abouties qui soient. Ce mois-ci, Dupuis présente le tome 7 de la nouvelle édition des « Aventures de Theodore Poussin ». Baptisé de manière intrigante « Cocos Nucifera Island », cette intégrale rassemble en vérité le diptyque indonésien composé des anciens tome 12 «Les Jalousies » et 13 «Le Dernier Voyage de l’Amok » : deux récits miroirs qui remettent toute la saga en perspective… En attendant la suite !
Parti de Dunkerque en 1927 dans le premier volume (« Capitaine Steene », 1987), notre héros au crâne chauve passait du statut de sage employé de bureau dans une compagnie maritime à celui d’aventurier, lancé sur les traces de son oncle disparu depuis dix ans à Haiphong (Indochine). Bien des péripéties et rebondissements plus tard, en décembre 1933, Théodore devint – avec l’aide de Martin et M. Novembre – l’heureux propriétaire… d’une cocoteraie, plantation prospère installée sur une île de l’archipel indonésien. Filant un parfait amour avec Chouchou Bataille, ancienne connaissance et fille du résident général de Malaisie, Théodore devra néanmoins affronter les ombres d’un passé supposément bien enfoui. Dépossédé de son domaine par le sanguinaire capitaine Crabb, notre héros demande justice en rassemblant à bord de son navire un équipage de gros bras, puis en demandant l’aide de la puissante Aro Satoe, cheffe d’une bande de trafiquants. Le voyage de l’Amok sera-t-il le dernier ?
Déclinée en 13 tomes parus entre mai 1987 et avril 2018 (voir nos chroniques précédemment consacrées aux « Cahiers Theodore Poussin » et au « T13 »), remaquettée à partir de 2016, la série de Le Gall a perpétuellement navigué entre deux eaux : celles, agitées, de la grande aventure sous les tropiques, et celles, plus troubles et plus profondes, de la quête intérieure, sous les embruns des influences littéraires (en vrac et entre autres, Conrad, Hemingway, Verne, Mac Orlan ou Monfreid). Les différents titres doivent eux-mêmes être compris comme étant la synthèse des réflexions et références de leur auteur. Ainsi de « Cocos Nucifera » – le nom latin de la noix de coco – qui résonne ici, accolé au mot island, tel le titre d’un film américain (« Shutter Island »). Très tintinesques, conjuguant même l’humour potache dans les relations tissées par le héros avec ses compagnons, les aventures de Poussin iront vers plus de sérieux au fur et à mesure que Théodore gagnera en maturité. Devenu un homme, devant protéger sa dulcinée, il deviendra aussi plus amer, violent, désormais prêt à tout pour défendre honneur et foyer. Mais hésitant encore à tuer son ennemi…
Depuis juin 2020 et un tome 1 intitulé « Premières Aventures », les « Aventures de Theodore Poussin » sont rééditées en intégrales, chaque volume regroupant trois anciens albums sous un visuel de couverture inédit. Outre la parution du « Dernier Voyage de l’Amok » en avril 2018, la série initiale s’est poursuivie en parallèle, en février 2020 et octobre 2021, avec deux nouveaux « Cahiers Theodore Poussin » (n° 5 et n° 6 ; 2 500 exemplaires non numérotés pour chacun), titrés « Aro Satoe » et amorçant donc la suite de l’aventure. Pages encrées, crayonnés, page couleur et recherches annexes permettront ici aux lecteurs de suivre la genèse de Théodore, en une lente maturation qui précède la parution de l’album.
Résumons pour ceux qui auraient raté ces deux épisodes (un troisième étant encore à paraître, afin d’achever ce futur 14e opus) : en juillet 1934, après s’être défendu contre des pirates, l’équipage de l’Amok se retrouve en prison, risquant la peine de mort. Alors qu’il passe du bon temps avec la belle trafiquante Aro Satoe, Poussin est informé du destin qui attend ses camarades. En parallèle, il se retrouve pourchassé à son tour par les autorités britanniques, qui veulent en finir avec la piraterie. Réfugiée avec sa dulcinée dans les profondeurs insulaires, poursuivi par l’impitoyable et zélé major Anderson, Théodore ne devra compter que sur son intelligence et sur la nature – hostile – pour survivre… Un autre voyage vers d’autres ÃŽles du Salut ? « À suivre », nécessairement…
Tout en sirotant un lait de coco, nous avons interrogé un loup de mer rouennais qui déambulait sur les quais. Son nom ? Un certain Frank Le Gall ! (Un grand merci à lui pour ses réponses détaillées).
« Theodore Poussin », toujours plus sombre et introspectif, mais sans nuire à la « grande aventure » : quels nouveaux angles éventuels, entre les tomes 13 et 14 ?
F. Le Gall (F. L. G.) : « En fait, « Cocos Nucifera Island » n’est pas, pour une fois, un récit parfaitement complet, au regard des tomes précédents. Il ne le sera que lorsque j’aurai fini le prochain album (dont je te parlerai plus loin). C’est-à -dire que le récit complet devrait, théoriquement, être constitué des « Jalousies », de « L’Amok », d’« Aro Satoe » et du prochain (titre encore incertain pour le moment). Cela fait que l’éditorial a préféré publier déjà les deux premiers tomes de ce récit, puisque j’étais en plein « Aro Satoe » quand l’album a été conçu et programmé. J’ignore si, dans un futur difficile à déterminer, ils publieront vraiment l’ensemble, les quatre volumes de cette histoire. Ça représenterait un sacré recueil, en termes de pages, d’autant que mes histoires ont tendance à s’allonger : 62 pages pour « L’Amok », et 76 (mon record) pour « Aro Satoe »… quant au prochain, je ne sais pas encore. »
« Cela dit, là où il ne faudrait pas prendre ce récit complet pour une « arnaque éditoriale », c’est que seuls les deux premiers volumes de cette longue aventure concernent la cocoteraie (d’où le titre). Ensuite, l’histoire se poursuit, mais celle de la cocoteraie est bel et bien terminée. En gros, il y a comme une césure bienvenue dans ce long récit, césure qui justifie la publication de ces deux albums ensemble. »
« Pour répondre plus précisément à ta question, ce Théodore « plus sombre et introspectif » obéit à la logique du long récit que je me suis proposé de faire. Il est en proie à de nombreux doutes, quant à ce désir auquel on ne croit pas vraiment, de poser ses bagages et de diriger une paisible cocoteraie, et à l’amour, avec la réapparition de Chouchou – doutes qui se précisent avec l’arrivée d’Aro Satoe. Il m’est difficile d’en dire davantage pour le moment, alors que la partie finale de ce récit n’est pas encore écrite, désolé. »
Dans « Le Dernier Voyage de l’Amok », le personnage d’Aro Satoe est une statue (grecque !) du commandeur à elle toute seule : t’es-tu inspiré d’un personnage réel pour imaginer cette fière trafiquante ?
F. L. G. : « Le personnage d’Aro Satoe ne sort pas complètement de mon imaginaire. Il trouve son origine dans un livre publié en 1934, et qui relate les histoires (dont personne n’a entendu parler, ce qui met fortement en cause leur authenticité) de « pirates, flibustiers et négriers » en Malaisie, à des périodes qui sont rarement déterminées. C’est ainsi que l’auteur rapporte l’histoire invraisemblable d’un sultan de Balabac (de l’aveu de l’auteur, l’île de Balabac, en Malaisie, est « peu connue entre les îles »… De là à penser qu’elle n’a jamais existé, il n’y a qu’un pas) qui aurait eu trois filles aux destins rocambolesques, la deuxième de ces filles s’appelant Aro Datoe, oui, avec un « d ». Elle se serait rendue célèbre par ses actes de piraterie particulièrement sauvages et cruels. L’idée d’une femme pirate m’avait plu immédiatement, mais j’ai largement ramené ce personnage bien peu crédible à quelqu’un ayant possiblement existé. Le nom Satoe, pour commencer, m’a paru plus littéraire et agréable que Datoe. Quant à l’idée d’en faire une Française d’origine lituanienne, ayant travaillé dans la mode : j’avais découvert avec passion l’histoire d’Alix Grès, grande couturière qui habilla Marlène Dietrich, Greta Garbo, Arletty et autres « princesses mondaines » dans les années trente (sa société Alix couture a été fondée en 1934, précisément, mais elle avait exercé ses talents ailleurs, et était célèbre depuis longtemps déjà ). Son style était inspiré de l’Antiquité et ses drapés en jersey étaient inimitables. Le rôle d’un auteur consiste à agiter tout cela dans un shaker et à en sortir un personnage ayant travaillé dans la mode avant de devenir, par le plus grand des hasards, une pirate en Malaisie – toutes choses qui ont été imaginées pour l’album « Aro Satoe », le personnage se présentant dans « L’Amok », en effet, comme une statue grecque portant une robe très osée, et dont le modèle exista réellement. Dans le même ordre d’idées, Nana Sahib, dans « Aro Satoe », est également un personnage inspiré de ces légendes malaises et largement remanié par mes soins. »
Ton trait s’est modifié d’un album au suivant : peut-être plus noir, un peu plus réaliste par endroits : une atmosphère plus lourde, également traduite au travers des nouveaux visuels de couvertures de l’intégrale des aventures. Est-il si simple de les concevoir, plusieurs années – voire décennies – après la parution des premiers albums ?
F. L. G. : « Oui, mon dessin a changé d’album en album. Ça tient à ma nature profonde. Je n’ai jamais voulu m’enfermer dans un style, pour la raison que, dans mon idée, ce qu’on appelle généralement « style » n’est qu’un ensemble de tics et de manies. À titre d’exemple, je dirai que, lorsque j’ai trouvé un moyen personnel de restituer telle ou telle chose, que ce soit sur les personnages ou les décors, je m’empresse de l’abandonner afin de ne pas être victime de systématisation. Pour moi, c’est le piège qui guette le dessinateur de bandes dessinées. J’ai toujours suivi mon instinct, en fait. Et c’est très naturellement que mon dessin s’est fait plus réaliste. »
« De la même manière, « Les Jalousies » était un album au dessin direct, exempt de fioritures, à l’encrage marqué, je dirais presque « autoritaire », tandis que pour « L’Amok », je me suis amusé à restituer des gris à coups de hachures et de petits traits de plume – plutôt un travail de fourmi. Ce qui m’a amené à dessiner « Aro Satoe » de façon plus spontanée, en travaillant avec de nouveaux outils (pas d’ordinateur, non, surtout pas, mais plus de plume) et de nouvelles techniques. Je ne vois pas l’intérêt qu’il pourrait y avoir à me répéter d’album en album, même si je sais que la plupart des séries reposent sur ce principe d’identification immédiate du « style ». Mais tout cela est un débat bien ample qu’il me serait difficile de lancer ici en quelques mots… »
« Pour les couvertures, j’ai trouvé beaucoup de satisfaction à les revisiter avec mon dessin actuel, et sur un an de temps, en ce qui concerne les 12 premiers tomes. Ça m’a permis de donner une unité à la collection, unité qu’il n’y avait pas, puisque ces 12 couvertures avaient été réalisées entre 1987 et 2005, ce qui m’avait largement laissé le temps de changer mon fusil d’épaule. Cela dit, voilà qui contredit un peu ce que j’ai dit à propos du style. Idéalement, j’aurais dû conserver et assumer les couvertures d’époque. Mais il se trouve qu’au moment de « L’Amok », réalisé longtemps après « Les Jalousies », la collection Repérages n’existait tout simplement plus, et que nous avions à rééditer les précédents tomes dans un nouveau format. D’où l’idée d’une refonte des couvertures, un procédé auquel je suis habituellement opposé, pour l’avoir trop souvent vu pratiqué par certains éditeurs désireux de faire du neuf avec de l’ancien. Mais j’avoue avoir eu beaucoup de plaisir à revisiter l’univers du « Mangeur d’archipels ou de « Marie vérité », pour n’en citer que deux… »
« Aro Satoe », donc, s’est lentement dévoilé depuis 2020, au fil des deux « Cahiers » déjà parus : à quand le 3e volet de ce making-of ? À quand l’album ? Et après ?…
F. L. G. : « Ah, voilà venir des questions qui réclament des réponses plus simples, merci ! Le troisième « Cahiers Théodore Poussin », la fin d’ « Aro Satoe », sortira le 6 janvier. L’album suivra, le 27 janvier, et sera précédé d’un tirage de luxe numéroté et signé, en fac-similé noir et blanc, comme pour les « Cahiers », mais au format 30×40. Et l’édition courante du 27 janvier sera prolongée d’un tirage de tête de 1 000 exemplaires augmentés d’une jaquette et d’un dessin de frontispice numéroté et signé, comme pour « L’Amok ». Et après, demandes-tu ? Après, même si l’histoire d’ « Aro Satoe » est complète en soi, certaines questions en suspens trouveront leur résolution dans la prochaine histoire. J’en suis encore à élaborer l’histoire, et ce depuis quatre ans (j’ai constaté que mes premières notes sur cet album dataient de 2018 !), mais je vais me lancer bientôt dans l’écriture proprement dite avant longtemps. Mais, tant que rien n’est écrit, je ne puis me hasarder à en parler davantage – l’écriture réserve bien des surprises. »
En 2024, Theodore fêtera ses 40 ans d’existence : un événement ou un ouvrage particulier est-il déjà à l’étude ?
F. L. G. : « Eh bien, je crois qu’il est prévu un « beau livre », selon l’expression consacrée, sur « Théodore Poussin ». Je serais bien en peine de t’en dire davantage, notamment sur le contenu, ha ha ! Car, 2024, c’est encore un peu loin pour nous, et nous avons d’autres livres sur le feu : le prochain « Théodore » et « 23 Skidoo », un projet très ambitieux, voire curieux, écrit par ton serviteur et dessiné par le jeune prodige Damien Cuvillier, avec qui j’avais déjà fait « Mary Jane ». Mais il est trop tôt, là aussi, pour en parler… Ce livre-là devrait compter entre 300 et 400 pages (à l’époque où le papier se fait rare, c’est une bonne idée, non ?), et je suis incapable d’en dire le nombre exact, car je n’ai pas écrit ce texte comme un scénario découpé, mais comme quelque chose qui tient à la fois du théâtre et du roman. Mais nous aurons bien le temps d’en reparler… »
Philippe TOMBLAINE
« Les Aventures de Théodore Poussin T7 : Cocos Nucifera Island » par Frank Le Gall
Éditions Dupuis (23,00 €) – EAN : 9791034752577
Parution 30 septembre 2022
Frank Le Gall est un grand auteur. A quand la reconnaissance suprême à Angoulême ?
On peut supposer que le beau livre dont parle flg soit un ouvrage de la belle collection Dupuis / Champaka « une vie en dessins »