Avec « Le Tombeau des chasseurs », le talentueux Victor Lepointe évoque la tragédie collective d’une bataille vosgienne en 1915 et, plus encore — par le regard de l’un d’eux, Victor Granet —, scrute l’intimité des sentiments de ces chasseurs alpins sacrifiés. Plongée dans la si mal nommée Der des ders…
Lire la suite...« Les Passagers du vent » T9 : la dernière escale de François Bourgeon…
Mis à flots en juillet 1979 dans le périodique Circus, « Les Passagers du vent » de François Bourgeon ont révolutionné la bande dessinée historique, tout autant que la place accordée aux personnages féminins : 43 ans plus tard, la série – débutée avec les gréements du XVIIe siècle – trouve sa conclusion entre rails, terres et flots, après la Commune de Paris. Après avoir vengé son amie Klervi, blessée au couteau par son ancien souteneur, Zabo décide de l’emmener jusqu’en Bretagne. Et elle se souvient de ses traumatismes : de la perte de son mari lors de la Semaine sanglante à sa déportation, dix années durant, en Nouvelle-Calédonie… Une ultime leçon d’Histoire, narrée et documentée de manière époustouflante.
Récapitulons… Sans l’annoncer en couverture, Circus n° 18 démarre en juillet 1979 la prépublication de « La Fille sous la dunette » (voir notre analyse de planche), premier opus des « Passagers du vent » qui dévoile les charmes et la fière volonté d’Isabeau de Marnaye. Surnommée Isa par Hoel, le gabier qui vient de la découvrir sur un vaisseau de la marine royale, cette dernière ne tarde pas à se retrouver prisonnière de l’ennemi anglais. Achevé chez Glénat en mai 1984 avec la parution du T5 (« Le Bois d’ébène »), le premier cycle verra ses protagonistes vivre l’enfer du commerce triangulaire, du Dahomey à Saint-Domingue, à bord du négrier la Marie-Caroline. Les esclaves, mutinés et révoltés, seront sévèrement réprimés En bout de course, son amant Hoel étant parti vivre une vie libertaire de pirate, Isa se retrouve tristement seule ; elle se ressaisira en songeant qu’à 18 ans, elle a « encore toute la vie devant elle ».
Si une planche apparait furtivement dans (À suivre) en 1997, les lecteurs attendront longtemps la suite – très hypothétique – des aventures d’Isa. Leur prière ne sera exaucée… qu’en septembre 2009 et janvier 2010, 25 ans après la parution du T5 : Bourgeon prolonge enfin sa saga chez 12bis (puis Delcourt), avec un deuxième cycle composé des deux tomes titrés « La Petite-fille Bois-Caïman ». Les lecteurs font la connaissance de Zabo (Isabeau), l’arrière petite-fille d’Isa (désormais âgée de 98 ans), plongée dans les affres de la guerre de Sécession, entre La Nouvelle-Orléans et les bayous du Mississippi. La rencontre entre les deux femmes nous permet de comprendre ce qui est survenu à Isa et comment son périple l’a conduite à devenir mère en Louisiane. Comme à l’accoutumée, l’auteur s’est abondamment documenté : « Je me suis familiarisé avec plusieurs parlers : le créole haïtien, le créole louisianais et le cajun, entre autres. Rien que pour ces deux tomes, j’ai lu près de 300 bouquins. »
Et après ? Une nouvelle longue attente est requise jusqu’en octobre 2018, avant de voir ressurgir « Les Passagers du vent » chez Delcourt. Avec « Le Sang des cerises » (voir notre chronique), autrement dit l’époque de la Troisième République, aux lendemains de la Commune de Paris, les lecteurs découvrent la suite des péripéties de Zabo : en 1885, se faisant appeler Clara et présente lors de l’enterrement de Jules Vallès au cimetière du Père-Lachaise, elle y prend la défense de Klervi, une jeune Bretonne débarquée de sa province natale (voir l’article consacré). Dans cet ultime tome 9 (« Rue des martyrs »), nous pourrons comprendre l’odyssée de Zabo/Clara : condamnée à huit ans de bagne pour sa participation au soulèvement de 1871, son compagnon Quentin ayant été tué, elle est envoyée en déportation en Nouvelle-Calédonie. Elle y rencontre la militante anarchiste Louise Michel et Henri Rochefort, journaliste et pamphlétaire fameux. L’amnistie générale, proclamée en juillet 1880, permettra enfin à Zabo de rentrer en France. Au fil de cette conséquente et passionnante conclusion de 132 pages, le pessimisme et l’amertume de l’aventure ne dénoteront jamais avec les nouveaux espoirs liés à l’arrivée à Nantes. Avec, au bout du voyage ferroviaire, la promesse d’un retour à la mer et à la nature, sur un mode naturaliste fin de siècle… Toute la symbolique – ou presque – de cette histoire figurait après tout déjà dans la célébrissime chanson de Jean-Baptiste Clément (1866) : « Et Dame Fortune, en m’étant offerte/Ne pourra jamais fermer ma douleur. J’aimerai toujours le temps des cerises / Et le souvenir que je garde au cœur. »
Pour tout savoir de la genèse de ce dernier cycle ou du souci documentaire permanent de son auteur, rien de mieux qu’un ouvrage dédié ! Vous pourrez ainsi vous immerger dans l’œuvre de Bourgeon grâce à « Dans le courant de la Commune », nouveau complément indispensable réalisé par le complice Michel Thiébaut. En 128 pages richement illustrées, ce guide critique complétera les approches similaires, déjà effectuées autour des « Passagers du vent » (« Les Chantiers d’une aventure », initialement paru chez Casterman en 1994 ; « Le Chemin de l’Atchafalaya », chez 12bis en 2010) et des « Compagnons du crépuscule » (« Dans le sillage des sirènes », chez Casterman en 1992).
Philippe TOMBLAINE
« Les Passagers du vent T9 : Le Sang des cerises livre 2, Rue des martyrs » par François Bourgeon
Éditions Delcourt (22,50 €) – EAN : 978-2-413030621
Parution 23 novembre 2022
« Dans le courant de la Commune » par François Bourgeon et Michel Thiébaut
Éditions Delcourt (21,90 €) – EAN : 978-2-2413026235
Parution 23 novembre 2022
Youpiiiii!