Le premier tome de « L’Ombre des Lumières » sorti l’an passé (1) se terminait par le départ, en ce milieu du XVIIIe siècle, du malfaisant chevalier de Saint-Sauveur pour le Nouveau Monde. En effet, toutes ses intrigues se sont retournées contre lui ! Après avoir séduit et trompé la jeune Eunice de Clairefont éprise de la philosophie des Lumières, menacé de mort par son mari et criblé de dettes, Saint-Sauveur a été obligé de s’exiler. En débarquant à Québec, il ne désespère cependant pas de retrouver sa place à Versailles, d’autant plus qu’un de ses peu fréquentables amis lui a proposé d’effacer toutes ces dettes s’il accepte de réaliser une mission vengeresse qui va lui permettre de déployer ses funestes talents…
Lire la suite...« Georges & Tchang » : le temps d’une amitié hergéenne…
En mai 1934, Hergé rencontre pour la première fois Tchang Tchong-Jen. En pleine genèse du « Lotus bleu », le créateur de Tintin se lie d’amitié avec cet étudiant chinois, qui lui prodigue de judicieux conseils. En 1981, les retrouvailles tardives entre les deux artistes entrent à leur tour dans la grande histoire de la bande dessinée franco-belge… En 2012, Laurent Colonnier imagine dans « Georges & Tchang » une possible histoire amoureuse entre les protagonistes : tout à la fois biographie non officielle, relecture psychanalytique et récit de vie intimiste, l’album interroge sur les mystères de l’amitié et des sentiments. Complété par une préface du réalisateur Bruno Podalydès et par une postface du spécialiste Numa Sadoul, l’album reparait en ce début 2023 : année commémorative des 40 ans de la disparition du maître de la ligne claire.
Le 1er mai 1934, Georges Remi, alors âgé de 27 ans, jeune marié sans enfant, fait la rencontre d’un jeune étudiant chinois à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles. Tchang (son nom) Tchong-Jen, né – comme Hergé – en 1907, devient un atout inespéré dans la structuration du nouvel album des « Aventures de Tintin ». Dès la fin des péripéties du jeune reporter dans les « Cigares du pharaon », Hergé a en effet déjà annoncé la suite dans Le Petit Vingtième : son héros se rendra en Extrême-Orient, plus précisément en Chine. Suite à cette annonce, Hergé reçoit une lettre qui l’exhorte à éviter les pires clichés sur le sujet, au profit d’une véritable documentation, notamment pour tout ce qui concerne les décors, dont les immanquables panneaux, enseignes et affiches. Vivant encore sur le mythe raciste et sommaire du « Jaune » pour ainsi dire fourbe et cruel, Hergé vit un choc culturel. Ses diverses rencontres avec Tchang dévoilent la richesse de la culture et de la philosophie orientale. Plus encore, le dévoilement des terribles réalités de la guerre opposant la Chine au Japon, à commencer par l’invasion de la Mandchourie (1931) suite à l’incident ferroviaire de Moukden, convaincra Hergé de dessiner explicitement la situation dans son album. Tchang en profite pour glisser des slogans antijaponais ou des devises orientales dans ses lettrages chinois, évidemment demeurés hermétiques pour le public francophone « de 7 à 77 ans ».
Plongé dans sa quête d’authenticité, Georges Remi va imposer son trait planche après planche, doublé par une densité scénaristique et une profondeur de traitement sans équivalents : grâce à l’amitié et l’aide Tchang, l’aimable divertissement qu’est encore « Tintin », animé par un dessinateur publicitaire, est transfiguré en une œuvre plus que remarquable pour le 9e art. Si Hergé et Tchang collaborent durant une année complète, le jeune étudiant chinois est rappelé dans sa famille dès 1935. À Shanghai, il devient un sculpteur reconnu, mais son parcours artistique est brisé par la Révolution culturelle initiée par Mao Zedong en 1966 : ses sculptures sont fracassées, tandis que le régime lui impose une rééducation forcée dans les rizières, tout en installant trois familles dans son domicile ! Hergé, qui a perdu le contact avec Tchang durant la Deuxième Guerre mondiale, n’a toutefois pas hésité à magnifier son amitié : transformé en ami adolescent de Tintin, Tchang est devenu l’un des personnages de son histoire, caractéristique rendant ainsi plus émouvante encore la prise de conscience de l’auteur belge et de son héros. À la fin du « Lotus bleu » (Casterman, 1936), Tintin verse une larme à l’heure de repartir vers la Belgique… Le héros, dès lors, ne se contentera plus des poncifs, mais n’aura de cesse de démonter les apparences, tout en nouant de nouvelles amitiés légendaires (à commencer par Haddock, créé en 1940). Le souvenir et la quête amicale de Tchang fourniront aussi la matière à un autre album très introspectif d’Hergé : « Tintin au Tibet », publié par Casterman en 1960.
Lorsque les deux hommes se retrouvent enfin, 46 ans plus tard, le 18 mars 1981 à l’aéroport de Zaventem, le temps a profondément changé l’âme des artistes, qui ont du mal à échanger leurs idées. Les deux hommes tombent néanmoins dans les bras l’un de l’autre… Très affaibli par la maladie, Hergé s’éteint deux ans plus tard. Tchang, aidé par les autorités françaises et Danielle Mitterrand, s’installe à Paris : il sculptera un buste en hommage à Hergé, inauguré à Angoulême par Jack Lang en janvier 1989. Tchang disparait à son tour en octobre 1998, à 91 ans.
Conteur désormais responsable et documenté, Hergé aurait-il pu succomber au charme de la rencontre avec Tchang ? Interviewé en 1973 dans l’émission Ouvrez les guillemets (et non dans Apostrophes en 1979, autre émission et autre interview souvent évoquées par erreur), troublé et ému, Hergé commet un demi-lapsus assez savoureux : « « Tintin au Tibet », simplement c’est une histoire d’a[mour]… d’amitié »! Il n’en faut pas plus à Laurent Colonnier pour se lancer dans un projet d’album abordant l’homosexualité supposée d’Hergé. Sujet sulfureux s’il en est, ce d’autant plus que le dessinateur n’hésite pas à évoquer d’autres thèmes qui font bondir les tintinophiles : relations féminines et stérilité d’Hergé, attachement aux valeurs catholiques, racisme latent (que n’a-t-on dit sur « Tintin au Congo » !), influence communiste de Tchang… et illustrations de moments intimes entre les deux hommes, se caressant les cheveux sur un lit, enlacés à demi-nus. L’on comprendra que le projet « Georges et Tchang » ait essuyé pas moins de 30 refus éditoriaux, avant d’être finalement publié par 12bis en novembre 2012 ; voir l’article de Gilles Ratier mis en ligne à l’époque : Hergé, Tchang et Jacobs sont dans des BD… Les procéduriers tombent à l’eau, qu’est-ce qui reste ?.
Avec des rôles féminins quasi-absents et l’absence de toute sexualité, « Tintin » comme Hergé interrogent depuis des décennies les exégètes, qu’il soit psychanalyste (« Tintin et le secret d’Hergé » par Serge Tisseron en 1993), critique d’art (« Tintin schizo » par Pierre Sterckx en 2007) ou essayiste (« Dans la peau de Tintin » par Jean-Marie Apostolidès en 2010 ; « Les Femmes dans le monde de Tintin » par Renaud Nattiez en 2018). Pour sa part. Laurent Colonnier adopte un dessin réaliste et très documenté, en abordant son sujet avec une grande finesse. Au-delà d’un fond politique très prégnant, (montée du nazisme et conflit sino-japonais obligent), « Georges & Tchang » est d’abord un album émouvant, retraçant un moment clé de la vie d’Hergé.
Philippe TOMBLAINE
« Georges & Tchang : Une histoire d’amour au vingtième siècle » par Laurent Colonnier
Éditions Glénat (17,00 €) – EAN : 978-2-344056639
Parution 18 janvier 2023
Autant je trouve la couverture de la première édition élégante, autant la nouvelle me paraît moche et racoleuse. La typo est lourdingue et la composition déséquilibrée (division en deux parts égales, perso justifiés sur le titre créant une massive colonne visuelle). De plus la couverture suggère une sorte de récit d’aventure, d’inspiration « jacobsienne », ce qui n’est absolument pas le cas de ce récit sensible et documenté très réussi.