Pour la première fois, la célèbre saga historique de Ken Follett aux millions de lecteurs est adaptée en bande dessinée. Adaptation rigoureuse de l’œuvre par Didier Alcante, d’après la traduction effectuée par Jean Rosenthal en 1990. Cette épopée médiévale est réalisée avec le concours de Steven Dupré : un talentueux dessinateur dont la carrière éclectique trouve ici son point d’orgue. Un voyage initiatique au temps des bâtisseurs de cathédrales, dont ce second opus confirme les promesses du premier (1). Une série annoncée en six albums, incontournables pour les amateurs de bandes dessinées historiques.
Lire la suite...L’Âge d’or des « Tintin » éditions en couleurs (chapitre 9) : « Tintin au Congo »…
« Tintin au Congo » n’est pas des plus réussis. Son scénario reste assez primitif, à l’opposé de chefs-d’œuvre tels que « Tintin au Tibet » ou « Les Bijoux de la Castafiore »… D’ailleurs, quand il fallut passer à la couleur en 1943, Hergé eut le plus grand mal pour le « Congo » et pour l’« Amérique ».
L’album passionne pourtant les collectionneurs : la première édition couleur est magnifique, déclinée en plusieurs versions sous second plat B1, dos jaune ou dos rouge, papier fin ou épais… Et l’intrigante édition dite « universelle » (ou « avant la lettre ») qui suit — en 1948 — fascine tous les amoureux des éditions Casterman : elle nous sert d’ailleurs d’illustration en Une de cet article, puisqu’un exemplaire de ce fabuleux collector sera proposé à la vente, le 10 février 2023, chez Artcurial.
Au départ, « Tintin au Congo » devait être un des premiers albums à être repris pour la couleur.
Nous sommes en 1942. Hergé a travaillé dur tout le premier trimestre.
D’une part sur le projet de « Tintin » en couleurs – dont l’aboutissement sera la nouveauté « L’Étoile mystérieuse » – et, d’autre part, sur les huit grandes images en couleurs des rééditions en noir et blanc.
Après cet effort intense, Hergé évoque la suite du programme dans un courrier adressé à Charles Lesne, son interlocuteur quotidien chez Casterman, à Tournai : « En attendant les épreuves à colorier et les épreuves pour textes [des couvertures grandes images, NDA], j’attaque simultanément le “Crabe” et le “Congo” » (29 juin 1942).
Mais deux mois plus tard, le 29 août, Hergé a terminé la mise au format du « Crabe » et n’évoque plus le « Congo », mais l’« Île noire »…
Il faut dire que la technique consiste essentiellement à reprendre les dessins des albums noir et blanc pour les remettre au format.
Pour « Tintin au Congo », Hergé se rend compte qu’il sera obligé de redessiner complètement l’album.
Hergé semble même repousser à plus loin le projet le 26 décembre 1942 : « Pour 44, il ne restera donc plus que “Tintin au Congo” et la nouveauté de l’année [“Le Trésor de Rackham le Rouge”]. »
Pourtant, toute l’année suivante, en 1943, Hergé y travaille à nouveau, puisqu’il termine la maquette en mai et annonce le 15 août 1943 : « Encore une vingtaine de pages à refaire. Tout le reste est déjà mis au format. »
Mais fin décembre 1943, Hergé gèle à nouveau le travail et priorise « Le Trésor de Rackham le Rouge ». Il fait l’un ou l’autre dessin du « Congo », « de temps en temps », le soir pour se délasser, mais le cœur n’y est pas…
Hergé déprime de mars à juin 1944
Et puis, Hergé traverse une grande déprime du 15 mars au 15 juin 1944.
Pendant trois mois, il arrête tout travail…
Il s’en explique le 24 avril dans une lettre manuscrite à Charles Lesne : « Tu as deviné juste : ça ne va pas. Il y a trois semaines : grippe + sinusite + otite. Je suis à peine rétabli de cela. Et maintenant surmenage. Me voici dégonflé, incapable de travailler. » Et le 11 mai : « J’ai fourni, crois-moi, un gros, très gros effort, et cet effort, je n’ai pas pu le soutenir. »
Enfin, à partir du 12 juin, Hergé reprend le dessus : « Tu es bien gentil de t’informer de ma santé. Cela commence à aller mieux, mais j’ai été salement sur le flanc, ou plus exactement, sur le ventre : avaries au pont arrière, en plus du surmenage ! »
À quoi Lesne répond : « Je suis heureux que ton état de santé s’améliore et fais les meilleurs vœux, puisqu’il s’agit d’avaries au pont arrière, pour que ton navire soit rapidement et totalement renfloué. »
Une fois de plus, le 19 juin 1944, Hergé confirme que le « Congo » devient une corvée très pesante : « Mise au format terminée, sauf une dizaine de pages que je dois redessiner. Si je me retape complètement, je pourrai peut-être terminer cet album avant fin juillet. Mais nous n’aurons certainement plus le temps de faire les coloriages ni de faire dessiner les textes […] Seul le “Congo” ne pourra pas être achevé complètement, et cela à cause de la dépression que je viens de subir. »
La mise au format de cet album est donc reprise mi-juin sauf une dizaine de pages encore à dessiner. Lesne insiste sur la nécessité d’adapter cet album : « Il a été convenu, je crois, que tu atténuerais le caractère belge afin de faciliter sa diffusion en France et dans d’autres pays étrangers. »
Le 30 juillet 1944, il reste encore les douze dernières pages à dessiner. Le 19 septembre, Hergé y travaille toujours « d’arrache-pied » et espère terminer sous quinzaine « si on ne m’arrête pas définitivement (j’ai déjà été arrêté trois fois, puis relâché). » Fin du calvaire le 4 octobre 1944, jour de la remise à Bindels — son photograveur — de l’ensemble des planches dessinées. Dès le 17 octobre, le coloriage peut commencer… Le 7 novembre 1944, Hergé écrit : « Nous poussons activement le coloriage », lequel est terminé le mardi 19 décembre.
Le 5 janvier 1945, Lesne écrit : « Il n’y a d’ailleurs qu’à te tirer un coup de chapeau, puisque tu annonces la remise du coloriage de “Tintin au Congo” à Bindels et fais espérer la mise en vente du “Lotus” pour bientôt. Nous avançons, c’est une excellente chose. »
Il faudra encore six mois pour réaliser le lettrage ! Le 4 juin, Lesne écrit : « Il y aurait une certaine urgence à pousser le lettrage du “Congo”, dont le film restera encore à faire et ensuite les reports, choses assez longues… » Le 15 juin, Hergé signale que tout le « Congo » a été remis à Bindels.
Naissance des plats « B » sous l’impulsion et l’inspiration de Charles Lesne
Le 13 juin 1945, Lesne suggère la modification du verso des albums : « On a assez vu le placard qui figure au verso des couvertures des albums, pour la publicité et on voudrait une présentation nouvelle de cette publicité. Quelque chose d’élégant et d’attrayant, à la manière de Hergé. Veux-tu faire cela ? Ce serait assez urgent, car on voudrait cette amélioration pour “Rackham” dont l’impression est presque achevée. D’accord ? »
Hergé envoie un croquis pour le dos des couvertures que Lesne commente le 26 juin (nous n’avons pas retrouvé cette esquisse dans les correspondances) : « Ton dessin est comme toujours excellent. Il n’y a rien à changer. C’est parlant, pas trop publicitaire, attrayant pour les enfants. Un seul reproche, mais gros gros gros… Le coloris “casse” l’effet de bon nombre de couvertures… […] Je te propose de ne rien changer au dessin, mais de le réaliser en deux tons, sur fond crème. »
Hergé répond le 4 juillet : « Ton argument aurait toute sa valeur si… le dos des albums était exposé. Il est exact, en effet, que ce dos, tel que je l’ai réalisé, fait du tort aux couvertures, mais seulement dans le cas où on les met en regard l’un de l’autre. Pratiquement, cela ne se fait jamais, n’est-il pas vrai. Aussi, je vous engage à négliger cet argument et à me laisser réaliser ce dessin tel que je vous l’ai soumis. Non pas, tu comprends bien, par petite vanité d’“artiste”, mais parce que toute autre solution, appliquée à ce dessin me paraît moins bonne. Juge d’ailleurs toi-même. Je t’envoie par courrier séparé trois projets. Le premier est celui que vous avez déjà vu. Le second est réalisé, comme tu me le suggérais, à la manière des couvertures de “Quick et Flupke”. En fait, ce dessin ne s’harmonise pas plus que le premier aux couvertures. […] Troisième projet, plus honnête, mais plus pauvre : un simple trait sur fond beige. Évidemment, c’est le seul qui ne fasse pas tort aux couvertures, mais je t’ai dit plus haut ce que je pensais à ce sujet. […] Examine cela, veux-tu. Et dis-moi ce que vous avez décidé. Personnellement, je te le répète, toutes mes préférences vont au premier projet. Crois-moi toujours, mon cher Lesne. Bien cordialement à toi. »
On sent, dans toute cette lettre, la violence de Hergé, contenue par sa bonne éducation et que ponctue la formule « crois-moi toujours »…
Le 11 juillet 1945, Lesne répond : « Cher ami, in medio virtus. Tous tes arguments sont bons ; les nôtres n’étaient pas entièrement mauvais. Voici ce que je te propose pour rallier tous les suffrages. Il s’agit donc du dos de couverture des albums “Tintin”. Adopter le dessin entièrement, en couleurs, mais, au lieu de lui donner toute la surface du plat, ne lui donner que le centre, une bande de teintesneutres, de 3 cm l’entourant complètement. Cette bande serait déchiquetée […] Je me fais mieux comprendre par le pauvre croquis ci-joint […] Je t’entends déjà dire : ce Lesne a tout de même des idées épatantes ? Au vrai, je ne l’ai pas trouvée tout seul… »
Les fameux plats B ne seraient donc pas l’invention de Hergé, mais auraient été suggérés par Charles Lesne, lui-même, inspiré par l’un de ses proches ! Le coloriage du dessin sera remis à Bindels le lundi 1er octobre 1945…
Juin 1946, l’aboutissement d’un chemin de croix de quatre ans
L’album est mis sous presse en février 1946. Le 7 février, Lesne dit attendre le papier nécessaire et le 22 février « Tintin au Congo » est sous presse. Le même jour, Hergé a reçu un exemplaire unique de « Tintin en Amérique » qui ne sera véritablement fabriqué que plus tard, comme le « Congo », par manque de cartons de couverture.
Pour chaque nouvelle édition, Hergé a demandé qu’on lui envoie plusieurs jeux de feuilles en noir qui lui serviront pour ses travaux ultérieurs. C’est ce que fait Lesne le 27 avril 1946 : « Je te fais envoyer une vingtaine d’exemplaires du tirage de “Tintin au Congo” en noir, pour tes reproductions dans les journaux étrangers. Tu vois qu’on n’oublie plus… » Hergé constate sur ces feuilles en noir que le papier est bien meilleur, dans un courrier du 1er mai 1946 : « Quel blanc magnifique comparé à l’“Amérique” et au “Trésor” ! »
Le 26 juin, 25 premiers exemplaires d’auteur sont envoyés à Hergé. Et le 27, Hergé critique : « Je reviens maintenant au “Congo”, que je viens d’examiner longuement, et je t’avoue que je suis vraiment découragé. […] Je sais bien que toutes les nuances ne peuvent pas être respectées “à la lettre”, si j’ose écrire, mais de là à faire d’un brun un vert, un vert ou un brun d’un bleu, il y a un pas que Bindels franchit de plus en plus souvent d’un pied allègre. Je tremble à la pensée du “Lotus”, que j’ai fignolé avec amour. Dieu sait ce qu’il en aura fait ! Et le “Sceptre”, que l’on colorie en ce moment. […] À part cela, mon Dieu !, l’album se défend comme un autre, mais le résultat n’est pas en rapport avec le travail et le soin que nous y avons mis… »
Début septembre 1946, cette première édition — vendue 57,60 francs belges et dont le tirage fut de 30 000 exemplaires — était déjà quasi épuisée.
Plusieurs versions B1, plusieurs numérotations des cahiers
Il existe plusieurs types d’éditions pour les premières éditions en couleurs. La numérotation des cahiers est un bon moyen de les identifier lorsqu’on est face à différents cartonnages :
– 1946 : les albums ont un second plat B1, un titre en blanc au premier plat, et sont imprimés sur papier épais, à dos jaune ou dos rouge, avec un copyright 1946. Ces albums se distinguent également par la numérotation des cahiers en chiffres romains : II, III, IV…
– 1947 : la deuxième édition a un second plat B1, un titre en blanc au premier plat, et est imprimée sur papier normal, à dos rouge, avec un copyright 1947. La numérotation des cahiers est un mix de chiffres romains (II, III, IV) et arabes (2, 3, 4).
– 1948 : la troisième édition a un second plat B2 (avec le pull de Haddock en une seule couleur), le titre en noir au premier plat et page de titre, un dos rouge, un copyright 1946 et la numérotation des cahiers est en chiffres arabes (2, 3, 4).
– 1949 : la quatrième édition a un second plat B3, le titre en noir au premier plat et page de titre, un dos rouge, un copyright 1947 et la numérotation des cahiers est en chiffres arabes encore différents…
Une fabuleuse édition B2 dite « universelle »
C’est au début des années 1990, que furent retrouvés sept ou huit exemplaires tout neufs de ce fascinant album : une édition couleurs de « Tintin au Congo », sans titre et sans textes… Ils étaient restés là, classés au milieu de livres épuisés et d’éditions étrangères, dans un grenier, rue des Augustins à Tournai.
L’époustouflante beauté de cet album — dont les couleurs sont magnifiées par l’absence de textes — vient du fait que la plupart des exemplaires sont dans un état quasi neuf, voire neuf d’imprimerie. Il fascine aussi les collectionneurs du fait de sa rareté (sept exemplaires connus en circulation) et parce qu’on ne sait pas précisément quel en était l’usage (probablement un usage de démonstration pour les éditeurs étrangers). Trois ou quatre de ces albums furent volés au sein de Casterman à cette époque et se retrouvèrent assez vite sur le marché à Bruxelles, puis en vente publique. Les prix à la vente varièrent de 30 à 70 000 euros il y a quelques années, mais, aujourd’hui, il est très difficile de connaître leur valeur, car nous n’en avons pas vu passer depuis au moinsquatre ans… Un exemplaire sera proposé à la vente Artcurial, le 10 février 2023, avec un prix de réserve de 20 000 euros. Nul doute que ce sera une affaire à ce prix !
Des changements mineurs
On ne le sait pas forcément, mais quelques changements mineurs seulement furent portés à cette aventure, pourtant controversée depuis des décennies : par exemple ces notes de musiques modifiées au fil des éditions.
En revanche, il aurait été logique que le texte soit modifié en profondeur, afin de gommer le caractère colonialiste des expressions employées. Il n’en fut rien, bien que nous ayons retrouvé un album annoté en 1963 dans cette perspective.
« Tintin au Congo » n’est pas l’aventure préférée des tintinophiles, mais l’album est très apprécié des collectionneurs pour sa beauté pure, surtout en état neuf.
Sorti en septembre 1946, après une longue gestation et de multiples retards, en même temps que « Tintin en Amérique », le moins qu’on puisse dire est qu’il donna du fil à retordre à Hergé pendant les années de guerre.
Et que ce dernier n’y prit aucun plaisir !
Gilles FRAYSSE
N. B. N’hésitez-pas à consulter les autres très documentés articles de Gilles Fraysse sur les différentes éditions des albums de « Tintin » : L’Âge d’or des « Tintin » éditions en couleurs (chapitre 1) : huit grandes images de guerre…, L’âge d’or des « Tintin » éditions en couleurs (chapitre 6) : « Le Crabe aux pinces d’or »…, L’âge d’or des « Tintin » éditions en couleurs (chapitre 5) : « Le Secret de la Licorne »…, L’âge d’or des « Tintin » éditions en couleurs (chapitre 2) : « L’Étoile mystérieuse »…, « Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 1 : les « Île noire » d’Hergé, « Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 2 : une « Étoile » bien mystérieuse…, « Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 3 : Les Oreilles stockées !?!, « Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 4 : L’énigme du crabe alterné, « Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 5 : Le Lotus bleu en noir, « Le Lotus bleu », histoire d’une première édition originale…, Grandes images : les neuf gouaches méconnues dues à la main d’Hergé et La « vraie » édition originale de L’Oreille cassée !.
Merci pour cet intéressant article.
K l u t t
Encore un article passionnant qui augure d’une véritable encyclopédie.
Bravo et Merci !
Encore bravo Gilles pour cette mine de renseignements. Vivement un ouvrage retraçant toutes ces trouvailles. Merci.
Serge
Merci Serge. Cà ferait certainement un beau livre avec plein de photos couleur. Mais c’est un processus compliqué.. C’est dommage car j’aimerais voir aussi tous mes articles réunis dans un seul recueil…
Un oubli dans l’historique de conception de Tintin au Congo version 1946 : Hergé avait déjà retravaillé la majorité des planches en 1940-41 pour l’hebdomadaire Het Laaste Nieuws ! Donc entre 1944-1946 : il s’agissait plus de remise en page et de dessins complémentaires qu’une totale refonte…