La maison d’édition belge Kalopsia entreprend de rééditer les deux premiers volumes d’une série publiée en 2014 et 2016, puis abandonnée par Glénat : « Ennemis de sang ». Kalopsia en profite pour publier un tome 3 inédit, avant de clore la série par un tome 4. Francis Carin et David Caryn signent dessins et couleurs sur un scénario de Francis : l’occasion, donc, de redécouvrir cette saga familiale et voyageuse…
Lire la suite...Jo-El Azara : disparition d’un grand discret, tellement sympathique et talentueux…
C’est Serge Ernst qui nous a appris la bien triste nouvelle : notre ami Jo-El Azara, le créateur de nombreuses séries humoristiques — notamment « Taka Takata » pour le journal Tintin —, qui fut aussi l’un des membres du mythique studio Hergé, nous a quittés avant-hier (mardi 7 février 2023), à l’âge de 85 ans, à la suite d’un AVC.
Pour lui rendre hommage, nous remontons en Une de notre site un « Coin du patrimoine », à l’origine en deux parties, où nous l’avions interviewé sur sa longue et extraordinaire carrière : il nous avait fourni de nombreux documents et était très heureux que l’on puisse, ainsi, le mettre un peu à l’honneur…
Jo-El Azara, première partie : à l’ombre des plus grands…
C’est une page de la rubrique « Les Aventures d’un journal » animée par le journaliste Hugues Dayez dans Spirou, au n° 4075 du 18 mai 2016, qui est à l’origine de notre désir de vous parler d’un homme formidable, sympathique et chaleureux, qui fut à bonne école (passant dans les ateliers de Vandersteen et d’Hergé, ou travaillant aux côtés de Will…) : Jo-El Azara.
Reprenant une interview que nous avions réalisée en 2005 pour le quotidien régional L’Écho, à l’occasion des 40 ans de « Taka Takata » et du dixième anniversaire de la création de sa maison d’édition Azéko, tout en nous appuyant sur l’étude que lui a consacré Louis Cance dans le n° 102 de Hop ! (au deuxième trimestre 2004), nous avons pu vous concocter un dossier aux petits oignons, validé par le maître lui-même, lequel vient de fêter ses 79 ans !
Le Flamand Joseph Frans Hedwig Loeckx, plus connu sous le pseudonyme de Jo-El Azara, est né en Belgique, à Drogenbos (petit village de la banlieue de Bruxelles), le 4 mai 1937 : « Comme les Français ne savaient pas très bien prononcer mon vrai nom, j’ai d’abord signé Jo.Loeckx, puis simplement Jo-El, en alliant le Jo de Joseph et le L phonétique de Loeckx. Plus tard, comme l’éditeur du Lombard, pour lequel je travaillais, n’aimait pas que “ses” auteurs collaborent à d’autres revues, j’ai pris le nom d’Ernest Azara pour mes BD publiées dans Pilote et dans Spirou : j’étais tombé en admiration, au Musée du Louvre, devant un buste d’Alexandre le Grand intitulé “Hermès Azara”, d’après une sculpture d’un artiste grec du nom de Lysippe. Cependant, tout le monde avait reconnu ma technique de dessin qui, elle, n’avait pas changé. J’ai alors abandonné Ernest et j’ai accolé Azara et Jo-El. »
L’honorable Taka Takata, soldat de l’armée nippone créé pour un récit complet de six pages dans l’hebdomadaire Tintin, le 3 août 1965 (au n° 31 de l’édition belge), est le plus célèbre personnage de notre adepte de la ligne claire. La version française du journal des jeunes de 7 à 77 ans n’accueillera la série « Taka Takata » qu’à son n° 883, daté du 23 septembre de la même année !
Depuis janvier 1994, son créateur graphique (les scénarios étaient de Vicq) autoédite les albums de ce pacifiste et gaffeur troufion : le dernier en date (« Opération boomerang », en 2005) étant un spécial quarantième anniversaire avec, en sus, 29 dessins hommages dus à ses confrères et amis.
Cela dit, on peut alors s’interroger sur ce qui a poussé cet auteur, trop méconnu à notre goût, à s’éditer lui-même, alors que son gentil héros japonais à lunettes avait un certain succès dans les années 1970 : « À cette époque-là, Le Lombard (l’éditeur du journal Tintin) diffusait en Belgique les albums des éditions Dargaud, lesquelles s’occupaient, en échange, des albums Le Lombard en France. Ils étaient alors seulement associés (aujourd’hui, ils appartiennent, tous les deux, au groupe Média-Participations) et ils restaient concurrents. Ils se reprochaient mutuellement de mettre en avant tels ou tels titres plutôt que d’autres, dans leurs pays respectifs, et de nombreuses séries ont fait les frais de leurs disputes. Notamment “Taka Takata” (1), mais aussi “La Jungle en folie” de Mic Delinx et Christian Godard. J’en ai alors eu marre de ces gens qui jouaient avec la vie des auteurs et j’ai quitté ma Belgique natale pour aller vivre au bout du monde : dans le Gers !
Je me suis mis à dessiner pour la publicité et, comme le dernier “Taka Takata” chez Dargaud datait de 1974 et qu’on ne trouvait plus mes albums que chez les bouquinistes, je me suis décidé à devenir éditeur moi-même. Habitant désormais au pays de D’Artagnan (je fus intronisé dans la compagnie d’Armagnac, ce qui explique ma petite bedaine : rires !), j’ai fait comme les mousquetaires, je suis revenu, 20 ans après ! »
Après avoir suivi les cours de l’institut Saint-Luc de Bruxelles, Jo-El Azara travaille pour Willy Vandersteen (le créateur de la série « Bob et Bobette ») : « Comme je ne faisais rien de bon à l’école et que je voulais être dessinateur de bandes dessinées, mes parents m’ont inscrit, en 1952, à l’école de dessin de Saint-Luc où l’on n’étudiait que le dessin classique : il n’y avait pas encore de section bande dessinée. D’ailleurs, cette dernière était très mal vue, surtout parmi les professeurs de dessin qui ne la considéraient pas comme de l’art ; alors, qu’aujourd’hui, c’est le passage obligé pour tous ceux qui veulent pratiquer le 9e art en Belgique ! C’est donc là que j’ai appris à dessiner convenablement, enfin presque [rires !], passant trois années à n’exécuter que du dessin classique. Heureusement, l’un de mes profs d’histoire de l’art m’a fait découvrir le peintre japonais Hokusai, lequel a été le déclencheur de mon intérêt pour le Japon. »
En effet, outre « Taka Takata », Jo-El Azara créera, en 1967, les aventures du samouraï « Haddada Surmamoto », dans Spirou (un récit de trente planches publié du n° 1545 au n° 1557 et un de six pages, deux ans plus tard [au n° 1592], toujours sur scénarios de Vicq, dont il existe un album chez Espace Édition S.A., labellisé ainsi en Belgique et sous celui d’Albin Michel en France, en 1976) : « Pendant les grandes vacances de 1953, j’ai cherché un petit boulot et je suis allé frapper à la porte de Vandersteen qui m’a tout de suite embauché pour l’aider sur “Le Loup qui rit” : une aventure de Bob et Bobette dont il produisait, tous les jours, une demi-planche pour les quotidiens flamands et dont l’album sera publié en langue française en 1955, aux éditions Érasme. Il m’a confié la réalisation des cadres des vignettes et m’a appris à écrire les textes en italiques, etc.
Ensuite, il m’a fait faire l’encrage de ses crayonnés qu’il commençait à 9 h du matin et qu’il devait rendre avant 17 h pour qu’ils puissent être imprimés, le lendemain, dans le journal. Je me souviens d’une anecdote survenue lorsqu’il m’a demandé, pour la première fois, d’encrer les deux strips qu’il avait finis plus tôt que prévu : je m’étais appliqué pour arriver à un résultat plus ou moins correct et je me suis mis à gommer le crayon vigoureusement, renversant, sur mon travail, un petit pot d’encre de Chine que je n’avais pas fermé ; Vandersteen m’a alors tendu un tube de gouache blanche et un pinceau pour que je retouche le noir entre les traits et les textes. Eh oui, même entre les textes ! Je voulais les réécrire à part, les découper et les coller dessus, mais il n’en était pas question : il a fallu que je repasse tout au pinceau ! Plus personne ne ferait ça aujourd’hui, mais c’était une bonne leçon puisque, depuis, je n’oublie jamais de fermer mon petit pot d’encre de Chine avant de gommer mes planches. »
Alors que ses premières bandes dessinées et illustrations, souvent réalisées dans un style semi-réaliste, voire réaliste, sont publiées, à partir de 1954, dans l’hebdomadaire Junior ou son équivalent Ons Volkske (quatre pages intitulées « La Tragique histoire d’Hamlet, prince du Danemark », d’après William Shakespeare), ainsi que dans la version flamande de Pat (illustrations pour le roman « Les Hommes de Benton’s Farm » pour ce magazine des patronages catholiques belges) (2),
Jo-El intègre, cette même année 1954, un autre studio, encore plus célèbre, celui d’Hergé : « À la suite de mes travaux réalisés pour Willy Vandersteen, je suis d’abord retourné à l’école Saint-Luc : je dessinais mes BD le soir et je les montrais le lendemain aux copains.
Un jour, l’un de mes professeurs est tombé sur ces planches : décrétant que ce n’était pas du dessin, il les a confisqués et en a déchiré une. Aujourd’hui que Saint-Luc est devenue la première école de bande dessinée en Belgique, ce type doit se retourner dans sa tombe !
Au bout d’un an, je suis allé alors frapper à la porte du créateur de “Tintin”, pour savoir s’il n’avait pas une place dans son studio et il m’a accepté.
Pourtant, il y avait déjà pas mal de monde qui travaillait pour lui : Bob De Moor était son décorateur principal, Josette Baujot faisait ses couleurs, son secrétaire s’occupait des textes et il venait juste d’engager Jacques Martin, l’auteur d’“Alix”. »
Jo-El Azara restera au Studio Hergé jusqu’en 1961, après avoir notamment participé à « L’Affaire Tournesol », à « Coke en stock », à « Tintin au Tibet » et aux « Bijoux de la Castafiore », quatre des aventures du célèbre reporter à la houppette.
Comme le précise l’érudit Patrick Gaumer dans son célèbre « Dictionnaire mondial de la BD » chez Larousse : « De là lui vient vraisemblablement son graphisme précis et fouillé, privilégiant la lisibilité. »
On retrouve cependant la signature d’Azara dans Caravane (supplément jeunesse de Vivante Afrique, bimestriel édité par les Pères blancs), en 1958, sur onze planches d’un récit réaliste, « Le Bracelet tabou », dont René Follet prendra graphiquement sa suite, ainsi que dans le quotidien belge La Croix où il illustre « La Bible » (une trentaine de dessins dans un style réaliste)
et un court récit de cinq planches humoristiques intitulé « Jim Kana et Petro Lette », réalisés entre 1959 et 1960,
et même à Spirou, pour la première mouture de « La Ribambelle » dessinée en 1957 (elle est signée Joël) et publiée dans le n° 1041 du Spirou belge daté du 27 mars 1958.
À noter qu’il s’agit, en fait, d’une idée d’André Franquin scénarisée par Marcel Denis, en mars 1958, bien avant que le concept soit repris, plus tard, par Jean Roba : « À un certain moment (en 1958), Willy Maltaite qui signait Will, le dessinateur de la série “Tif et Tondu” dans Spirou, est devenu le directeur artistique du journal Tintin, aux éditions du Lombard, et c’est grâce à lui que j’ai pu y entrer. Hélas. Will n’est pas resté longtemps à ce poste (deux ans seulement) parce qu’il s’est fâché avec le directeur des éditions du Lombard, lequel ne lui donnait pas les pouvoirs nécessaires pour mener à bien sa tâche.
Il est alors revenu travailler aux éditions Dupuis, pour le journal Spirou, et il m’a contacté pour me dire que si un jour je voulais quitter Hergé, il aurait du boulot pour moi. Will venait aussi de commencer la série “Jacky et Célestin” avec Peyo (le créateur des “Schtroumpfs”), dans Le Soir illustré (3), et c’est ainsi que je l’ai secondé, et ensuite dessiné seul à partir de la page 18, l’épisode “La Ceinture noire” écrit par Peyo, en 1961 et 1962. Après, j’ai travaillé sur deux autres histoires de cette BD (“Un biniou jouera ce soir” et “Et que ça saute !”
sur scénarios de Vicq), jusqu’en l963, avant que François Walthéry — puis Francis — ne prenne ma suite. »
À suivre…
En attendant, voir www.taka-takata.com.
(1) En fait, avant les albums édités par Azéko, la série « Taka Takata » n’a été compilée qu’en seulement deux ouvrages brochés publiés aux éditions Le Lombard (« Le Batracien aux dents d’or » en 1969 et « Le Caméléoscaphe » en 1977) et quatre autres coédités par Dargaud en France et Rossel, un éditeur belge : « Kamikaze cycliste » et « Le Lévitant Lama » en 1973, « Opération survie » et « Le Karatéka » en 1974. Ils ont tous été réédités chez Azéko, avec quelques petits changements au niveau du contenu des pages de gags proposées, et il en est paru sept nouveaux sous ce label, jusqu’en 2005. On peut toujours se les procurer (agrémenter d’une dédicace personnalisée) en écrivant aux éditions Azéko : 32260 Artiguedieu du Gers.
(2) Dans Pat, version belge francophone, Azara crée aussi (en 1956) le personnage de Coliflor, pour le récit de vingt pages « Tumultes à Santas Papas », publié du 31 mars au 11 août 1957 dans les n° 13 à 32 et signé Jo Loeckx. Il réalise, ensuite, une autre histoire avec Coliflor, en quatre planches, proposée dans Ons Volkske (Junior en langue française) au n° daté du 7 novembre 1957 : « La même année, quand j’ai commencé à travailler pour Tintin [voir la deuxième partie de ce « Coin du patrimoine » qui sera en ligne la semaine prochaine], le rédacteur en chef de l’époque, André Fernez, m’a donné à illustrer le scénario de “La Sieste de Paco Marmota” : trois planches écrites par un certain René Goscinny que j’ai signé Joël et qui a été publiée dans le n° 8 du Tintin belge daté du 19 février 1958 [Elles seront reprises dans le tome 1 des « Archives Goscinny » chez Vents d'Ouest, en 1998]. Comme cela se passait aussi en Amérique Latine, c’est moi qui ai replacé le nom de Coliflor, qui n’est d’ailleurs cité que deux fois, dans cette histoire. »
(3) Les vingt-deux pages de « La Ceinture noire » ont été publiées entre le 11 mai 1961 et le 8 mars 1962, les quarante-quatre pages d’« Un biniou jouera ce soir » du 15 mars 1962 au 10 janvier 1963 et les quarante-quatre pages de « Et que ça saute ! » du 17 janvier au 14 novembre 1963.
Pour le quotidien Le Soir, Azara dessine aussi, dans un style réaliste, les six pages d’« Erik Satie », en 1961 : « À cette époque, tous les jours dans Le Soir, paraissait une BD historique de quatre images par jour, sur toute la hauteur du journal (62 cm x 9,5 cm), avec le texte sous les images. C’était bien souvent illustré par des dessinateurs espagnols ou même par Albert Uderzo en a dessiné beaucoup… »
Jo-El Azara, deuxième partie : à Tintin, à Pilote, à Spirou, et tout seul comme un grand…
C’est donc à partir de ce moment que notre auteur devient l’un des dessinateurs vedettes du journal Tintin, créant de nombreuses histoires courtes et personnages éphémères :
- « La Principauté du Finckelstein » avec Yves Duval (neuf récits de deux ou quatre planches proposés entre 1961 et 1962, rebaptisés curieusement « La Principauté du Tinckelstein » uniquement en France, sans prévenir le dessinateur, à partir du deuxième épisode),
- « Jill et Jum » (quatre gags en deux pages, dont les scénarios sont de Maurice Rosy, uniquement dans le Tintin belge entre 1962 et 1963),
- « Évariste Confus » (24 histoires de deux ou quatre planches publiées entre 1963 et 1965 – dont une qui n’est jamais parue —, scénarisées par divers scénaristes comme Vicq, Maurice Rosy ou Roger Ferrari),- « Zéphir » (trois fois quatre pages en 1964 et 1965),
- « Gaétan de Châteaubleu » avec Jean-Pierre Chappuis (deux récits de dix planches en 1967) [1],- la reprise de « Clifton » avec Greg, le temps d’un seul épisode en l967 [2],
- ou des récits courts scénarisés par Greg (dès août 1962 avec les quatre pages de « Photo surprise », et les deux pages du dessin animé TV « L’Agent 00 » en 1962), Jacques Lob (les six pages de « Des pépins dans le péplum », en 1965), Jacques Acar (les quatre pages de « Thou-Rist », en 1965), Jean-Pierre Chappuis (trois récits de huit, six et dix pages en 1965 et 1966), Vicq (deux gags en deux pages en 1966), Stephen Desberg (les neuf pages des « 2 Petits Fils Aymon », en 1977)…,
- mais aussi, dès 1965, son plus célèbre personnage : « Taka Takata », sur des scénarios de Vicq, jusqu’en 1980. [3]
Cependant, alors que la majorité des récits complets, gags ou histoires à suivre de Tintin sont repris dans Ons Volkske (Junior en version francophone), Jo-El Azara multiplie les collaborations en ces débuts des années soixante :
« Il faut dire qu’à cette époque-là — ça ne me rajeunit pas tout ça… — je travaillais chez Will, et comme il avait trop de boulot, il m’a fait faire plein de trucs différents : c’est ainsi que je me suis retrouvé à l’aider pour les décors de l’histoire “Isabelle et le capitaine” dans Spirou, en 1971 et 1972 (4), ou auparavant à le seconder sur les “Jeux de Record et Véronique” écrits par Jean-Michel Charlier qui paraissaient dans le mensuel Record, en 1962 et 1963. »
Dans ce dernier périodique coédité alors par Bayard et Dargaud, Jo-El dessine « L’Agence Quick » (six pages écrites par un certain Martin)
et anime aussi « Bonnedague » : dix amusants récits complets moyenâgeux écrits par Chappuis, entre 1962 et 1967 [le dernier est écrit par Roger Ferrari], et qui seront repris en Belgique dans Samedi-Jeunesse, en 1973 : « Les deux premières histoires de “Bonnegague” étaient signées Jo-El 62. Ce n’est qu’après, donc à partir de la troisième aventure que j’ai signé cette série Ernest Azara. Je crois bien que j’avais commencé à signer comme ça dans Pilote, sur un western humoristique publié en récits complets [il y en a eu neuf en tout, dont un qui n’est jamais paru] dont certains étaient écrits par Maurice Rosy : “Mayflower”, entre 1963 et 1965. »
Dans Pilote, notre dessinateur illustre aussi d’autres histoires courtes dont une autre de deux pages écrite par Rosy (« Suivez l’œuf », en 1963), trois mettant en scène M. Chapomou (scénarios de Jacques Acar, en 1965 et 1966) ou encore « La Campagne de Grèce » avec Eugène Crespin (20 pages publiées à suivre, en 1965).On le retrouve également sur l’expérience Chouchou, avec les cinq gags en trois strips d’« Icare » signés Lobéloux, c’est-à-dire Lob [5] et Loeckx, en 1965 : « Avec le scénariste Lob, nous avons imaginé une série de strips avec un personnage qui tentait vainement de voler ; mais c’était dans la deuxième formule de Chouchou : celle qui était dans un format beaucoup plus petit, du n° 10 d’avril 1965 au n° 14 de mai 1965. »
Dans Présent, en 1969, Azara signe aussi quatre gags de « Bebel Fegor » écrits par Vicq : « Si je me souviens bien, UOPC, une maison-édition-librairie des Pères Assomptionnistes, ont lancé un hebdo qui s’appelait Présent, en 1969. Comme j’avais dessiné “La Bible” dans La Croix en Belgique (journal qui leur appartenait), ils m’ont demandé un petit strip humoristique pour leur nouveau magazine… »
Et n’oublions pas Spirou (6) avec « Haddada Surmamoto » (voir la première partie de ce dossier) ou les deux longs épisodes de quarante-quatre pages chacun de « Zagazik » (en 1980 et 1982-1983).
Les scénarios de cette nouvelle et éphémère série sont dus à Eugène Crespin : un professeur de judo.
Certains d’entre eux (dix-neuf planches en tout) ont été publiés, entre 1982 et 1986, dans La Revue de la sécurité en France ou dans le mensuel belge Jennifer.Parallèlement, notre interviewé mène une carrière d’illustrateur publicitaire qu’il avait amorcé, en 1970, pour les chocolats Mickybiss de Côte d’Or dans Tintin, ou avec « Butch Bell Haby : le justicier bien habillé » réalisé pour la marque de vêtement Ji Butch.
Il s’agit d’un western humoristique écrit par le grand Maurice Tillieux.
Il y en eut deux épisodes à suivre de onze planches chacun : le premier publié dans Tintin (en 1971) et le second dans Spirou (l’année suivante), mais uniquement dans les éditions belges.
Jo-Ël Azara va donc réaliser de nombreux travaux en ce domaine : pour Frolic, Total, Anvar, Coca-cola, le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel, IBM, Motta, Renault, Stella Artois, Texaco, les apiculteurs du Gers, Novotel et le Thalassa Oléron, l’EDF, etc.
Certains ont été réunis dans des petits albums promotionnels comme « Tennis assistance » (1984), « Helminger International » (1985), « Histoire mondiale du transport et de la logistique » (scénario de Claude Carton et Josette Baujot, chez EMC, 1989), « Heureux qui comme Loiral & Mac Keuf a fait un beau voyage » (scénario de Josette Baujot et Azara, sur un synopsis de Patricia Poulain, chez Arpe, en 1991 [réédition en 1993]) ou « L’H€ure de l’€uro ! » (avec la contribution de Josette Baujot pour les textes, chez Azeko, en 1999).
On retiendra aussi sa participation, à la demande de Pierre Tchernia et d’Albert Uderzo, à la création des décors de la rue médiévale du « Parc Asterix », mais, à partir de 1994, Jo-Ël s’occupe surtout de son propre label (Azéko) qui reprend, en albums cartonnés, son plus célèbre personnage : Taka Takata. Hélas ! Depuis le décès de sa compagne Josette Baujot (le 13 août 2009, à l’âge de 89 ans), Azara a ralenti son activité.
Même s’il pense toujours à une éventuelle une aventure inédite de son amusant et charmant petit soldat japonais : « J’aurais voulu d’abord rééditer tout ce que j’ai en stock et, même si je rêve un peu (car il faut être un peu fou pour faire de l’autoédition), j’aimerais publier aussi toutes les séries dont vous venez de parler, dans la collection Taka Takata présente. J’ai de la matière pour éditer encore cinq albums de “Taka Takata” et dix-sept de mes autres séries ou histoires entières. Après, si je suis encore de ce monde, je m’attaquerai peut-être à quelque chose de nouveau…
Si les rééditions sont ma priorité, c’est que je suis persuadé qu’il faut entretenir le patrimoine (de la BD), sinon tout ça va tomber dans l’oubli. Aujourd’hui, je râle souvent en découvrant l’ignorance de certains jeunes dessinateurs en matière de bande dessinée ; mais ce n’est pas de leur faute… Quand on leur cite des noms de créateurs comme Jijé, par exemple, ils se demandent de qui l’on parle, alors que si Jijé n’avait pas existé, il n’y aurait pas eu Franquin, Morris, Giraud/Moebius, Mézières, Derib ou même Hermann qui sont tous ses émules. Pourtant, les séries de Jijé, comme “Jerry Spring”, “Valhardi” ou “Tanguy et Laverdure”, sont encore disponibles.
Malheureusement, elles n’intéressent plus les jeunes dessinateurs : il faudrait que ces derniers soient un peu plus curieux, qu’ils ne se contentent pas d’admirer les travaux des auteurs de mangas ou les graphismes des jeux vidéo et qu’ils regardent aussi les travaux des anciens dessinateurs. Ils y trouveront certainement matière à développer leur imagination et leur technique illustrative ! »
Pour finir, n’oubliez pas de consulter le site www.taka-takata.com.
(1) Il existe un album regroupant les deux récits de dix planches chacun de « Gaétan de Chateaubleu » et l’histoire complète « YXZ contre BAC » (dix planches scénarisées par Chappuis et présentes dans Tintin, en 1966) qui a été publiée chez Espace Édition S.A en Belgique, et sous le label d’Albin Michel en France, en 1976.
(2) Il s’agit de « Les Lutins diaboliques », trente planches reprises en un album aux éditions du Lombard en 1971, puis en 1997, et dans le tome 1 de l’intégrale actuelle du Lombard, en 2011.
(3) Pour une bibliographie précise de Jo-El Azara dans Tintin, voir le très complet n° 102 de Hop ! (consacré à notre interviewé), ou encore le site bdoubliees.com : http://bdoubliees.com/tintinbelge/auteurs1/azara.htm et http://bdoubliees.com/journaltintin/auteurs3/azara.htm.
(4) Un scénario de Raymond Macherot et Yvan Delporte reprit en album aux éditions Dupuis en 1983, puis dans le tome 1 de l’intégrale « Isabelle » aux éditions Le Lombard, en 2007.
(5) C’est le scénariste Jacques Lob, avec lequel Jo-Ël avait aussi réalisé dans Record « Le Touriste inconnu » (un court récit de six planches publié en 1964), qui contacte ce dernier pour travailler à Chouchou. Dans un premier temps, il dessine deux planches de deux bandes couvrant la largeur de ce journal au grand format proche de celui des quotidiens. Cet essai n’aboutira malheureusement pas, mais le personnage principal qui y était dessiné, Submerman, sera repris plus tard par Lob (en 1967), pour une série dans Pilote, sous le crayon de Georges Pichard.
(6) Pour être complet, n’oublions pas la page de sommaire (présenté sous forme de BD) de ce journal Spirou en juin 1993 (scénario de François Gilson, au n° 2879) et en janvier 1994 (scénario de Pévé au n° 2911).
Laissons le dernier mot à Serge Ernst : « Je garderai de lui une multitude de souvenirs, qu’ils soient professionnels ou amicaux, ainsi que ceux qu’il m’a racontés de l’époque où il travaillait avec Hergé. Il avait une excellente mémoire et les anecdotes du studio Hergé fusaient à chaque fois que nous nous retrouvions devant un plat de fruits de mer. C’était un vrai passionné de BD : une passion qui a alimenté son âme d’enfant, tout au long de sa vie. Il était amoureux de la Gascogne, des paysages du Gers, du bon vivre et pouvait s’émerveiller d’un coucher de soleil sur les Pyrénées qu’il voyait de chez lui et dont il m’envoyait régulièrement les photos… Il y a plus de 20 ans, il avait fait l’effort de franchir le pas du numérique, en s’équipant d’un ordinateur et, régulièrement, nous restions des heures au téléphone pour régler (entre autres) des problèmes informatiques. Il va me manquer, ainsi que ses coups de fil quasi journaliers… Nous pensons beaucoup à Claudine qui lui aura tenu la main jusqu’à son dernier souffle… »
La rédaction de BDzoom.com s’associe évidemment à son chagrin et envoie toutes ses condoléances aux proches et à la famille de Jo-El…
Salut,
Un immense artisan de la meilleure période du journal Tintin (entre autres).
Grand respect pour son œuvre, et humble soutien à ses proches.
Petite pensée triste.
Avec Josette, ils faisaient parti des premiers auteurs qui nous conseillaient sur nos planches de tout jeunes débutants tout les ans au festival de Contern. Et toujours avec bienveillance et pertinence.
Ça compte.
Merci à vous.
Bonjour,
Je me permets de retranscrire ci-dessous le message envoyé sur un autre site ; bravo pour le récapitulatif de la carrière de Jo-El, ça me donne d’autant plus de regrets qu’il n’ait pas eu la monographie qu’il méritait…
C’est un privilège rare de sympathiser et d’échanger avec un auteur de son enfance : Jo-El m’avait comblé avec ses anecdotes, sa bienveillance, ses dédicaces personnalisées, le témoignage de son admiration pour Toppi et Ronald Searle, sa présentation du travail de sa défunte compagne Josette Baujot (quel talent – entre autres – de portraitiste !)…
Un grand regret, je n’ai pas réussi à le convaincre de faire une monographie sur sa carrière et son travail immense d’auteur, mais aussi celui de Josette ; il avait, me semble-t-il, une certaine appréhension avec la société Moulinsart…
J’espère que le prochain festival d’Eauze lui rendra un bel hommage. Mes très sincères condoléances à ses proches.