Le premier tome de « L’Ombre des Lumières » sorti l’an passé (1) se terminait par le départ, en ce milieu du XVIIIe siècle, du malfaisant chevalier de Saint-Sauveur pour le Nouveau Monde. En effet, toutes ses intrigues se sont retournées contre lui ! Après avoir séduit et trompé la jeune Eunice de Clairefont éprise de la philosophie des Lumières, menacé de mort par son mari et criblé de dettes, Saint-Sauveur a été obligé de s’exiler. En débarquant à Québec, il ne désespère cependant pas de retrouver sa place à Versailles, d’autant plus qu’un de ses peu fréquentables amis lui a proposé d’effacer toutes ces dettes s’il accepte de réaliser une mission vengeresse qui va lui permettre de déployer ses funestes talents…
Lire la suite...Au nom de Catherine, Rachel doit vivre libre et émancipée…
En 2017, avec le multirécompensé « La Guerre de Catherine », nous faisions connaissance avec la jeune Rachel Cohen cachée par la Résistance dans différents lieux en France, sous le patronyme de Catherine Colin. Nom qu’elle conserve à la Libération au début de sa vie de femme adulte. Dans « Au nom de Catherine » – sans famille, mais non sans amis -, Catherine travaille pour son indépendance, en s’émancipant dans un monde encore loin des jours heureux promis à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En 1946, la Seconde Guerre mondiale est finie, mais ses stigmates sont encore bien présents en France et en Europe. Rachel Cohen a perdu toute sa famille : victime du génocide commandité par le régime nazi. Elle a survécu en étant cachée dans la Maison d’enfants de Sèvres : un lieu paisible aux méthodes pédagogiques novatrices. Inspirés de Freinet et de Montessori, les enseignants de ce centre d’entraînement aux méthodes de pédagogie active pratiquent une pédagogie clandestine, basée sur les envies et l’imagination des enfants. Ainsi, les élèves appelent leurs professeurs par un surnom animal : Goéland pour la directrice, Pingouin pour son mari, Musaraigne pour la chef de la chorale, etc. C’est Pingouin qui initie Rachel à la photographie. Il lui confie un appareil très moderne : un Rolleiflex. Elle ne s’en sépare plus, et devient même une photographe accomplie.
À la fin de la guerre, Catherine vit avec son amoureux Étienne dans une petite ville de province. Seulement, quand celui-ci lui propose le mariage, un doute l’envahit. Elle ne veut pas aliéner sa liberté : vivre en couple loin de l’agitation parisienne.
Elle retourne à la Maison d’enfants de Sèvres et se laisse un an pour répondre à la demande d’Étienne. Pingouin lui trouve un premier petit job pour assurer son quotidien : un reportage photographique sur la Fête de l’Humanité pour le journal communiste. Elle fait preuve d’un talent artistique indéniable.
Catherine peut alors vivre ses premiers mois de femme indépendante, en répondant à des commandes pour des organes de presse : sur les modèles de Balenciaga, mais aussi sur le premier camp d’été d’après-guerre réunissant de jeunes Allemands et Français ou sur Simone de Beauvoir qui va publier sous peu « Le Deuxième sexe ». Elle ne parvient pas cependant à répondre à la demande de Paris-Match qui souhaite l’envoyer en reportage à Auschwitz. Le traumatisme de la Shoah et la perte de sa famille est encore trop proche.
Catherine a besoin de nouveau défis et de nouvelles causes à défendre. Elle part pour le Sud des États-Unis, enquêter sur une ségrégation meurtrière, sur la violence exercée au quotidien contre la communauté afro-américaine. Elle en rapporte des clichés saisissants qui font forte impression lors d’une exposition à Paris. Il est temps, pour elle, d’accepter tout son passé, de devenir une femme libre en assumant de nouveau son nom : Rachel Cohen.
Julia Billet a publié au début des années 2010 deux romans : « La Guerre de Catherine », puis « Au nom de Catherine », très vite recommandés par le ministère de l’Éducation nationale.
Ce sont des fictions, certes, mais largement inspirées de faits réels : de la jeunesse de sa propre mère, Tamo Cohen, rebaptisée France Colin durant le conflit, et de l’histoire de la Maison d’enfants de Sèvres, dirigée par le couple de résistants engagés Goéland-Pingouin : Yvonne et Roger Hagnauer de leurs vrais noms.
Pour plus de renseignements sur ce lieu étonnant vous pouvez consulter le site qui lui est consacré ici, avec des repères chronologiques ici .
L’album « Au nom de Catherine » est dans la continuité de « La Guerre de Catherine », mais peut se lire indépendamment. Le propos est toujours aussi fort et émouvant. À partir des quelques années formatrices d’une jeune photographe, c’est un véritable récit d’émancipation féminine qui nous est proposé. Alors qu’il fallait toujours l’autorisation du père ou du mari pour exercer un travail salarié dans ces années-là, Catherine signe elle-même ses premiers contrats et affirme alors son regard de d’artiste et sa propre personnalité. Ses reportages sont l’occasion de traiter de faits de société : d’un féminisme altier avec l’interview de Simone de Beauvoir à l’encore difficile aveu de l’homosexualité d’un ami de Catherine et des violences d’une ségrégation raciale encore légale aux États-Unis aux prémices de la réconciliation Franco-allemande.
C’est Mayalen Goust qui prend la suite de Claire Fauvel pour l’adaptation du roman de Julia Billet. Les styles sont voisins, élégants et épurés, mais l’ancienne étudiante des Arts appliqués de Poitiers s’empare d’un récit plus adulte avec de belles et grandes planches bien composées, équilibrées entre décors et détails des expressions et des mouvements des personnages. Les ambiances sont rendues par une utilisation fine et intéressante de la bichromie ; les couleurs changent d’une séquence à l’autre participant ainsi à la progression du récit.
Historiquement juste, cet émouvant récit d’une émancipation féminine dans un monde encore dominé par les hommes est l’occasion pour des lecteurs adolescents de se confronter à un passé patriarcal pas si éloigné de nous dans le temps et à des problématiques sociétales malheureusement toujours d’actualité.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Au nom de Catherine » par Mayalen Goust et Julia Billet
Éditions Rue de Sèvres (18,00 €) – EAN : 978-2-8102-0058-0
Parution 29 mars 2023
Quelle intelligence dans la mise en page, les cadrages, les couleurs !
Et quand le scénario est au même niveau, on ne peut que découvrir ce magnifique ouvrage.
Et puis la » fête de l’huma » , tout de même, c’était quelque chose !
Bonjour,
Nous sommes d’accord sur les qualités de l’ouvrage. Vous pouvez retrouver le trait inspiré et maîtrisé de Mayalen Goust dans » Les Colombes du Roi-soleil’, « Kamarades » ou « Alicia – Prima ballerina assoluta ».
Cordialement,
L. Lessous
Merci M.Lessous pour ces infos.
Et j’en profite pour remercier ici M.Ratier pour la date de sortie de Supermatou ( on ne peut plus répondre sur la page de l’article)