Ansor. Hendrikus Ansor, commissaire de son état. Imaginé par le dessinateur Olivier Wozniak et le scénariste Patrick Weber, le fin limier ostendais revient dans une deuxième enquête qui prend corps dans la prestigieuse station thermale de Spa, en Belgique wallonne. Le lieu, le genre, le style, tout concourt à faire des enquêtes d’Ansor un futur classique.
Lire la suite...« Amours fragiles » dans les coulisses de la grande Histoire : la fin !
Commencée en 1997 dans les derniers numéros du prestigieux mensuel (À suivre), « Amours fragiles » est une série historique pas comme les autres. Plutôt que d’entraîner le lecteur sur les champs de batailles de la Seconde Guerre mondiale, c’est dans les coulisses du conflit que les protagonistes évoluent. Le premier album étant sorti en 2001, il aura fallu attendre 22 ans pour découvrir les deux derniers épisodes de cette saga (le T8 étant sorti en mars de cette année) dont Jacques Tardi écrit : « De l’architecture teutonne aux brasseries bondées, des Panzer aux MP38, de la Pologne à Berlin sous les bombes, tout est à sa place. Documentation impeccable ! »
L’histoire commence en 1943 dans le sud de la France où Martin Mahner, jeune soldat de l’armée allemande, a été envoyé. Les auteurs reviennent sur son passé, ses études brillantes, sa passion pour la littérature, sa rencontre à Paris en 1938 avec Katarina, une jeune juive allemande dont — enfant — il avait été le voisin. Devenu officier de la Wehrmacht, il revient en permission en Allemagne où il ressent les prémices de la défaite annoncée. De retour en France, Martin recherche Katarina, laquelle est devenue Catherine avant de s’engager dans la Résistance. Envoyé sur le front de l’Est, il devient l’ami du lieutenant Stefan Pactz, participe malgré lui au complot Walkyrie, dont le but est l’assassinat de Hitler. Déserteur dans la clandestinité, il est témoin de la chute apocalyptique du IIIe Reich…
Cet ultime opus de 72 pages, commencé en juin 1945, permet de retrouver Martin dans les ruines de Berlin à la recherche de Katarina. Il est accompagné par Stefan Pactz et Ottmar : un ancien compagnon, rencontré lui aussi sur le front de l’Est. La maison de la jeune femme — laquelle est toujours introuvable — sert de refuge à de nombreux sans-abri, parmi lesquels Hannes, et sa sœur Ulrika qui se prostitue pour lui. Avec la complicité du sergent britannique Archibald Jones, Martin et Ottmar se lancent malgré eux dans un juteux marché noir organisé par Hannes, désormais leur associé. De règlements de comptes en compromissions, Martin Mahner tente de survivre dans un pays ruiné, physiquement comme moralement…
Au fils des pages, nous retrouvons avec bonheur les nombreux protagonistes de ce récit découverts au cours des épisodes précédents : Katarina (la résistante juive allemande), Maria (la secrétaire du docteur Bruhl, également mère d’Alicia, la fille de Martin), Hilda (qui a comploté contre Hitler)… Devenu professeur d’université et auteur d’ouvrages sur l’avenir de l’Europe, Martin tente de reconstruire une vie dont les plus belles années ont été gâchées par la folie des hommes.
Un récit documenté et sensible, la psychologie des personnages y est soigneusement maîtrisée. Le scénario de Philippe Richelle est crédible, humain, sans chercher les effets de manche gratuits. Les dessins de Jean-Michel Beuriot sont précis, minutieux jusqu’au plus petit détail, riches en décors authentiques, et avec des personnages tout en nuances. L’ensemble est homogène et cohérent, justifiant cette longue gestation de plus de deux décennies.
Le Liégeois Philippe Richelle, né le 17 juillet 1964, a débuté à la fin des années 1980 dans Tintin, auprès de Jean-Yves Delitte, avec la série « Donnington ». On doit à ce spécialiste de l’histoire politique du XXe siècle le thriller « Les Coulisses du pouvoir », « Secrets bancaires », « Les Mystères de la République », « Affaires d’État »… Efficace, précise, documentée, son écriture impeccable le place parmi les meilleurs de sa profession, sans pour autant tomber comme certains dans la course aux albums.
Jean-Michel Beuriot est né le 17 août 1961 à Mons. Dans un premier temps illustrateur, il aborde la bande dessinée en 1990 dans Hello BD ! En 1992, il collabore au mensuel (À suivre) où il dessine « Belle comme la mort », avec déjà Philippe Richelle au scénario. Suivra la série « Amours fragiles ». On lui doit aussi le one-shot « Voltaire, le culte de l’ironie », sur — toujours — un scénario de Philippe Richelle. (1) Il enseigne la peinture et la BD. Comme son scénariste, il mène une carrière discrète.
Terminons avec ces quelques propos de Philippe Richelle puisés dans l’excellente plaquette destinée à la presse :« “Amours fragiles” est sans doute l’une des dernières séries de bandes dessinées franco-belges au sens classique du terme. Il est devenu compliqué de contenir l’impatience des lecteurs. Je mesure la chance d’avoir pu aller au bout du projet. » Et Jean-Marie Beuriot d’ajouter : « Les rythmes de publication ne sont plus les mêmes et, avec un dessin classique comme le mien, il est impossible d’augmenter la cadence, sauf à sacrifier la qualité, ce que je suis incapable de faire. » Vous seuls, lecteurs, pouvez prouver aux deux auteurs qu’ils se trompent et que nombreux sont ceux d’entre vous qui apprécient les précieuses qualités de la bande dessinée franco-belge classique.
Henri FILIPPINI
« Amours fragiles T9 : Crépuscule » par Jean-Michel Beuriot et Philippe Richelle
Éditions Casterman (17,95 €) — EAN : 978-2-2032-3671-4
Parution 13 septembre 2023
(1) Voir : Voltaire, la liberté de dire.
Bravo pour cette fine chronique et présentée avec beaucoup de justesse.
La série les « Amours fragiles » est effectivement une oeuvre majeure qu’il faut défendre et promouvoir.
La composition magistrale du scénario est égalée par la perfection du dessin.
Ils sont rares les couples d’auteurs de ce niveau (Giraud-Charlier – Christin-Mézières – Dugomier-Ers – Uderzo-Goscinny – Letendre-Loisel …) dont le travail, à « quatre mains égales », est une symbiose, donnant l’impression d’une sorte « d’écriture dessinée » produite par un seul et immense auteur.
Dans le travail graphique de Beuriot je tiens à souligner ce même genre de symbiose qui est établi à travers les références majeures du dessinateur que sont Moebius et Tardi. L’illustrateur des « Amours fragiles » est une synthèse de ces deux courants. Nous offrant toute la palette des formes, à la campagne comme à la ville, en été comme en hiver, en paix comme en guerre, dans une sensation d’atmosphère toujours palpable et avec une souplesse d’animation des personnages rare et très sensible.
Leur travail remarquable nous fait vivre une époque terrifiante, avec des échos angoissants par rapport à la nôtre, comme si nous y étions en prise directe.
Du très grand Art.
Bonjour Mr Wurm, cher Philippe si vous le permettez,
Je voudrais vous remercier pour vos commentaires (réguliers) sur ce site. Commentaires toujours pertinents, bienveillants avec toujours beaucoup d’empathie pour vos collègues dessinateurs ou scénaristes. Cela nous change de l’hostilité, de la malveillance et des commentaires à l’emporte-pièce que l’on peut lire ici ou là. Vous avez certainement et heureusement ! des BD que vous n’aimez pas du tout voir même que vous détestez et vous n’en parlez pas (certainement par respect pour vos collègues). Et vous avez bien raison de ne parler que de ce que vous aimez et défendez. Vous savez, J’ai été biberonné à la BD franco-belge, journal tintin, Spirou puis Pilote, circus, vécu, A suivre, métal Hurlant j’en passe et des meilleurs. Pour moi vous êtes un digne représentant de BD franco-belge et de la ligne claire et certainement un des plus grands. Je regrette que vous n’ayez pas la reconnaissance que vous méritez, même si certaines de vos BD se vendent plutôt bien.
Bien à vous,
Pascal
Merci Pascal.
C’est un métier passionnant, enthousiasmant, captivant et absorbant ce qui implique un certain nombres de choix et de sacrifices des auteurs. C’est bien leur choix mais on ne peut ignorer une certaine dureté dans la pratique et les conséquences du métier. A ma connaissance tous les auteurs sont très impliqués (personnellement et émotionnellement) dans leur travail et cela demande un certain respect vis à vis de leur oeuvre que l’on aime ou pas.
Les commentaires négatifs s’ils sont bien argumentés sont intéressants.
Mais les commentaires méchants ne sont pas nécessaires.
Je me souviens avoir été longtemps lecteur avant d’avoir la possibilité de publier, mon statut de lecteur m’avait emmené parfois vers de l’agressivité envers ce qui se publie. Je me sentais un peu assailli (il y a 40 ans déjà) par tout ce qui sortait ou je me méfiais d’une nouveauté par peur d’être déçu. Certaines lectures peu appréciées ont parfois pris de l’intérêt le temps passant, ce qui relativise beaucoup le commentaire au présent, et montre qu’on peut se tromper.
Cela c’est la relation difficile et délicate du lecteur avec le monde de l’édition et de la culture (la découverte est chaque fois un voyage) qui est ainsi questionnée.
Il n’est pas nécessaire de témoigner de l’agressivité vis à vis des oeuvres ou des auteurs pour autant.
Par contre je trouve enthousiasmant et intéressant de célébrer (en cherchant à analyser) le travail des chefs-d’œuvre qui apparaissent.
Merci Philippe pour votre réponse détaillée,
Je vois que nous sommes sur la même longueur d’onde, peut-être est-ce une question de génération (j’ai juste un an de plus que vous). Dans mon dernier message j’ai oublié de préciser que j’avais été enchanté, ébloui à la lecture de votre dernière BD Edgar P. Jacobs « Le Rêveur d’apocalypses ». Avec votre style ligne claire (ou ligne puissance si vous préférez !) vous avez su rendre des atmosphères, des ambiances magnifiques…et bravo aussi à votre coloriste. Entre parenthèses pour ceux qui liraient ce message, et pour les passionnés de Jacobs vous pouvez vous abonner à la revue « les Amis de Jacobs » qui font un boulot remarquable et je précise que je n’ai aucun lien avec eux à part ma carte de membre !
Bref Philippe merci pour votre dernier opus qui m’a fait passer un superbe moment de lecture !
Pascal