Le 3 décembre dernier à Strasbourg, le Conseil de l’Union européenne a approuvé le déclassement du loup dans l’échelle des espèces animales à protéger. Il est ainsi passé d’espèce « strictement protégée » à « protégée », ce qui a pour conséquence de faciliter son abattage. La raison invoquée pour cette modification est une mesure de protection du bétail face à une augmentation de la population lupine. Invité sur le plateau de Millevaches durant une année, le dessinateur Troubs s’est penché sur la question de la cohabitation entre le loup et l’homme… et rend compte de ce travail.
Lire la suite...« Blacksad » T7 : un grand ponte (qui va) trop loin !
Pour parvenir à ses fins, Solomon, qui règne en maître bâtisseur sur New York, n’a pas hésité à piéger Weekly, accusé de meurtre. Afin d’innocenter son ami, John Blacksad se lance dans une redoutable course contre-la-montre, tout en renouant avec la trouble et sensuelle Alma… Suite et fin du somptueux diptyque entamé en octobre 2021 par Juanjo Guarnido et Juan Díaz Canales. Un ouvrage d’art animalier terriblement renversant !
En couverture du tome 6 précédent, l’intrigue principale dévoilait l’antagoniste de nos héros : faucon juché tel un oiseau de proie sur la poutrelle métallique d’un pont new-yorkais en construction. Sur le premier plat du tome 7, qui vient compléter visuellement le précédent, Blacksad redevient (hors-champ) le protecteur de la très féline Alma Meyer : le grand amour du détective privé. Apparu dans le troisième opus de la série (« Âme rouge », 2005), ce personnage féminin effectue un comeback inespéré dans la peau d’une tragédienne, au cœur d’« Alors tout tombe ». Initialement chargé de protéger Kenneth Clarke, président d’un syndicat menacé par la mafia, John Blacksad mène une enquête qui s’avère particulièrement délicate. Du quotidien des travailleurs chargés de la construction du métro dans les entrailles de la ville jusqu’aux malversations urbanistiques et politiques, en passant par le milieu du théâtre, l’intrigue confronte ombres et lumières, mondes d’en bas et d’en haut. De fait, alors que les personnages secondaires succombent un par un, le lecteur comprend vite que l’ambitieux Solomon ne veut laisser quiconque entraver le point d’orgue de sa carrière : la construction du plus grand pont suspendu du monde, sur lequel doit passer une autoroute à 12 voies. Un symbole selon lui du progrès et du triomphe de l’automobile. Weekly, journaliste spécialisé dans les ragots et le sensationnel, avait décidé de lui consacrer un reportage au long cours, afin de redorer son blason auprès de la direction du What’s News. Bien mal lui en a pris…
En enquêtant sur Solomon, Blacksad découvre que son empire industriel est bâti sur un monceau de cadavres dont Iris Allen, la directrice de théâtre, n’est pas la première victime. En coulisses, la mystérieuse mouette Shelby (un assassin tourmenté, qui semble en savoir long sur son employeur) démontre également tout le talent narratif des auteurs. Nul manichéisme, mais une pléiade de caractères, dont les liens affectifs, psychologiques ou sociaux se conjuguent aux événements narrés. Tous soulignent la soif inextinguible du pouvoir, l’appât du gain, les moralités malsaines, les haines et jalousies, dépeignant au final avec rudesse les aspects les plus sombres de la société américaine des années 1950. D’un point de vue documentaire, on reconnaitra en Solomon une figure inspirée par l’authentique Robert Moses, urbaniste qui façonna, pour le meilleur et le pire, une bonne part des infrastructures et décors de New York, durant sa longue carrière entamée dans les années 1930 (voir l’album « Robert Moses, le maître caché de New York », signé par Pierre Christin et Olivier Balez en 2014).
Créée en 2000, la série « Blacksad », traduite en 27 langues, s’est forgée en six tomes un solide public : trois millions d’exemplaires écoulés (158 000 pour le T6), un jeu de rôle, un jeu vidéo (« Blacksad – Under the Skin » en 2019) et un projet d’adaptation cinématographique ont consacré cette saga anthropomorphique, saluée pour son sens du cadrage, ses couleurs directes et ses personnages plus vrais que nature. Mais « Blacksad » a néanmoins su prendre son temps… Car, entre 2013 et 2021, aucune nouveauté n’était parue. Si le road-movie « Amarillo » (T5, 2013) avait moyennement convaincu les partisans de polars urbains, voyons surtout que Guarnido (qui, depuis, a avoué avoir travaillé sans lunettes sur ce titre, sans accepter que sa vue baissait !) avait surtout consacré beaucoup de temps à peaufiner le très bon album « Les Indes fourbes » (scénario par Alain Ayroles), paru chez Delcourt en 2019. Annoncé pour le début de l’année 2023, ce tome 7 n’est paru qu’à l’automne. Les lecteurs devront de nouveau patienter jusqu’à « Blacksad » T8, puisque le duo Ayroles-Guarnido se reforme actuellement autour d’un nouveau projet.
Prenons donc notre mal en patience (une règle d’or dans le monde de la BD franco-belge !) avec le diptyque « Alors tout tombe » qui, outre son suspense, invite à la contemplation. Avec ses scènes de foule et ses gros plans réflexifs, sous la neige ou sur une scène de théâtre, aux lumières du soleil couchant ou douchée par une tempête, en présence de personnages aux physiques variés (raton-laveur, chauve-souris, taupe, renard singe, chien, crocodile, oiseaux divers…), l’aventure nous convie perpétuellement à la relecture et à la redécouverte. Celle d’un univers domestique et sauvage, perpétuellement ambivalent, dont les angoissantes perspectives sont magnifiées par la coloration à l’aquarelle. Blacksad, une nouvelle fois, y apparait comme un héros attachant, personnage mû par des valeurs positives et s’efforçant d’insuffler un peu d’humanité (ou de chat-leur…) à une société qui en manque cruellement. Un album attendu et qui, malgré son titre, ne vous tombera certainement pas des mains…
Philippe TOMBLAINE
« Blacksad T7 : Alors tout tombe – deuxième partie » par Juanjo Guarnido et Juan Díaz Canales
Éditions Dargaud (16,95 €) – EAN : 978-2-205085334
Parution 3 novembre 2023