Outre le remarquable « Planète Arédit » de Benoît Bonte, coédité avec Néofélis, que nous avons déjà mis en avant sur notre site (1), les éditions P.L.G — petite structure portée par l’infatigable passionné qu’est Philippe Morin — ont sorti deux autres essais sur le 9e art dans leur collection Mémoire vive. Et ils méritent votre attention, d’autant plus que leurs sujets sont pour le moins originaux et qu’ils sont concoctés par des spécialistes du genre : il s’agit d’une part d’une histoire de la bande dessinée au Luxembourg, et d’autre part des métamorphoses médiatiques de la BD et des jeux vidéo. Incontournables, improbables et donc indispensables !
Lire la suite...« Les Indomptés » : une enfance difficile pour Lucky Luke !
Les Dalton ? D’hostiles Cheyennes ? Calamity Jane ou un quelconque prédicateur malhonnête ? Non, la pire menace pour Lucky Luke tient désormais en trois mots : des enfants turbulents ! Du moins lorsque Blutch s’amuse à transformer notre cow-boy solitaire en improbable nounou. Une aventure parallèle qui témoigne avec humour d’une tendre passion : celle de l’auteur pour l’univers western décalé, créé par Morris en 1946 avec « Arizona 1880 »…
Et de six pour la collection parallèle « Lucky Luke vu par… », lancée en mars 2016 par Dargaud et Lucky Comics avec le très réussi « L’Homme qui tua Lucky Luke », signé par Mathieu Bonhomme. Après les impertinents récits de Guillaume Bouzard, Mawil et Ralph König, l’« homme qui tire plus vite que son ombre » retrouverait presque une aventure plus assagie avec cet opus. On savait que le Strasbourgeois Christian Hincker était friand depuis sa jeunesse des classiques franco-belges (voir sa précédente relecture de « Tif et Tondu ») et plus particulièrement des westerns humoristiques : ce dans la mesure où, ayant un jour été comparé physiquement au caporal Blutch, antihéros des « Tuniques bleues » selon Cauvin et Lambil, il avait choisi de conserver ce prénom pour en faire son pseudonyme d’auteur. Voici donc Blutch venir croiser la route de l’Ouest de Lucky Luke. Pour la troisième fois en réalité, car l’auteur avait commencé dès 2002 par détourner dans « Le Cavalier Blanc numéro 2 » la couverture d’un album éponyme de « Lucky Luke », datant de 1975. En septembre 2017, il livrait un nouveau très bel hommage graphique à Morris dans « Variations » (avec une reprise d’une planche de « Lucky Luke T40 : Le Grand Duc », 1973), ouvrage qui revisitait également les mondes de Franquin, Goossens, Graton, Manara, Pétillon, etc.
En quelques 72 tomes (31 chez Dupuis de 1949 à 1967, 41 chez Dargaud et Lucky Productions/Comics entre 1968 et 2002), sans compter les dix volumes dessinés par Achdé depuis 2004, Lucky Luke a déjà été confronté à presque tous les dangers et ennemis possibles. Le monde de l’enfance, même, avait été exploré de manière caustique à travers deux précédents albums (« Kid Lucky » et « Oklahoma Jim », par Jean Léturgie, Yann et Conrad en 1995 et 1997), puis une série parallèle : « Les Aventures de Kid Lucky », composée des cinq albums réalisés par Achdé entre 2011 et 2019. Dans « Sept Histoires complètes – série 1 » (T42, Dargaud 1974), Goscinny et Morris imaginèrent par ailleurs, dans l’histoire courte « Le Desperado à la dent de lait », que Lucky Luke, chargé d’emmener le fils d’un fermier jusque chez le dentiste de Sleepy Gulch, subisse toutes les déconvenues liées au garnement… Bagarre déclenchée dans le saloon à la suite d’une moquerie, dame patronnesse outrée, héros renvoyé en prison, shérif dépassé par les événements… : bien des ingrédients sont repris à bon escient par Blutch, qui les développent ici au profit d’un récit plutôt bien ficelé, et multipliant assurément les rebondissements loufoques.
Au début de cet album au format classique (44 planches de quatre strips, fidèle à l’art de l’ellipse selon Goscinny et Morris), Lucky Luke, qui vient d’envoyer derrière les barreaux un certain Rufus Kinker, va prendre conscience que Rose et Casper sont la sœur et le frère de ce desperado sans envergure. Tous vivent désormais seuls, livrés à eux-mêmes dans une cabane isolée. Ayant décidé de ramener la fratrie en ville, Luke réalise vite que le caractère des trublions, dissemblables et turbuments, va lui donner du fil à retordre… Sans rechercher une quelconque thématique historique, Blutch – qui s’est inspiré de ses trois propres enfants – rend néanmoins compte des aléas des modes éducatifs dans l’Ouest américain au XIXe siècle. Entre discipline scolaire rigoureuse, vie sauvage nécessitant d’exécuter des tâches pénibles et mortalité infantile importante, les enfants n’avaient certainement pas l’existence la plus joyeuse qui soit. Et quand les enfants durent se réorganiser en reprenant la place occupée par des parents partis ou tués, la chose n’ira pas sans heurts, sans injustice ou sans violence. L’album de Blutch, derrière son trait élastique toujours teinté d’une certaine mélancolie morbide, alternera ainsi les séquences purement humoristiques et celles toutes en retenue, chargées d’émotions, voire d’angoisses. Car un danger mortel plane autour de la fratrie Hinker, dont les parents, qui se sont enfuis devant la bande d’outlaws crasseux de Grubby Feller (repris à l’album « L’Escorte », 28e opus paru en 1968) cache un bien lourd secret. Lumière et obscurité, comme on l’aura deviné pour ses « Indomptés » dignes des « Désaxés », renegades ou rebelles éternellement associés à la grande mythologie du Far West.
Philippe TOMBLAINE
« Lucky Luke vu par… T6 : Les Indomptés » par Blutch
Éditions Lucky Comics (13 €) – EAN : 978-2-884714938
Parution 1er décembre 2023
Édition spéciale (30 € – 96 pages format strips, tirage à 3 000 exemplaires) – EAN : 978-2-884715041
Parution 1er décembre 2023
Quelle horreur ! Quelle sale habitude de toujours démolir les séries originales, qui ont un si beau graphisme. Une insulte à l’artiste créateur tout simplement, sous la fallacieux prétexte de « hommage »…
Et bien comme quoi tous les avis sont dans la nature….De ce que j’ai lu dans le journal « Spirou » j’ai beaucoup aimé, et c’est drôle et pourtant respectueux de l’oeuvre originale, mais j’aime beaucoup Bluch en général. Son Tif et Tondu m’avait bien fait rire aussi.
Bof…. Blutch ferait mieux de reprendre les Tuniques bleues, cela serait plus logique!