« Monographie William Vance » : la bande dessinée dans la peau !

Pour beaucoup de lecteurs, le nom de William Vance est associé à « XIII » : la série culte qu’il a réalisée avec Jean Van Hamme, même s’il reste lié à « Bruno Brazil » et à « Bob Morane » pour la génération précédente. Mais, de longues années avant cette popularité tardive, le dessinateur a créé bien d’autres séries, tout aussi attachantes,parfois avec discrétion, mais toujours avec le même respect pour ses lecteurs. Cet entretien-fleuve avec Patrick Gaumer dresse le portrait d’un homme qu’on savait jusque-là secret et pudique, mais qui, ici, ne mâche pas ses mots.

Dès 2014, Patrick Gaumer et Yves Schlirf — l’éditeur de « XIII » pour Dargaud Benelux — se sont rendus à Santander, en Espagne, où le dessinateur résidait depuis de longues années.

Bien que souffrant de la maladie de Parkinson — il est décédé le 14 mai 2018 —, entouré par son épouse — et coloriste — Petra et par ses deux enfants Éric et Patricia,il s’est confié à ses visiteurs.

William Van Cutsem est né le 8 septembre 1935, à Anderlecht (l’une des communes de Bruxelles-Capitale), au sein d’une famille flamande modeste.

Sa mère — épileptique — est souvent absente et son père est réquisitionné pendant sept ans en Allemagne, pour le STO.

Admirateur de Hans Kresse — le dessinateur néerlandais d’« Eric de Noorman »—, des illustrateurs américains, mais aussi de Disney, il rêve de devenir dessinateur.

Malgré cette enfance difficile, il étudie à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles.

Au milieu des années 1950, il travaille pour les agences Publi-Synthese, puis Publicem.

En 1962, après avoir assisté Dino Attanasio — sur « Bob Morane » entre autres —, il devient un dessinateur régulier de récits complets authentiques.

Suivront, pour TintinFemmes d’aujourd’hui ou encore Pilote, « Howard Flynn », « Ringo », « Bruno Brazil », « Bob Morane », « Rodric », « Ramiro », « Bruce J. Hawker », « Marshal Blueberry »… et enfin « XIII », lancé en 1984.

À la lecture de cet entretien monumental, on comprend que, si « XIII » lui a apporté argent et succès, son cœur bat pour d’autres créations, où il a alterné les genres historiques et contemporains.

Avec une sincérité remarquable, il évoque les rencontres qui ont compté (Raymond Leblanc — le fondateur de l’hebdomadaire Tintin — et son fils Guy, véritables tyrans, capables de toutes les perfidies), sa bonne entente avec Henri Vernes, Yves Duval, Jacques Acar, Jacques Stoquart, André-Paul Duchâteau — ses scénaristes —, l’aide précieuse du couple Liliane et Fred Funcken, la gentillesse des rédactrices de Femmes d’aujourd’hui… et ses rapports, parfois tendus, avec Jean Van Hamme.

Et tant d’autres choses encore sur les coulisses de l’histoire de la bande dessinée des années 1960 aux années 2010.

Comme le dit Patrick Gaumer, en conclusion de ses longs entretiens : « William Vance était un honnête homme. » 

Les commentaires érudits et précis de l’interviewer complètent utilement les souvenirs — de bout en bout passionnants — de William Vance.

Au-delà du simple entretien, nous suivons jour après jour le quotidien pas toujours simple d’un dessinateur de bande dessinée, au temps où la presse pour jeunes était encore puissante.

Nous l’accompagnons dans son atelier, au cœur des rédactions, en repérage, auprès de son épouse et coloriste…

Ce qui est formidable, c’est qu’il ne cache rien, ne cherche pas à se mettre en valeur, conserve pudeur et modestie et fait preuve d’une mémoire impressionnante.

Proposée chronologiquement, cette conversation détendue est un modèle du genre. William Vance commente l’ensemble de ses travaux, histoire après histoire, album après album, avec le concours de Patrick Gaumer, lequel ajoute des notes informatives précisant leurs dates et lieux de publication. 

Ceux qui ont apprécié les précédents ouvrages que Patrick Gaumer a consacrés à Jacques Martin, Tibet, Grzegorz Rosiński et Duchâteau peuvent regretter que l’iconographie soit proposée sous forme de cahiers en couleurs et non dispersée au fil du texte : une option moins dynamique, qui peut paraître rébarbative pour un ouvrage consacré à la bande dessinée.

Quant au choix du format roman, il surprend, mais — face à la richesse du récit — on ne lâche pas un instant sa lecture.

Il est bon de (re)découvrir un auteur modeste, qui ne bombe pas le torse en se vantant des 16, 5 millions d’albums de « XIII » vendus à ce jour. Un beau cadeau de fin d’année !

Henri FILIPPINI

(1) Voir aussi sur BDzoom.com nos « Coins du patrimoine : William Vance dans Femmes d’aujourd’hui (1re partie)William Vance dans Femmes d’aujourd’hui (2e partie) et William Vance : disparition d’un maître de la BD réaliste….

« Monographie William Vance : entretiens avec Patrick Gaumer »

Éditions Dargaud (45 €) — EAN : 978-2-5050-7911-8

Parution 1er décembre 2023

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10 réponses à « Monographie William Vance » : la bande dessinée dans la peau !

  1. J’ai eu la chance de collaborer avec Patrick sur « Le voyageur du temps » la monographie sur Jacques Martin, et son travail d’historien m’a emballé . D’une grande culture, il m’a raconté de passionnantes anecdotes sur le monde de la bande dessinée et m’a montré comment travaille un historien. Nos discussions étaient toujours riches et intéressantes.
    Une jolie rencontre et bon moment de ma vie.
    Hâte de lire ce nouvel ouvrage !

  2. Patrick Bussard dit :

    Effectivement, l’ouvrage est une mine d’informations sur Vance et l’histoire de la BD de cette période. Mais il est vendu beaucoup trop cher au vu de sa piètre qualité d’impression. Passe encore sur le format roman et les pauvres cahiers couleurs où on note au passage l’absence de planches crayonnées et travaux préparatoires réellement inédits. On a juste des illustrations, toujours les mêmes en fait, d’une intégrale à l’autre. Ce qui me révolte vraiment, c’est l’absence de pelliculage pour protéger l’emboitage carton (la couverture, 1er et 4ème plat) qui est blanc et donc très salissant. Une fine couche de plastique transparent mate ou brillante aurait permis de protéger l’ouvrage des outrages du temps. Ici, c’était vraiment nécessaire ce pelliculage de protection, car, après une première lecture exhaustive, ce sera aussi un ouvrage à consulter régulièrement au fil et à mesure des relectures des séries de William Vance. Et que dire de la misérable jaquette en simple papier elle aussi non pelliculée. Tout ça pour la modique somme de 45 EUR, soit 295,18 FF tout de même. Le moindre album cartonné à 16-17 EUR est pelliculé mais une aussi belle monographie ne l’est pas. C’est rude pour un livre qu’on souhaite conserver et qui est vendu comme un vulgaire consommable. A titre de comparaison, il y a dix ans tout juste, sortait du même Gaumer et pour le même prix de 45 EUR, sa fantastique monographie sur Rosinski et là, le prix était justifié : grand format, très riche iconographie tout au long du livre, gros livre au poids de 2,754 kg.
    Aujourd’hui, pour faire gros et donc vendre cher, on réduit les formats des livres. J’ai connu une époque où les éditeurs faisaient l’inverse. Misère de l’édition, gloire aux actionnaires des groupes de communication qui sont derrière et qui tirent les ficelles. Avec l’intégrale de Ramiro, ce mois de décembre coûte cher aux admirateurs de William Vance. La BD n’est plus populaire.
    Cordialement,
    Patrick Bussard

    • Gilles Ratier dit :

      Bonjour, Patrick et merci pour votre réaction sur l’excellent livre que Patrick Gaumer a consacré à William Vance.
      Juste une petite remarque pour contrebalancer, un peu, votre post soulignant « l’absence de planches crayonnées et travaux préparatoires réellement inédits. »
      Il convient quand même de signaler la publication inédite des quatre premières planches du « Jour du Mayflower » (le 20e « XIII ») restées en l’état, et dont Iouri Jignounov a totalement remanié le découpage.
      Après, il semble évident que cette monographie — que notre collaborateur Philippe Tomblaine remet encore en avant aujourd’hui dans sa chronique sur les beaux livres — aurait mérité un soin technique plus attentif de la part de l’éditeur…
      Cela dit, c’est une preuve supplémentaire que le patrimoine — que ce soit au niveau des intégrales, de l’histoire de la bande dessinée ou des ouvrages consacrés aux auteurs mythiques du 9e art — ne fait pas partie, hélas, des priorités des grands groupes d’éditions (sans parler de l’accueil de certains libraires, mais bon, c’est un autre sujet) : voir aussi notre récent article sur les intégrales Dupuis.
      Peut-être doit-on, désormais, simplement se contenter que cet ouvrage indispensable (qui a demandé des années de travail et qui était terminé sur le plan de l’écriture depuis pas mal de temps) soit au moins paru ? Il aurait pu, peut-être, ne jamais exister…
      Alors, soutenons-le !
      Gilles Ratier

      • Fabio dit :

        Chers amis de BDZoom, votre souci de défendre le travail de Patrick Gaumer, excellent biographe d’Auteurs de BD, est tout a fait compréhensible et partegeable. Ceci dit, c’est pas seulement une question de ‘soin technique ’. C’est plutôt une question d’approche qui ne répond pas aux attentes des amateurs de Vance. Beaucoup d’entre eux, moi compris, après une gestation si longue (plus de 5 ans) attendaient un produit style la monographie sur Rosinski ou les ‘Biographies par images’ Dupuis/Champaka. Un dessinateur parle surtout avec ses dessins et plusieurs fois sa vie personnelle n’a rien d’héroïque. Donc dans une biographie d’un dessinateur on pense forcement à un produit avec un rôle largement prédominant des images et dans une carriere longue comme celle de Vance je pense qu’il y a tous les éléments pour une iconographie riche. C’est aussi vrai que l’editeur n’a pas mis en valeur le produit. Le livre est sortie sans aucun ‘preview’ sur leur site et on l’a trouvé en librairie d’un jour a l’autre…..Cordialement

  3. BOX OFFICE STORY dit :

    @Patrick Bussard

    Tout est dit….

  4. Général Propergol dit :

    Patrick,
    L’absence de pelliculage, c’est le truc à la mode. C’est censé faire plus qualitatif car moins clinquant. La correspondance de Paul Cuvelier a aussi une couverture non pelliculée. Et comme c’est un gros pavé et qu’il faut du temps pour le lire, on risque fort de le couvrir de traces, voire d’endommager la couverture par l’acidité de la transpiration des mains. Donc, pour éviter tout problème, la première chose que j’ai faite, comme toujours avec ce type de couverture, c’est de la couvrir d’un calque épais. Cela donne de la classe à l’ouvrage qui semble immédiatement monter en gamme. :-) ) Et c’est bien moins vulgaire qu’une couverture en vinyle transparent qui de toute façon glisse tout le temps.
    Quant à dire que la BD n’est plus populaire, cela fait au moins une trentaine d’années que c’est le cas. Son public a vieilli et donc le pouvoir d’achat de lecteur a progressé. Aujourd’hui, personne ne bronche pour payer 60 € pour une monographie. Ou de 70 à 100 € un Omnibus Marvel fait de rééditions depuis longtemps amorties. Ou encore 47 € pour les 176 pages du petit Panthéon de Mœbius. La BD est un produit de CSP+. A nous de ne pas tomber dans le piège.

  5. Gilles Poussin dit :

    Bonjour,
    De lire cet article me renvoie à l’enfance quand j’ai découvert le travail de William Vance avec Bob Morane dans « Femmes d’aujourd’hui » auquel été abonné ma mère.

  6. joel dit :

    et pour Bruce hawker étrange qu’aucune planche du signal 314 ne soient montrée car dans plusieurs interview des années 90 l’auteur disait en être à la moitié de planches dessinées. tout comme pour le dernier Bruno brazil, il en a dessiné une vingtaine et seul les premières avaient été montrée dans le tome 11.

  7. Patrick Gaumer dit :

    Pour “Signal 314”, qui aurait dû démarrer un nouveau cycle de Bruce J. Hawker, je vous renvoie à la lecture des pages 239 et 240 de ma monographie.

    À l’occasion d’un entretien avec le journaliste Jean-Marc Vidal, paru dans le mensuel Bo Doï, n° 17, en mars 1999, William résume son futur projet : « Cela se passe en 1804, en Méditerranée, dans le détroit de Gibraltar, entre les Anglais et les Américains : Hawker tente, sur son navire, de traverser le détroit malgré ses avaries et un orage effroyable. Une goélette américaine, l’“Enterprise”, se met bord à bord et le remorque jusqu’à Gibraltar. Hawker y prendra le commandement d’une frégate, embarquant deux divisions de marines pour convoyer un passager mystérieux jusqu’à Naples. Hawker doit esquiver les Français et se rapproche trop des côtes d’Alger et de Tunis, investies par les pirates mauresques sur leurs chebeks… Alors se déroule un combat naval où sont engagés des galères, la frégate de Hawker et… son sauveur américain. Ça va sentir la poudre à canon. »
    William prévoit alors une véritable saga, susceptible d’être déclinée en plusieurs tomes. Pour le premier d’entre eux, il envisage même un temps de le réaliser en couleurs directes, en tout juste un an : « Cette histoire s’intitule “Signal 314”, ce qui signifie “navire en détresse nécessite aide d’urgence”. On y croise le frère jumeau de Bruce qui navigue sous pavillon américain. Les deux hommes ne se connaissent pas et ont été séparés à leur naissance. »

    Autant de projets qui ne pourront, hélas, pas être menés à bien, interrompus par la maladie de Parkinson qui le mine. Au fil des ans, William accumule cependant des crayonnés poussés de personnages historiques, comme le lieutenant Isaac Hull de l’U.S.S. « Enterprise », le capitaine Richard Hartwell et l’aspirant Archie Stowe du H.M.S. « Bellona » ; des « powder monkeys » du H.M.S. « Cogger », divers matelots espagnols, etc. »

    En réalité, il n’existe pas de planches proprement dites, tout au plus quelques vignettes lettrées et des crayonnés très très légers et inexploitables. William dessine par ailleurs des fantassins, des cavaliers… Certaines des compositions lui serviront par la suite pour illustrer les couvertures des intégrales de la collection “Tout W. Vance”, notamment celles des histoires complètes du journal Tintin.

    Pour ce qui est de La Chaîne rouge, l’ultime Bruno Brazil resté inachevé, j’ignore où vous avez pu lire que William en aurait dessiné 20 planches. Peut-être confondez-vous avec le scénario de Greg, interrompu, lui, à la planche 20 ? Je vous renvoie, éventuellement, à la troisième intégrale de Bruno Brazil. parue au Lombard.

    En vérité, William n’en a dessiné que 6. Là encore, j’explique pourquoi dans les pages 126 et 128 de mon livre.

    PG

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