Entretien avec Jean-Luc Muller : 15 ans d’archives autour de Pif-Gadget/Vaillant et les auteurs du journal…

Depuis le 1er octobre 2023, une chaîne YouTube intitulée Pif-o-films est apparue. Contrairement à la plupart des chaînes liées aux lectures jeunesse et BD, elle a la particularité de ne proposer que des contenus originaux (films documentaires, reportages, entretiens, etc.) et réalisés par la même personne, depuis une quinzaine d’années, autour du même sujet. Jean-Luc Muller, son auteur, n’est pas un inconnu, puisqu’il a souvent partagé des documents ou textes sur notre site. Voici l’occasion d’en savoir plus sur ce partage public d’une grande partie de ses archives audiovisuelles autour du monde des éditions Vaillant et de Pif-Gadget, qui est, surtout, la continuité d’un projet initié il y a neuf ans.

BDzoom.com —Pour commencer, peux-tu nous dire, en quelques mots, ton lien personnel au monde de Vaillant et Pif-Gadget ?

Jean-Luc Muller — Né au milieu des années 1960, j’étais fatalement le lecteur type du Pif-Gadget, lequel venait d’atteindre le moment culminant de sa jeune notoriété, avec des tirages quasi jamais réédités dans la presse jeunesse.

Dans mon cas particulier, le Pif des années 1971-1978 est quelque part entre les grandes heures de la vulgarisation scientifique par le gadget, le triomphe de « Rahan » ou de « Docteur Justice », « Supermatou » et « Dicentim »… et des moments comme la « Mort de Rahan », la main de Pif ou la valse des formats du journal !

Comme j’ai toujours été un peu archiviste dans l’âme, je m’étais intéressé très jeune (vers 10-11 ans) à ce qui avait précédé : les premiers numéros de ce journal… et « le journal d’avant ». C’est-à-dire Vaillant, pour connaître aussi ce que j’avais manqué : les séries BD disparues, les autres formats du journal, etc.

Bandeau publicitaire pour la sortie de Pif-Gadget, dans Télé-Poche, en février 1969.

Cet intérêt est revenu (comme souvent chez les anciens lecteurs) à l’âge adulte, en retombant 20 ans plus tard sur d’anciens numéros chez des bouquinistes, et en découvrant le site de Philippe Baumet (pif-collection) où un certain Richard Medioni partageait des souvenirs d’ancien rédacteur en chef du journal.

Or, c’était l’un des rares noms de l’équipe de rédaction dont je me souvenais, car il avait animé une campagne autour de la magie dans Pif-Gadget en mars-avril 1973, qui m’avait marqué.

J’ai pu prendre contact avec lui au moment de la sortie de son livre de souvenirs (« Pif-Gadget, la véritable histoire » aux éditions Vaillant Collector, en 2003), et nous sommes devenus amis… d’autant que nous partagions la même passion pour la magie et… le rock’n’roll.

BDzoom.com —C’est de là qu’est partie l’idée de réaliser des entretiens vidéo ?

Richard Médioni.

Jean-Luc Muller — En quelque sorte. Par l’intermédiaire de Richard Medioni, j’avais lié connaissance avec Jacques Kamb, puis Jacques Nicolaou, à la suite de la soirée de lancement du Pif-Gadget de 2004. Les premiers entretiens (2006-2008) étaient très informels, au moment de séances de dédicaces sur des salons BD, pour donner la parole à des auteurs dont on ne parlait nulle part à l’époque.

Quand Richard a lancé son webzine Période rouge, j’avais alors proposé de réaliser de petits entretiens vidéo pour compléter le contenu éditorial. C’est ainsi que je suis allé filmer Gérald Forton, puis Jacques Tabary. J’avais intitulé cette petite série « Nos années Pif/Vaillant » (à l’époque, sur la plateforme Dailymotion).

En 2009, il y eut notamment un tournage avec Kline (entretien encore inédit au moment où ce texte est rédigé), auteur qui n’avait JAMAIS été interviewé en vidéo, et surtout André Chéret à l’occasion des 40 ans de Rahan… et puis, il y a eu la rencontre avec Marcel Gotlib, devenu lui aussi un ami (notamment en raison de notre amour commun pour les Goons, les Monty Python et… les Beatles). Quand Richard a publié la version remaniée et très augmentée de ses écrits, en 2012, j’avais commencé à plancher sur un projet de grand documentaire TV sur l’histoire des éditions Vaillant.

Marcel Gotlib.

BDzoom.com —Tu cherchais à faire un travail de journaliste, d’historien ou de bédéphile ?

Jean-Luc Muller — Je n’ai pas de formation d’historien, mais mes études m’avaient amené à m’intéresser autant à la sociologie, la linguistique ou à l’histoire du cinéma ! Et quand j’ai commencé à réaliser des documentaires, ce sont les sujets dits de « culture populaire » qui me passionnaient. En fait, je trouve qu’il reste tout un pan de l’histoire sociale à documenter, car elle est proportionnellement peu valorisée ou représentée à l’écran : l’enfance et la place de la jeunesse dans l’évolution des modes de vie ou des loisirs, depuis le tournant du XXe siècle. Après la Seconde Guerre mondiale, on a vu se développer la société des loisirs et le concept d’adolescence, puis de préadolescence, de société de consommation qui ciblait la jeunesse, etc.

En évoquant l’histoire d’un journal qui a commencé sa parution en 1945, je me disais qu’on pouvait tenter (c’était très évidemment trop ambitieux, pour ne pas dire prétentieux…) de brosser par ce biais illustré un portrait de l’enfance française jusqu’aux années quatre-vingt-dix. Et c’était représenté à l’image autant du point de vue de ceux qui fabriquaient le contenu du journal que des lecteurs qui le lisaient.

On pouvait, en filigrane, y évoquer la marchandisation et la place croissante des messages publicitaires, la manière dont évoluait le rapport à la violence et sa représentation, le sexisme et la prise en compte progressive des jeunes lectrices… et évidemment la multiplication incroyable des sollicitations et des objets qui se retrouvaient entre les mains des enfants : depuis les premiers jeux-gadgets en carton à découper créés pour le journal, jusqu’aux figurines plastiques achetées à des grossistes en Chine. Et aussi, bien évidemment, l’impact et la place de plus en plus envahissante de la télévision auprès des enfants : ses héros, ses mythologies, ses rythmes de narration…

L'animateur TV Jacky, souvent en couverture du journal dans les années 1980.

Pendant ce temps, la rédaction d’un journal BD devait s’adapter, pour conserver ses lecteurs. Dans le cas des éditions Vaillant, encore plus qu’ailleurs, il restait durant une période une forte résistance de la part de la rédaction face aux sollicitations des annonceurs ou à certains types de récits, pour des raisons morales (et évidemment idéologiques). Mais à partir du milieu des années soixante-dix, les digues ont cédé… Et cela aussi mérite d’être raconté, même si les anciens rédacteurs du journal ont parfois quelque peine à se replacer dans ces contextes, car leur travail consistait avant tout à l’animer d’une semaine à l’autre, du mieux qu’ils pouvaient… Mais au fil des entretiens et archives, on arrive à se forger une image mentale de cette évolution.

Quatre rédac' chef de Vaillant et Pif : Rieu, Médioni, Gendrot et Bardavid.

BDzoom.com —Pour en revenir au projet documentaire, peux-tu nous dire de quoi il s’agissait et à qui il s’adressait ? C’était destiné à quel genre de diffusion ?

Jean-Luc Muller — Tout d’abord, il faut préciser qu’un documentaire existait déjà, consacré à l’histoire de Pif-Gadget, réalisé par Marc Rouchairoles en 1999-2000 pour FR3 Lille. Il contenait des entretiens très courts avec plusieurs auteurs que j’aurais adoré rencontrer d’ailleurs, comme Roger Mas ou Jean Tabary, et aussi le fondateur du journal, René Moreu, ainsi que les deux immenses scénaristes qu’avaient été Roger Lecureux (décédé fin 1999) et Jean Ollivier (que j’avais croisé en 2004, mais qui est décédé fin 2005, avant que je puisse l’interviewer). Le problème, malgré la qualité du film, était la durée trop courte pour permettre d’aborder plusieurs sujets et multiplier les entretiens : ce qui était frustrant pour les anciens lecteurs passionnés. Et puis, avec le passage généralisé au format HD 16/9, ces images ne pouvaient plus être exploitées en télévision. Je souhaitais proposer un documentaire en deux parties : le premier film racontait la création et la vie du journal Vaillant dans les années d’après-guerre jusqu’à la fin des années soixante, et le second se concentrait sur l’aventure Pif-Gadget, cette fois dans le contexte des années 1970-1980. Ainsi, j’avais plus de temps pour présenter les auteurs, les styles, le contexte sociologique, les évolutions du contenu, du lectorat, et aussi des rapports entre le rédactionnel et les contingences commerciales.

Pour résumer : il s’agissait idéalement de deux films d’une heure chacun, racontant le journal entièrement du point de vue de la rédaction, et qui mettaient l’accent sur son contenu et son rapport aux lecteurs.

Après de nombreuses modifications et changements de partenaires en production, un dossier de présentation avait été déposé auprès de plusieurs chaînes, dont Arte, la 5, LCP… Mais on m’avait fait comprendre qu’il fallait tout raconter en un seul film de 52 min, car il n’y avait pas de case documentaire pour un sujet de ce type, si en prime il était « hors format »

BDzoom.com —C’est là qu’a eu lieu le crowdfunding ? Pourquoi une campagne de financement participatif pour un documentaire TV ?

Jean-Luc Muller - Comme dirait le capitaine Haddock « c’est à la fois très simple et très compliqué »… Deux dossiers de production documentaire avaient été déposés auprès de diffuseurs au début du printemps 2014, dont l’un semblait en bonne voie pour une mise en route et un début de tournage à l’automne ou au pire début 2015.

Mais de mon côté, je savais que plusieurs intervenants essentiels au contenu du film (pour des témoignages relatifs à l’histoire de Vaillant, notamment) étaient très âgés, et même parfois très fragilisés physiquement. C’était le cas pour Jean Sanitas, par exemple, ou René Moreu, etc. Il ne fallait vraiment pas attendre. Or, je m’étais littéralement ruiné pour filmer et monter certains témoignages précédents et j’étais complètement à sec.

Image-titre du film d'entretien avec Jean Sanitas.

Le raisonnement était le suivant : puisqu’un film appartient à son producteur (et pas à son réalisateur), je souhaitais rester propriétaire des images d’entretiens filmés, pour les partager ensuite sous divers formats sans soucis. Ces deux raisons m’ont poussé à lancer un crowdfunding, au début de l’été 2014, partant de l’idée que les souscripteurs deviendraient « coproducteurs » en quelque sorte de cette banque d’archives audiovisuelles et seraient ensuite récompensés en ayant leur nom associé au film documentaire, dont ils recevraient une copie une fois qu’il serait terminé, mais aussi un complément avec ce qui n’y figurerait pas ! Et puis, ce type de financement participatif étant médiatisé, cela encouragerait les diffuseurs à se décider plus vite.

Louis Cance dessinant Pif.

La suite : j’ai effectivement tourné des images d’entretiens chez Jean Sanitas en Auvergne, chez Louis Cance,  et à Annecy chez une famille que le journal accompagne depuis quatre générations, mais j’ai appris alors qu’une société de production venait de vendre un documentaire sur Pif-Gadget à Arte, exactement au même moment. Quand la campagne participative se terminait, plus aucun diffuseur (dont Arte, où un dossier avait été en discussion avec une chargée de programmes, dont on m’a dit qu’elle avait changé entretemps) ne voulait de ce projet de film, alors qu’un autre sur le même sujet était déjà programmé…

On m’a même dit, chez d’autres diffuseurs contactés « on ne va pas proposer un autre doc sur Pif-Gadget si Arte en fait un. Et c’est déjà un sujet trop segmentant… » (Ah, le verbiage télévisuel !) J’ai ensuite tenté de faire une proposition de documentaire plus orienté sur l’archive historique, consacré à l’histoire du journal Vaillant, avant Pif-Gadget, mais sans succès. Jacques Kamb, Richard Medioni, Georges Rieu, Nikita Mandryka, Jean Solé et d’autres m’ont soutenu et encouragé à poursuivre, sans oublier les anciens lecteurs-souscripteurs qui souhaitaient que ça sorte, sous une forme ou une autre. J’ai alors produit moi-même plusieurs entretiens complémentaires et des séquences de « reconstitutions »mettant en scène des enfants avec Pif ou des archives diverses (issues de fonds militants, notamment, ou de sources variées) pour réaliser des séquences et sujets individuels… en attendant de pouvoir reformuler une proposition documentaire.

De nombreuses séquences de reconstitutions mettent en scène les enfants d'anciens lecteurs.

Réaliser des sujets pour diffusion internet ou un film pour diffusion TV, ce sont deux choses totalement différentes, surtout en termes de moyens (équipe à salarier, studio, postproduction, etc.). Après avoir embauché (grâce aux souscripteurs !) un opérateur vidéo pour certaines séquences et avoir pu louer un peu de matériel, acheter des archives ou même louer un lieu pour tourner certaines images de reconstitutions (un marchand de journaux parisien, et les services d’une association qui louait des lieux et accessoires anciens…), j’ai dû m’arrêter, car les finances fondaient plus vite que la banquise aujourd’hui…

Louis Cance en interview.

BDzoom.com —À qui étaient destinés ces sujets, et où pouvait-on les voir ?

Jacques Tabary.

Jean-Luc Muller — Après avoir compris que je ne pourrais plus, dans l’immédiat, réaliser le film envisagé, j’avais décidé de monter de courts sujets vidéo à partir d’entretiens et images déjà tournées, et en réaliser d’autres quand la possibilité s’offrait à moi. Il y eut ainsi un film sur la Fête de l’Huma des éditions Vaillant, un autre sur l’histoire des pois sauteurs, sur la naissance du journal Vaillant pour ses 70 ans (en 2015), sur la caravane Vaillant du Tour de France et la création du format « poche », sur les gadgets scientifiques, etc.

En parallèle, j’ai réalisé un certain nombre d’entretiens vidéo complémentaires : par exemple chez Paul Carali, Jean Solé, Nikita Mandryka, Richard Medioni très longuement, ou même l’animateur Jacky, quand la possibilité m’en était offerte, pour qu’ils me racontent leur histoire avec Pif.

Certains clips avaient été publiés en accès libre (un clip sur les Noëls avec Pif, notamment), mais la plupart étaient partagés en mode « privé » exclusivement avec les souscripteurs du projet (et évidemment les auteurs concernés), car je leur devais bien cette exclusivité. L’idée était de former un « club » de ces soutiens (dont certains avaient été généreux, très enthousiastes et fidèles) auxquels je réservais la primeur d’une future édition papier de ce travail. Je me suis mis à réaliser des dossiers d’archives à leur intention, parallèlement à la mise en ligne des films qui leur étaient destinés.

BDzoom.com —C’est un peu dommage, non, de ne pas partager ça avec tous les anciens lecteurs ?

Jean-Luc Muller — Extrêmement frustrant. Le pire c’est que, me sentant lié moralement à cause du crowdfunding originel, je m’interdisais de montrer ça au plus grand nombre, mais d’une certaine façon, cela frustrait aussi certains des auteurs filmés, qui auraient pu bénéficier en fin de carrière d’un peu de « retours médiatiques » du fait de ces diffusions.

Je garderai toujours en mémoire un appel téléphonique de Jacques Tabary, il y a une douzaine d’années, qui me disait avoir renoué le contact avec des cousins ou neveux, parce qu’ils avaient vu sur internet un petit film d’entretien que j’avais tourné avec lui. Ça l’avait épaté, lui qui était quasi oublié de tout le monde…

Alors, je me suis mis à publier parallèlement des versions réduites ou des petits clips d’entretiens, histoire de ménager la chèvre et le chou, mais ça prenait vraiment un temps fou… que je n’avais plus. À partir de 2015, j’avais commencé à rédiger des petites notes illustrées, avec infos complémentaires, chaque fois que j’envoyais aux souscripteurs une nouvelle vidéo. En 2020, avec le confinement, l’idée est venue de créer une sorte de webzine autour de ce projet, avec des liens vidéo, des textes, des archives, etc.  On pouvait s’y abonner pour une somme modique, tandis que les souscripteurs du début recevaient ça automatiquement : voir aussi Hommage à Pif gadgetConfiné gadget (le journal des lecteurs les plus captifs) réjouira tous les anciens lecteurs de la période rouge du célèbre hebdomadaire !.

Et puis, c’est devenu la OUF-Gazette (j’expliquerai une autre fois le titre), qui s’est étoffée, contient des liens vidéo exclusifs, de petits dossiers, mais aussi des entretiens complémentaires, parfois un petit concours, et même de temps en temps des illustrations originales envoyées par certains auteurs du journal.

BDzoom.com —Elle continue d’être diffusée ? Où peut-on la trouver ?

Jean-Luc Muller — Cette gazette est offerte évidemment au fur et à mesure des parutions aux souscripteurs du projet, ceux de la première heure. Sa parution est très fluctuante. Deux « numéros » par an. Celui consacré aux années 1960, avec hommage à Georges Rieu, fait 100 pages, bourrées d’infos et d’archives, et ça m’avait pris presque autant de temps que pour écrire un petit livre ! Sur le blog pif-film.com, on peut trouver des liens pour en télécharger des versions réduites de quelques pages et sans liens vidéo, pour voir de quoi il s’agit.

Kline.

Je proposerai prochainement une formule d’abonnement toute simple, ou bien la possibilité d’obtenir les numéros (en format haute résolution, avec liens complémentaires, etc.). Pour recevoir les numéros parus (on arrive prochainement au n° 7), ce sera un format d’abonnement spécifique : 20 € pour ce qui est paru, ou 40 € pour recevoir les numéros parus et tout ce qui suivra + des dossiers thématiques (il en existe déjà une vingtaine). J’encouragerai aussi les soutiens spontanés de généreux donateurs à la cause… Rires !).

André Chéret.

BDzoom.com — Beaucoup d’auteurs « historiques » liés à Pif et Vaillant ont disparu ces dernières années : Kline, Chéret, Mandryka, Norma, Nicolaou…

Jean-Luc Muller — Oui, et c’est d’ailleurs très démoralisant, d’autant que la démographie joue contre nous : les anciens lecteurs aussi, sont moins nombreux, ou… moins vaillants.

Depuis 12 ans, je tente de convaincre des institutions BD (Musée d’Angoulême, Maison de la BD, etc.) de monter quelque chose d’un peu consistant pour rendre vraiment hommage à ce pan important de la BD française, et même de la culture populaire au sens large, qu’a été l’« écurie Vaillant » (sans allusion à une BD du journal Tintin !).

Quand on pense que Gotlib, Jean-Claude Forest, Paul Gillon, Mandryka, Eduardo Coelho, Forton, Tabary et tellement d’autres y avaient fait leurs premières armes…

Si le journal Pilote a représenté un grand tournant et fut le meilleur journal de BD des années soixante, il paraît indéniable que Vaillant fut le plus beau journal jeunesse 100 % français des années cinquante, et Pif-Gadget le plus important magazine BD européen des années soixante-dix.

Ce n’est pas rien !

Les retrouvailles de Georges Rieu et Richard Medioni, à Paris, en novembre 2010.

En attendant, j’aurai au moins permis à de nombreux anciens lecteurs de découvrir, sous un autre angle, beaucoup des acteurs de cette histoire, dont quelques auteurs généralement escamotés et rarement ou jamais interviewés.

Gérald Forton.

Je pense évidemment à Gérald Forton, à Nicolaou, à Norma, mais aussi Carali (qui débuta dans Pif !), à Louis Cance (vétéran du journal récemment disparu, dont la revue Hop ! fut aussi une mine d’informations), à Henri Dufranne, Kline, mais aussi Chéret (peu disert et timide en interview) ou Gotlib (qui n’avait jamais auparavant évoqué aussi longuement ses années dans Vaillant), à Jacques Kamb (qui n’avait jamais été interviewé ailleurs, et pourtant celui qui avait dessiné dans le journal depuis 1952 !), sans oublier Angelo Di Marco (qui n’avait jamais été interviewé ainsi en vidéo dans son rapport à la BD), ou le sympathique Jacques Tabary, dans l’ombre de son célèbre frère Jean.

Et il y a aussi les entretiens assez fournis avec Georges Rieu (concepteur de la formule Pif-Gadget), Richard Medioni (qui fut son adjoint, dans l’équipe de création de Pif-Gadget avant d’en devenir rédacteur en chef), Claude Gendrot (rédacteur en chef de 1973 à 1980), Claude Bardavid (rédacteur en chef de 1985 à la fin du journal au XXe siècle), et même un entretien avec le journaliste-scénariste Jean Sanitas, deux ans avant sa disparition.

Ces entretiens croisés permettent de se forger une idée plus complète, et complexe et humaine, de ce que fut la rédaction et la trajectoire de ce journal.

BDzoom.com — N’est-il pas compliqué pour des auteurs de cette génération de répondre à des questions sur ce qu’ils faisaient quand ils avaient 25 ou 30 ans ? Je sais par expérience que les souvenirs d’auteurs un peu âgés sont parfois confus.

Jean-Luc Muller — C’est tout à fait vrai. Déjà, il faut se dire que personne n’a envie d’être filmé pour répondre à des questions polémiques. Surtout des personnes qui n’ont pas l’habitude de l’interview vidéo. Les dessinateurs, en particulier, sont par la nature de leur travail des gens plutôt solitaires ou en tous cas pas des personnages publics. Il faut créer un climat de confiance, et se dire que c’est déjà une chance de pouvoir les faire parler ! Ensuite, c’est vrai, les souvenirs lointains… ou parfois l’idée qu’on s’en fait, sont non seulement très fragmentaires, mais aussi assez peu hiérarchisés. Si on me demande ce que je faisais spécifiquement en 1992, j’aurais du mal à organiser ma réponse de façon synthétique. La plupart se souviennent de telle ou telle soirée entre amis ou d’événements liés à leur vie personnelle, mais quand il s’agit d’évoquer avec eux une évolution de style, de mode de parution, de changement de formule du journal… ils sont parfois dans le flou complet !

Nikita Mandryka.

Ils travaillaient à un tel rythme (plus de 20 planches par mois pour André Chéret, et encore plus pour Raffaele Carlo Marcello ou Forton !) que fatalement, ils sont perdus quand on leur parle de chronologie…

L’autre grand souci, c’est justement la manière dont les auteurs ont eux-mêmes intégré des informations fausses, parce qu’elles sont plus pratiques ensuite à répéter en interview : la chronologie des événements, les enjeux des diverses époques… J’ai eu ce problème avec Georges Rieu (qui fut rédacteur chez Vaillant dès 1957 et co-concepteur de Pif-Gadget), car il lui arrivait de mélanger parfois les informations, ou d’« arranger » un peu la chronologie, en fonction de ses souvenirs et de ce qu’il avait envie d’en retenir ! Mais il n’y avait pas de malice de sa part. Simplement, il avait quitté le journal en 1971, et c’était très loin…

Il y avait aussi les réticences des uns ou des autres à donner vraiment leur avis sur tel ou tel sujet dès qu’ils étaient filmés, alors qu’ils avaient des choses intéressantes à raconter hors caméra… ! J’ai toujours respecté les pudeurs ou les préférences des interviewés.

Bandeau-titre du blog du projet audiovisuel.

BDzoom.com — Pourquoi ne pas en tirer un ouvrage papier ? Cela constitue un grand corpus d’entretiens et d’archives…

Claude Bardavid et Claude Gendrot.

Jean-Luc Muller — C’est précisément en cours de projet ! Je ne peux pas trop développer — j’ai vécu ces trois dernières années plusieurs faux espoirs d’édition, alors je reste prudent —, mais il est question d’éditer deux types d’ouvrages complètement différents : l’un se concentrant sur les entretiens eux-mêmes, et un autre qui serait plutôt un épais recueil d’archives inédites et de documents rarement diffusés. Et tout cela serait complémentaire de l’ensemble des archives vidéo…

BDzoom.com —On attend ça avec impatience ! À ce propos : comment envisages-tu la suite de ta chaîne YouTube autour de Pif et de Vaillant ?

Jean-Luc Muller — Plusieurs clips d’entretiens et de films rétrospectifs vont s’ajouter encore. Une bonne soixantaine de films seront accessibles à tous d’ici l’été. Mais je continuerai de réserver certains films aux souscripteurs, qui de plus seront les seuls à avoir accès aux versions HD de beaucoup de ces contenus vidéo. Et je suis très fier, pour la première fois, d’avoir pu réaliser un très long entretien croisé avec deux anciens rédacteurs en chef de Pif-Gadget : Claude Gendrot et Claude Bardavid, qui n’avaient jamais eu l’occasion, en 50 ans, d’échanger leurs souvenirs et leur expérience à la rédaction du journal ! Ce fut un moment vraiment privilégié, et léger aussi, avec des découvertes et surprises de part et d’autre. On a tourné ça à la fin du printemps 2023, dans un petit studio vidéo à Paris. Claude Gendrot, en particulier, fut très surpris de découvrir comment le journal avait radicalement évolué, après son départ vers d’autres horizons… Cet entretien dure 1 h 30, divisé en trois parties (peut-être quatre ?), pour brasser en leur compagnie, en diagonale, toute l’histoire du journal : de leur arrivée en 1972 jusqu’à sa première disparition fin 1993.

Christian Godard tenant quelques numéros de Vaillant de en 1959-1960, où figure en couverture sa série « Pipsi ».

La première partie de cet entretien croisé est en libre accès depuis le 9 décembre.

J’aimerais que cette chaîne YouTube puisse servir de point d’accès audiovisuel pour quiconque s’intéresse à ce journal d’un point de vue historique, pour les archives et témoignages qui s’y trouvent, ou simplement pour y retrouver quelques souvenirs d’enfance en même temps que l’envers du décor.

BDzoom.com — Merci, Jean-Luc, pour ta disponibilité et cet entretien passionnant. Nous souhaitons tous que tu puisses, enfin, concrétiser tous tes projets… Redonnons juste, pour finir, l’adresse de la chaîne YouTube : www.youtube.com/@pif-filmEt  aussi celle de la page Facebook qui l’accompagne : www.facebook.com/pif.film.

Galerie

Une réponse à Entretien avec Jean-Luc Muller : 15 ans d’archives autour de Pif-Gadget/Vaillant et les auteurs du journal…

  1. Carraux dit :

    Bonjour , merci de partager ces moments d une vie que personnellement j aurais aimé avoir . Les rencontres avec ces dinosaures du neuvième art .Que de belles rencontres…et des films qui nous font rentrer dans une intimité avec les artistes. Bravo jean Luc et encore merci pour ces partages , amicalement Patrick

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