Il semblerait que l’éditeur Altercomics, ait tenu ses promesses de faire un effort conséquent sur la traduction en langue française et l’orthographe des textes de certains fumetti du célèbre catalogue de Sergio Bonelli, qu’ils ont commencé à publier depuis le mois d’août (1) : preuve en est la parution des n° 2 disponibles depuis le 8 novembre… Nous en sommes vraiment heureux, notamment pour l’excellente série policière « Julia », scénarisée par Giancarlo Berardi et illustrée pour cet épisode par le virtuose Corrado Roi : voilà qui devrait ravir les amateurs de bandes dessinées populaires italiennes en noir et blanc !
Lire la suite...La tempête de la puberté : une catastrophe pas si naturelle dans « La Mousse »…
Les années du collège sont un temps difficile pour tous les élèves. C’est un enfant qui entre en 6e ou c’est un adolescent, parfois mature, parfois non, qui passe le brevet, quatre ans plus tard. Entre ces deux dates, garçons et filles grandissent, subissent une puberté pourtant ardemment attendue et doivent faire face aux relations compliquées, parfois violentes, entre collégiens. C’est avec une grande sensibilité et une certaine poésie que Nina Six raconte ses souvenirs dans une autofiction émouvante : « La Mousse ».
Nina est une préadolescente sans problème particulier. Elle habite avec sa famille un pavillon dans la banlieue de Thalle : une petite ville de province. Elle se rend à pied tous les jours au collège voisin, par des chemins vicinaux qui voisinent avec un aqueduc moderne pourtant abandonné. Filiforme, elle attend impatiemment sa puberté pour prendre des rondeurs et pouvoir discuter sur un pied d’égalité avec ses camarades déjà formées.
Il faut dire qu’au collège, avec sa tête ronde encore enfantine, elle est mise à l’écart du groupe des copines populaires. Très avance pour son âge, la délurée Zoé raconte ses premières aventures avec les garçons à Camille. Cette dernière n’assume pas son ancienne amitié avec Nina pour rester dans un groupe envié. C’est entre autres pour cela que Nina part pour l’établissement secondaire, avec une boule au ventre tous les matins.
Au retour du collège, elle croise Pierrot, un garçon de 20 ans rencontré quatre ans auparavant. Il est maintenant étudiant en biologie et s’intéresse à une curieuse mousse qui se développe en milieu sec ; particulièrement sur l’aqueduc désaffecté qui longe la cité pavillonnaire de Nina.
La jeune fille discute régulièrement avec lui, alors qu’une tempête s’annonce sur la ville de Thalle. La population est en émoi et manifeste dans les rues : elle craint une inondation gigantesque et accuse une société privée d’avoir sciemment pollué une partie de la ville en abandonnant, sans suivi, l’aqueduc qui se rouille depuis des années.
Nina, souvent silencieuse, observe toute cette agitation qui s’ajoute à ses tourments intérieurs : elle a ses premières règles et Camille renoue les fils d’une amitié interrompue.
Nous retrouvons dans « La Mousse » Nina, l’héroïne des « Pissenlits » , le premier album de Nina Six. L’autrice de 24 ans poursuit ainsi sa pratique narrative fondée sur des souvenirs d’enfance. Elle avait huit ans en 2006 : l’année des vacances de Nina narrées dans « Les Pissenlits ».
La Nina de « La Mousse » a donc 12 ans et s’interroge en consultant les forums d’internet comme Skyblog ou au-féminin.comsur les grandes questions qui tourmentent les adolescents d’alors : la fin du monde aura-t-elle lieu en 2012, comme le prévoit un calendrier maya ? Quel personnage de « Twilight » es-tu ? Ou, les théories conspirationnistes angoissent-elles nos enfants ?
Il y forcément un peu de nostalgie à se replonger dans cette époque retranscrite avec beaucoup de sensibilité par une autrice qui a su donner à voir et à comprendre des souvenirs personnels : ses expériences de préadolescente dans lesquelles beaucoup se reconnaitront.
Si son trait tout en rondeur et son dessin aquarellé sont dans un style jeunesse contemporain, Nina Six ne s’interdit pas d’aborder des thématiques sérieuses, vécues par beaucoup à l’âge de son double de fiction. Au-delà des affres de la puberté et des amitiés changeantes du collège, elle évoque de front et sans pathos un harcèlement machiste insidieux subit, mais non accepté : un garçon de 5e s’autorisant à toucher rapidement, au-dessus de ses vêtements, son pubis ou sa poitrine naissante. Elle dénonce dans une lettre au principal son comportement : lettre qu’elle garde finalement pour elle.
Fresque autobiographique intimiste et nostalgique du début des années 2010, mais intemporelle par ses thèmes traités, « La Mousse » est une bande dessinée émouvante et sensible, un récit par petites touches qui s’adresse à vaste lectorat : des jeunes lecteurs dès 12 ans aux adultes les plus âgés.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« La Mousse » par Nina Six
Éditions Sarbacane (22,00 €) – EAN : 979-10-408-0390-4
Parution 3 janvier 2024