Entretien avec Margot Farnoux, jeune autrice primée à Angoulême, pour son album jeunesse « Les Vacances de Nana & Nini »…

Encore étudiante en arts, Margot Farnoux a déjà été remarquée par le petit monde de la bande dessinée. Deuxième lauréate du Prix Jeunes Talents en 2023 à Angoulême, son premier album vient d’être publié aux éditions Biscoto. Si « Les Vacances de Nana & Nini » s’adresse à de jeunes lecteurs dès l’école primaire, la jeune autrice entend s’adresser à lectorat plus large par la suite. Nous la remercions d’avoir pris de son temps pour répondre à nos questions.

BDzoom.com : Bonjour Margot, pouvez-vous vous présenter, notamment votre formation et votre attrait pour la bande dessinée ?

Margot Farnoux : Je suis Margot, je suis en cinquième année dans l’atelier illustration de la HEAR à Strasbourg. Au lycée, je dessinais vraiment très peu. Mais j’avais une forte appétence pour tout ce qui était créatif et artistique. Après un bac S, je me suis dit que j’allais essayer de faire une mise à niveau en Arts appliqués (formation qui a disparu depuis la réforme des DNMADE). C’était une formation d’une année seulement. Je me suis dit que, comme ça, je pouvais voir si je voulais vraiment faire une profession artistique. C’était une année « test ». Si ça ne me plaisait pas, comme cela ne durait qu’un an, je pourrais me réorienter.

C’est donc en MANAA que je me suis mis·e à dessiner et ça m’a drôlement plu. Après la MANAA, j’ai fait un BTS en graphisme à l’école Olivier de Serres à Paris. Mais au bout de deux ans, je me suis rendu·e compte que j’avais plus envie de raconter des histoires en images que de faire des identités visuelles. Alors, j’ai poursuivi en DMA illustration, à l’école et lycée des métiers d’arts et du design Auguste Renoir. Au début, je ne pensais vraiment pas faire de la bande dessinée, je voulais plutôt faire des albums jeunesse.

La bande dessinée, ça me semblait trop compliquée et ça ne m’attirait pas du tout. Et pui,s finalement, comme on avait des cours de bande dessinée, je me suis familiarisé·e avec ce médium et mon projet de diplôme de DMA s’est finalement avéré être une bande dessinée. Après le DMA, j’ai fait une année complémentaire en bande dessinée, toujours à l’école Auguste Renoir. Ça a été l’une de mes meilleures années d’étude : j’ai beaucoup appris grâce aux professeurs et aux rencontres que j’ai faites ! Et puis, ensuite, j’ai enfin réussi à entrer en équivalence en 3e année à la HEAR en illustration. J’avais tenté d’entrer dans cette école déjà̀ plusieurs fois, car j’avais très envie d’intégrer cette section. Voilà̀, c’est un parcours un peu à rallonge, mais c’est assez courant dans les études artistiques, j’ai l’impression. Et cette année, en 2024, mes études vont enfin s’achever.

BDzoom.com : Vous êtes deuxième lauréat·e du Prix Jeunes Talents 2023 au prestigieux Festival d’Angoulême, qu’est-ce que ce prix a changé pour vous ? Cela a-t-il accéléré le rythme de votre carrière ?

Margot Farnoux : Non pas du tout, cela n’a rien accéléré. À vrai dire, ça n’a rien changé vis-à-vis de mes opportunités professionnelles, ça ne m’a pas ouvert spécialement de portes. Ce que ça a changé, c’est plutôt mon regard sur mon propre travail. Et aussi de recevoir des retours positifs de lecteurs et lectrices que je ne connaissais pas, de me rendre compte que cette BD touchait plein de monde, et que c’était pour ça aussi que je voulais raconter des choses : pour faire du bien aux gens et pour que chacun·e se sente moins seul·e (c’est un peu niais, mais c’est vrai). C’était la première fois que je faisais une BD aussi intime et dans ce registre graphique. Au départ, je l’avais dessinée pour la revue Comme des garces, créée par mon amie Sarah Ménard. Et puis, comme je l’ai finie un peu avant la date limite de l’envoi des planches pour le concours Jeunes Talents, je me suis dit que je n’avais rien à perdre à l’envoyer. J’étais très étonné·e d’être sélectionné·e ! Et super ravi·e !

BDzoom.com : Les planches primées « Frotti frotta » sont autobiographiques et destinées à un lectorat adulte, voulez-vous poursuivre davantage dans cette veine, comme le montre votre participation au magazine Comme des garces

Margot Farnoux : Oui, comme je le disais précédemment, d’avoir reçu ce prix au FIBD, ça m’a donné envie de poursuivre dans cette voie. Quand je dessinais cette bande dessinée, je sentais déjà qu’il se passait quelque chose de différent, que je prenais beaucoup de plaisir à la faire et que cela se faisait assez rapidement et facilement. Je ne me posais pas trop de questions, c’était assez instinctif. C’est marrant, parce qu’au début, quand on fait une BD autobiographique, on se dit : « Mais à qui ça va parler ? Qui a envie de connaitre ma vie ? Tout le monde s’en fiche. » Et en fait, pas du tout. Même si on a chacun·e des parcours de vie différents, on traverse tout un tas d’épreuves et d’émotions communes (liées au patriarcat et aux normes de genre entre autres).

BDzoom.com : Vous développez parallèlement un univers dans la bande dessinée jeunesse, notamment au sein de la revue Biscoto, pouvez-vous nous en dire plus sur votre attrait pour la bande dessinée jeunesse et comment vous êtes entrée dans l’équipe de Biscoto ?

Margot Farnoux : Quand j’écris les aventures de Nana et Nini, je ne pense pas au fait qu’elles seront destinées à des enfants. Je fais des histoires qui me font rire avant tout et qui j’espère feront rire les autres : que ce soit des adultes ou des enfants. Pour moi, cette bande dessinée, ce n’est pas vraiment une bande dessinée jeunesse. Elle est lisible à partir de 6/7 ans, mais jusqu’à n’importe quel âge. Et j’ai envie qu’elle fasse rire des adultes autant que des ados et des enfants.

Je suis entré·e dans l’équipe de Biscoto grâce à instagram (et oui, merci les réseaux sociaux !). En 2020, j’avais publié un strip avec Nana et Nini. Je venais tout juste de les inventer, c’était vraiment les prémices. Et Catherine et Julie Staebler ont vu ce post et m’ont contacté·e, car elles étaient emballées par ces deux personnages. C’est comme ça que le premier contact s’est fait. Après, j’ai réalisé une première grande histoire (« Vert à l’école des roues ») pour le numéro de septembre 2021 de leur magazine. Et puis, en mai 2022, elles m’ont proposée de réaliser des strips tous les mois, avec les personnages de Nana et Nini. Et quelques mois plus tard, on signait le contrat pour le livre « Les Vacances de Nana et Nini ».

BDzoom.com : Présentez-nous vos deux héroïnes Nana et Nini ? Qui sont-elles et pourquoi font-elles autant de bêtises ?

Margot Farnoux : Nana et Nini sont deux meilleures copines, elles ont environ sept ans. Nana est plutôt extravertie, c’est elle le moteur de l’action, tandis que Nini est plus introvertie et plus raisonnable. Nini essaye souvent de tempérer les élans de Nana. J’aime bien qu’elles soient à la fois opposées et complémentaires. C’est intéressant pour l’élaboration des histoires. Mais, dans le fond, elles ont toutes les deux un sens moral assez discutable. Elles font autant de bêtises, car sinon il n’y aurait pas d’histoires à raconter : ah ah !

BDzoom.com : Vous êtes-vous servi·e de souvenirs personnels pour raconter quelques-unes de leurs facéties ?

Margot Farnoux : Plus ou moins. C’est vrai que leur duo est inspiré de plusieurs amitiés fortes que j’ai pu avoir en primaire, puis au collège. Je m’identifie plutôt à Nini et, souvent, je me mets à sa place dans les histoires pour savoir ce qu’elle ferait. Mais plus j’y réfléchis, plus je pense qu’il y a une partie de moi qui ressemble aussi à Nana : c’est plus mon côté sombre, mon evil side (ah ah !). Mais, sinon, aucune de leur facétie n’est tirée d’expériences personnelles. Il y a cependant certaines préoccupations des personnages qui sont tirées de préoccupations que j’avais enfant, comme la peur de faire caca dans la mer, et qui est à l’origine de l’histoire « Le Cacado ». Pour les pieds de Nini qui sentent assez mauvais, je ne me suis pas inspiré·e d’un évènement qui m’est arrivé pour l’écrire, mais enfant, j’étais souvent préoccupé·e par l’odeur de mes pieds. À 7/8 ans, j’avais très peur de sentir mauvais des pieds. Parce que, comme faire un prout en classe, sentir mauvais des pieds était un possible motif de moqueries. Sauf que l’odeur d’un pet est éphémère, alors que celle de pieds odorants est plus tenace. Je me souviens que j’avais même demandé à ma maman de m’acheter un déodorant pour pieds. Il avait une odeur très particulière. Je dois encore l’avoir au fond d’un tiroir chez mes parents.

BDzoom.com : Les adultes qui les entourent, la grand-mère de Nini et son voisin, ne les comprennent pas et sont dépassés par leur énergie. Est-ce votre vision de l’écart qu’il y a entre le monde des adultes et celui de l’enfance ?

Margot Farnoux : Je ne pense pas. Ça serait trop triste sinon. J’ai envie de croire que je pourrais toujours comprendre les enfants, même quand je serai adulte. Je pense que ce sont plus des ressorts narratifs pour l’écriture des histoires. C’est plus des caricatures qui me font rire et qui ajoutent des décalages comiques aux histoires. C’est certain que la grand-mère de Nini n’a pas la même énergie que Nana et Nini : c’est une question d’âge, surtout. Je pense que les adultes qui les entourent pourraient les comprendre et rire avec elles, mais qu’ils doivent « jouer les adultes » et temporiser leurs élans. Mais ça serait intéressant de faire un personnage adulte qui les comprendrait totalement et qui aurait la même énergie. À voir pour la suite…

BDzoom.com : Expliquez-nous le rôle que jouent les animaux, petits et grands, dans « Les Vacances de Nana et Nini » ?

Margot Farnoux : Tous ces petits et grands animaux qui fourmillent dans la bande dessinée, c’est parce que j’adore les images foisonnantes que l’on peut lire et relire. J’ai envie que l’on puisse les suivre en arrière-plan entre les cases comme un « Où est Charlie » ? C’est ce que j’aimais enfant, dans les livres de Claude Ponti, notamment : alors, j’essaye de retrouver ça. Je conçois certaines cases comme des illustrations à part entière, des images qu’on viendrait contempler.

Les pages de strips sont nées aussi de cette envie de mettre en scène les personnages secondaires (Fredi l’écureuil obsédé par son anniversaire, l’escargot fashionista, les fourmis fans d’activités extrascolaires…). Ainsi le temps de 3/4 cases, elles deviennent des personnages principaux·ales. Ainsi, il y a toute une constellation de personnages que j’affectionne autant que Nana et Nini, même si j’ai passé moins de temps avec elleux. Je sais qu’ielles sont là et qu’ielles n’attendent qu’à apparaître dans les cases.

BDzoom.com : Après ce premier album, quels sont vos projets professionnels, poursuivrez-vous dans la bande dessinée jeunesse et adulte en même temps ?

Margot Farnoux : C’est intéressant cette question, car comme je vais sortir de l’école dans quelques mois, je me demande fatalement de quoi sera fait la suite. Mais oui, je pense que j’ai envie de développer ces deux voies. Même si, comme je le disais plus haut, je ne conçois pas les aventures de Nana et Nini comme juste de la bande dessinée jeunesse.

Je dirais qu’il y a plutôt la bande dessinée complètement fictive, en couleurs, qui fourmille de détails et d’histoires délurées (portées par Nana et Nini) et celle en noir et blanc, autobiographique et plus « sérieuse ». Chacune m’apporte des choses différentes. J’ai besoin des deux.

Graphiquement et narrativement, je n’y cherche pas les mêmes choses et j’y développe des registres différents. J’espère que ce sera possible de mener les deux en tout cas, et de pouvoir publier de la bande dessinée autobiographique plutôt adulte/jeunes ados, et de continuer à écrire les aventures de Nana et Nini.

Laurent LESSOUS (l@bd)

« Les Vacances de Nana & Nini » par Margot Farnoux

Éditions Biscoto (18,00 €) – EAN :  978-2-37962-313-4

Parution 19 avril 2024

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