« Opérateur 238 » : l’expérience logistique de Benoît Carbonnel…

Venu du monde du graffiti et du fanzine, Benoît Carbonnel publia il y a quatre ans « Cool Parano : un testament graffiti », chez l’éditeur marseillais Même pas mal. Il revenait — dans ce premier album et par le biais d’une fiction — sur ses années de graffeur et sur l’évolution de ce milieu artistique. Nous retrouvons Benoît Carbonnel pour son second ouvrage (« Opérateur 238 »), publié quelques jours après la fête du Travail : il explore, cette fois-ci, l’implacable monde de la logistique pour la grande distribution.

Basile est dessinateur et vit avec sa compagne Léa, musicienne. Ils ne roulent pas sur l’or et leurs travaux ont du mal à les faire vivre. En outre, Basile traverse un manque d’inspiration qui commence à le miner sérieusement. À la suite d’une soirée un peu arrosée, une curieuse vision éthylique lui propose une solution : décrocher une mission d’intérim.

 Basile, donc, intègre une session de recrutement comme préparateur de commandes pour une société de logistique : D.D.T., filiale de la chaîne de grande distribution Proxo. Les fêtes de fin d’année approchant, le groupe a besoin de personnel pour cette période cruciale. C’est une vraie opportunité qui se présente à Basile et à ses coreligionnaires : une mission de trois mois, avec une formation professionnelle incluse et la possibilité d’obtenir un salaire de 2 800 €, sans compter d’éventuelles primes et heures supplémentaires.

Basile possède un sérieux atout, il a déjà travaillé dans le secteur pour financer ses études…

Aucunement dupe de la vision du monde du travail telle que vantée par l’agence de recrutement, Basile décroche un poste. Après une seule journée de formation, incluant les règles de sécurité, les consignes d’utilisation pour les transpalettes et les tests de conduite de ces derniers, il obtient le précieux certificat d’aptitude à la conduite en sécurité : ultime sésame nécessaire à concrétiser sa mission.

Le premier jour de travail — pour Basile et les nouveaux employés de l’entrepôt de la D.D.T. — commence par la projection d’un film sur l’historique du groupe, suivi d’un discours sur les valeurs de cette entreprise, et sur les grandes lignes d’hygiène et de sécurité dans le cadre des postes que ces nouvelles recrues occuperont. Puis le responsable du secteur Épicerie leur présente les entrepôts où ils travailleront. Basile est placé pour le reste de la journée sous la tutelle d’un « ancien ».

Bien sûr, tout cela n’était que de la théorie et une présentation « douce » de la mission. En réalité, la confrontation avec ces exigences physiques et psychologiques est terrible. La fatigue due aux horaires décalés, au poids des colis, à la tension entretenue par les responsables d’équipe pour tenir les délais et au travail de nuit est destructrice. Épuisé, vidé, Basile se sent pris dans un étau qui ne fait que le maintenir en état d’affronter une autre journée de labeur. En outre, malgré le peu de temps écoulé depuis qu’il a intégré son poste, il commence à ressentir des symptômes physiques.

Englué dans son quotidien stressant, Basile devient de plus en plus irascible. Entraîné dans une soirée par sa compagne — afin de lui changer les idées —, Basile se montre extrêmement grossier envers leur hôte. Après cet esclandre, Léa lui fait une proposition : comme elle doit effectuer une tournée de trois mois, elle incite Basile à se reprendre durant cette période, afin de sauver leur relation…

La découverte de « Cool Parano : un testament graffiti » fut une vraie et marquante découverte. Cette histoire personnelle du graff par Benoît Carbonnel s’avéra une surprise, notamment son trait et son environnement graphique mêlant Robert Crumb et Carl Barks. Nous retrouvons cet univers dans « Opérateur 238 », rendu encore plus percutant par le sujet abordé : le travail de la logistique et la place du travailleur dans la logique productiviste.

Tout est fait pour alimenter un système qui produit, distribue et vend en continu. Ce mouvement sans fin est d’ailleurs symbolisé par une boucle dans « Opérateur 238 ». Basile est victime de ce système qui — au moyen de valeurs fausses — l’incite à prendre part à cet ouroboros mercantile : le remplacement d’un intérimaire — une fois celui-ci essoré — par un nouvel ouvrier qui sera lui-même remplacé s’il ne convient plus, ou intégré s’il fournit les objectifs prévus. Lesquels objectifs s’avèrent rendus fluctuants par les nécessités du marché, mais aussi parfois par nos propres désirs et besoins.

Brigh BARBER

« Opérateur 238 » par Benoît Carbonnel

Éditions Même pas mal (23 €) — ISBN : 978-2-918645-77-1

Parution le 3 mai

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