« Alix T43 : Le Gardien du Nil » : retour aux sources…

Créé par Jacques Martin en 1948, Alix accompagnait son ami Enak jusque dans le sud de l’Egypte avec « Le Prince du Nil », paru chez Casterman en 1974. Cette onzième aventure antique, hantée par la tragédie, est actuellement prolongée par Valérie Mangin et Chrys Millien : après avoir déjoué plusieurs tentatives d’assassinat visant Enak, Alix mène de nouveau l’enquête, jusque sur les terres du pharaon Ptolémée et de la reine Cléopâtre. Entre fidèles alliés et anciens ennemis, intolérances et superstitions, le retour dans la capitale des Menkharâ ne sera pas de tout repos…

Encrage et mise en couleurs pour la planche 1 du « Gardien du Nil » (Casterman, 2024).

Après quelques hésitations concernant les repreneurs – scénaristiques et graphiques – durant les années 2000 et 2010, le comité Jacques Martin (mis en place dès 2009, afin de valider les projets scénaristiques concoctés à partir des idées du maître de la bande dessinée historique, lui-même disparu en janvier 2010) a réussi à pérenniser le rythme métronomique des parutions : soit un album de « Lefranc » et un album d’« Alix » par an (« Jhen », moins plébiscité par le lectorat, demeurant plus irrégulier), ces sorties étant appuyées, comme il se doit, par des duos d’auteurs ayant fait leurs preuves. Dans le cas d’« Alix », et suivant le modèle de « Blake et Mortimer », il revient désormais à Roger Seiter et Marc Jailloux d’une part (avec « Le Bouclier d’Achille » en 2023) et surtout Valérie Mangin et Chrys Millien d’autre part (avec déjà « L’Œil du Minotaure » et « La Reine des Amazones » en 2021-2022), d’assurer désormais cette belle continuité. Valérie Mangin, également scénariste et créatrice de la série dérivée « Alix Senator » (depuis 2012 ; 15 titres dessinés par Thierry Démarez), est à même de conjuguer les codes martiniens avec une grande fidélité : abondance textuelle, art du suspense, chute de bas de planche, expressions et dialogues mélodramatiques, etc. Un travail mimétique stupéfiant, dans la mesure où les planches composées par Chrys Millien arrivent à la fois à reproduire l’académisme de Martin (ligne claire, hiérarchisation de la grosseur des traits, cerné extérieur plus marqué, etc.) et une certaine modernité (visage d’Alix aux accents plus actuels, silhouettes et cadrages plus souples, regard caméra plus distancé), accordée au jeu sur les couleurs assuré par Florence Fantini.

Encrage et mise en couleurs pour la planche 2 du « Gardien du Nil » (Casterman, 2024).

Encore peu nombreuses dans la série, les suites (voir par exemples le « T20 : Ô Alexandrie » ou le « T29 : Le Testament de César ») ou préquelles, peuvent désormais être proposées en vis-à-vis des albums jadis réalisés par Jacques Martin. Toutes mettent en perspective la chronologie interne à « Alix », elle-même dépendante du cadre historique décrit. Ainsi d’un « Alix l’intrépide » introductif, supposé se dérouler en 53 av. J.-C., lorsque le héros, qui n’est alors qu’un jeune esclave gaulois en Assyrie, est libéré par le gouverneur de Rhodes, Honorus Galla, qui en fait son fils adoptif à leur arrivée à Rome. César, Pompée puis Octave/Auguste ou donc Cléopâtre, tous cités ou croisés au fil des planches et des divers épisodes, suggèrent aux lecteurs une période bien précise allant – pour l’ensemble des albums d’« Alix », « Alix origines » et « Alix Senator » actuellement publiés – de 58 à 9 av. J.-C. Une part des albums d’« Alix » recouvre le temps des conquêtes de Jules César (dont la « Guerre des Gaules »), une autre le temps de la guerre civile entre César et Pompée (49 à 45 av. J.-C.) et une dernière la période où César règne en maître. Concernant « Le Prince du Nil », Jacques Martin avait imaginé une très fictive menace de conquête de l’Égypte par César. Dans la réalité, en 48 et 47 av. J.-C., poursuivant Pompée (retrouvé assassiné à Alexandrie), César était arrivé – non sans difficultés – à détrôner le jeune souverain Ptolémée XIII au bénéfice de sa sœur-épouse : une certaine Cléopâtre.

Couverture du « Prince du Nil » et première apparition de Qaâ (Casterman, 1974).

L'épilogue du « Prince du Nil » (Casterman, 1974).

Imaginées en tenant compte (ou non…) de ces réalités historiques, les intrigues du « Prince du Nil » et du « Gardien du Nil » jouent de savants effets-miroirs. Dans « Le Prince du Nil », Alix comprenait que l’invitation proposée à Enak – supposé héritier perdu du pharaon Ramès Menkharâ, à la tête d’un royaume nubien – n’était qu’un piège, destiné à transformer notre héros en assassin de Jules César, conquérant potentiel de l’Égypte. Parmi les rencontres marquantes : la belle Sais Menkahrâ (sœur du suzerain), le fourbe général Djefer (vizir de Sakhara) et surtout Qaâ Menkahrâ, à la fois frère du roi, ermite roux et imprécateur inquiétant, abandonné autrefois dans le désert en raison de la couleur de ses cheveux. Pour le moins saisissant, ce personnage réapparut dans « Ô Alexandrie », vingtième tome publié en 1996. On retrouve de nouveau Qaâ et ses hyènes dans une Sakhara détruite, dès la première planche du « Gardien du Nil », titre conçu tel un évident hommage des auteurs au « Prince du Nil », 50 ans après sa parution. Alix et Enak sont confrontés à la fureur des survivants de Sakhara, persuadés d’avoir été abandonnés après la destruction de la cité, tandis qu’un mystérieux Gardien intrigue, obsédé par l’idée de faire renaitre la capitale de ses cendres… Le scénario évoque les enjeux de pouvoir, le racisme, les luttes partisanes et le fanatisme meurtrier associé à des objets considérés comme sacrés ou légendaires : des sujets éternels, que l’on retrouve actuellement dans… « Signé Olrik », album dans lequel Blake et Mortimer (encore eux !) s’opposent à un ennemi surnommé… « Le Grand Druide » ! Histoire, Antiquité et récits d’aventures ne sont décidemment jamais très éloignés.

Recherches de couverture(s) (© Chrys Millien).

Illustration pour la couverture.

Encrage pour la couverture Canal BD.

Couverture Canal BD et extrait du dossier du « Gardien du Nil » (Casterman, 2024).

Se lisant avec plaisir et respectant les codes intrinsèques du genre, « Le Gardien du Nil » se signale également par sa superbe couverture et son édition Canal BD vintage (tirage limité à 1 450 exemplaires, couverture alternative toilée, frontispice), enrichie d’un cahier supplémentaire de huit pages, permettant de découvrir plus avant tous les secrets de cette aventure. Avis aux amateurs… Prochaine étape pour l’intrépide Alix, courant 2025, dans « Le Royaume interdit », prochain titre concocté par Roger Seiter et Marc Jailloux…

Philippe TOMBLAINE

« Alix T43 : Le Gardien du Nil » par Chrys Millien et Valérie Mangin

Éditions Casterman (12,50 €) – EAN : 978-2203257054

Parution 13 novembre 2024

« Alix T43 : Le Gardien du Nil – édition vintage » par Chrys Millien et Valérie Mangin
Éditions Casterman et Canal BD (20 € ; 1 450 ex. avec couverture toilée et frontispice) – EAN : 978-2-203287655
Parution 20 novembre 2024

Galerie

5 réponses à « Alix T43 : Le Gardien du Nil » : retour aux sources…

  1. Kroustilyion dit :

    Très bel album, du rève !

  2. Pierre dit :

    Pinaillons : page 30, case1 : Alix et Kiya ne descendent pas le Nil, ils le remontent ….. (Le Nil coule du Sud au Nord)

  3. Denis g. dit :

    Rhhâââhhh !!!!!
    Ces dessins numérisés impersonnels avec mise en couleur insensible……..
    La comparaison avec les planches du Prince du Nil parle d’elle-même…..

  4. gouvion dit :

    Dans la poursuite des pinailles on peut aussi relever les incohérences du scénario : au début de l’histoire Enak est victime de deux tentatives de meurtres ( la quatrième de couverture le confirme ) et on apprend à la page 11 que le but premier des agresseurs était de le capturer VIVANT pour le ramener en Egypte.
    Conclusion : les sbires engagés pour cette mission sont de réels benêts ou la scénariste ne sait plus ce qu’elle écrit…
    Ensuite Quâ, personnage ô combien fascinant du « Prince du Nil », apparaissait dans ce dernier album entouré de vautours ou d’un léopard. Ici il est entouré de hyènes qui avaient failli dévorer Alix ! La scénariste prétend avoir été fasciné par la lecture du « Prince du Nil »… L’a-t-elle vraiment lu ?

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