Après « Lettres perdues » et « Mon ami Pierrot », Jim Bishop clôt sa trilogie sur le passage à l’âge adulte avec le surprenant et angoissant « L’Enfantôme ». Il mêle habilement, à des tranches de vie adolescentes, des passages fantastiques qui virent progressivement à des séquences horrifiques. Un album sensible qui prend aux tripes et qui ne s’oublie pas de sitôt.
Lire la suite...« Enfant de salaud » : la Seconde Guerre, du mauvais côté…

Alors journaliste pour Libération, Sorj Chalandon suit, en 1987, le procès du criminel de guerre Klaus Barbie. Durant les journées d’audition, il découvre en parallèle la vérité sur ce qu’il pressentait : le passé trouble de son père durant l’Occupation… Dès lors, le futur romancier cherche à confronter le passé au présent, les mensonges à la vérité vraie : à savoir les terribles témoignages des victimes du « bourreau de Lyon »… Sébastien Gnaedig adapte chez Futuropolis cette quête aussi historique qu’intimiste, dont les 176 pages sont colorisées par Isabelle Merlet.
Devenu romancier en 2005-2006 (avec notamment « Une promesse »), puis journaliste au Canard enchainé en 2009, Sorj Chalandon fut d’abord un excellent reporter, ayant couvert successivement le deuxième procès de Pierre Goldman (1976), le massacre syrien de Hama (1982 ; voir « Le Quatrième mur », prix Goncourt des Lycéens en 2013, transposé en bande dessinée en 2016 – par Éric Corbeyran et Horne – et actuellement adapté au cinéma par David Oelhoffen), ainsi que les affrontements en Irlande du Nord (voir « Mon traître » et « Retour à Killybegs », parus en 2008 et 2011), ou donc le procès Barbie. Ces derniers sujets au profit de reportages qui furent consacrés du prix Albert-Londres en 1988.
En 1987, peu avant que ne début le procès de Klaus Barbie (11 mai au 3 juillet) et comme l’illustrent les premières planches d’« Enfant de salaud », Chalandon se rend à Izieu (Ain) ; dans le bourg où, le 6 avril 1944, 44 enfants et sept adultes, tous Juifs, furent arrachés de leur maison – transformée en colonie de vacances – par des troupes de la Gestapo commandées par Barbie. La grande majorité d’entre eux fut déportée à Auschwitz-Birkenau, et n’en revint jamais. Le narrateur aurait voulu que son père l’accompagne à Izieu, site devenu désormais un lieu de mémoire, pour l’aider à comprendre ce qui l’avait poussé, en novembre 1942, à rejoindre les Allemands plutôt que les combattre. À comprendre pourquoi il était devenu un traître… À comprendre pourquoi lui, son fils, était devenu malgré lui un « enfant de salaud »… Des mots durs, qui proviennent du grand-père maternel, un jour de 1962 : « Ton père, pendant la guerre, il était du mauvais côté. Je l’ai vu habillé en Allemand, place Bellecour […] Il faudra bien qu’il apprenne un jour qu’il est un enfant de salaud. » Un passé indicible et bien peu glorieux, que Chalandon n’arrivera jamais à évoquer avec son père sans provoquer son emportement.
Le récit de Chalandon est un roman de l’intime : parallèlement au procès Barbie, le narrateur cherche intensément la vérité sur son père, en épluchant le dossier pénal de ce dernier. Dès lors, ce n’est pas un procès qui s’ouvre, mais deux. L’un très personnel, l’autre à caractère universel. La quête de vérité de Chalandon avait commencé « à vrai dire » à être explicitée dès 2015 dans « Profession du père » : un récit dont le personnage principale, Émile, était semblablement confronté à un père mythomane, s’inventant une vie imaginaire (footballeur, parachutiste, professeur de judo) reliée à des faits réels (il se voit en agent secret chargé de tuer le général de Gaulle !) et embarquant son fils dans sa folie. L’ouvrage avait été adapté en bande dessinée dès 2015 par Sébastien Gnaedig, éditeur chez Futuropolis, devenu l’ami de confiance de Chalandon.
Comme l’explique toutefois Sorj Chalandon, « « Enfant de salaud » n’est pas la suite de « Profession du père », mais son prolongement. C’est en quelque sorte le dénouement de toute une vie : celle de l’enfant devenu journaliste pour comprendre, pour chercher la vérité. Pour qu’on arrête de me mentir. » En couverture du présent album, Sébastien Gnaedig a fait le choix de transposer la réalité physique du père de Chalandon en une représentation volontairement archétypale (moustache, lunettes, yeux en billes de charbon, imper et feutre mou), installée de nuit au bas d’un escalier sur un quai de Seine. Ambiance polar oblige, on notera la présence d’ingrédient-clés du genre tels la nuit, la ville et les eaux obscures, l’ombre projetée et les jeux d’éclairage, sans compter la filature induite entre père et fils, enquêteur et suspect en puissance ; et ce, potentiellement à travers les époques, des années 1940 aux années 1980. « Mon père » explique encore le romancier dans la préface « ne portait pas de moustache, avait le regard bleu acier et, jusqu’à la fin de sa vie, portait des lunettes en cachette, pour nous faire croire qu’il ne vieillissait pas. Mais en fait, c’est bien mon père que Sébastien a dessiné. C’est bien lui qu’il a mis en scène. Lorsque je ferme les yeux, je vois son vrai visage. Lorsque Sébastien ferme les siens, c’est ce bonhomme inquiétant qui surgi. Et cela me va. À tel point que, dix ans après sa mort, les deux visages finissent par se confondre. […] Un personnage de papier, qui m’a éloigné de l’enfant trahi. » Il est plus facile, comme on sait, de raconter la guerre du côté des justes, sinon des vainqueurs…
Philippe TOMBLAINE
« Enfant de salaud » par Sébastien Gnaedig et Isabelle Merlet, d’après Sorj Chalandon
Éditions Futuropolis (24 €) – EAN : 9782754844833
Parution 8 janvier 2025