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« Dans ses yeux » nous ouvre les yeux et nous fait voir, ainsi, le handicap autrement…

31/03/2025
Par Gilles Ratier

Vivant depuis 25 ans avec Tanie — qui est aveugle d’un œil et qui, en conséquence, doit se démener tous les jours pour s’adapter de son mieux aux charges du quotidien —, le dessinateur et scénariste Marc Cuadrado a repris ses crayons pour nous expliquer comment sa courageuse femme fait face à sa déficience visuelle. Pour l’occasion, cet adepte du style gros nez — « Norma » chez Casterman et « Parker & Badger » chez Dupuis ou « Je veux une Harley » pour Frank Margerin chez Fluide glacial et Dargaud (1) — renoue avec la discipline graphique qu’il avait abandonnée depuis une dizaine d’années : passant à autre trait, plus semi-réaliste, où sa plume se fait alors tendre et émouvante… même s’il insuffle toujours sa lumineuse touche d’humour personnelle !

Tanie et Marc se fréquentent depuis l’époque de leurs études aux Arts déco… Aujourd’hui jeunes retraités d’apparence ordinaire, ils ont tout du couple actif et branché qui croque la vie à pleines dents. Pourtant, notre héroïne, experte en art moderne et amatrice de shopping ou de virées en moto avec son compagnon, est atteinte de myopie depuis son plus jeune âge : une suroxygénation, alors qu’elle souffrait d’une grave infection pulmonaire, lui ayant attaqué la rétine. Avec le temps, sa vue s’est dégradée et, malgré l’apport de ses grosses lunettes, elle ne discerne rien à plus de cinq centimètres : son angle de vision s’étant énormément rétréci.

Heureusement, son résilient et toujours disponible mari l’aide inlassablement en la guidant par la main quand ils marchent dans la rue, en prononçant à voix haute les prénoms des gens qu’ils rencontrent pour qu’elle sache à qui elle s’adresse, ou en ramassant le moindre objet traînant par terre pour lui éviter de trébucher.

Pourtant, soucieuse de rester active, Tanie refuse de se considérer comme handicapée : elle ne s’arrête jamais, appréciant pleinement tout ce que la vie peut lui offrir ! Ainsi, elle persiste à vouloir conduire, à faire ses courses toute seule… Débordant de projets souvent ambitieux, elle envisage désormais de se lancer dans des conférences sur la connaissance des arts : voilà qui est stimulant, mais qui se révèle compliqué à réaliser, tant sont vastes les limites qui s’imposent à elle… Cependant, sa détermination à faire de son handicap une force est immense et l’amour inconditionnel qu’ils se portent avec Marc, lequel l’aide avec abnégation, est admirable.

Organisée en six chapitres judicieusement illustrés d’un souple dessin sobre (et colorés en bichromie avec des pastels bleu, rose, ocre ou jaune par Clara, la fille des Cuadrado), cette belle chronique familiale se concentre sur le quotidien du couple, afin qu’on prenne le temps de s’attacher aux personnages, pour mieux nous émouvoir, sans pour autant sombrer dans le mélo… Finalement, on se dit même que ce véritable récit feelgood — comme on dit maintenant ! — est peut-être un modèle à suivre : une source d’espoir et d’inspiration pour tous ceux qui sont touchés par une dégénérescence visuelle, ainsi que pour leurs proches…