« Le Souffle du diable » : un souffle nouveau…

Fantastique, social et intime, ce huis clos situé dans une auberge normande à l’aube de la Révolution française prouve combien Ken Broeders a du souffle. Que le diable m’emporte si vous étiez déçu par cet opus addictif !

Le trait séduisant de l’Anversois Ken Broeders s’avère idéal pour entrer dans l’album. D’emblée, son talent éclate avec cette couverture percutante. Dessinateur d’une quinzaine d’albums à l’âge de 55 ans, Broeders maîtrise assurément ses personnages tout en sympathie. Il le sait, et il en joue avec habileté, avec bonheur. Son réalisme est habité, dynamique, sympathique, profondément dessiné, dans l’esprit d’un Boiscommun ou d’un Yslaire, aux antipodes des styles réalistes dont la charpente photographique sous-jacente fige bien trop souvent la figuration.

Tentons le diable ? Entrons dans la lecture de ce one-shot couleur de 64 pages, constitué des 50 planches de la BD et d’un dossier graphique complémentaire. Auteur complet, Broeders a concocté une fiction basée sur des faits réels méconnus, dont il restitue magnifiquement le contexte : à savoir l’éruption d’une longue faille volcanique sur l’île islandaise de Laki le 8 juin 1783. Cette catastrophe naturelle engendre un immense nuage de dioxyde de soufre qui recouvre l’ensemble du continent européen et qui, en France, cause une baisse des températures ainsi qu’une grave famine, convoquée par certains historiens comme l’une des causes de la prochaine Révolution. La France… c’est précisément dans ce royaume à bout de souffle que Broeders compose son captivant huis clos fantastique, mêlant histoire et mystère, raison et superstition, ce jusqu’au surprenant dénouement.

En 1783, donc, Madeleine possède une auberge isolée dans laquelle elle vit avec son jeune demi-frère Benjamin — un métis indien —, son époux Jean et sa servante Charlotte. Celle qui cache une blessure narcissique rêve d’y accueillir des voyageurs fortunés… Pour l’heure, la petite famille besogneuse tente de survivre au nauséabond brouillard jaune qui envahit la contrée normande, souille les draps de l’auberge, raréfie ses clients, détruit les récoltes, rend l’eau impure, occis bétail et gens. Cette mystérieuse brume ravive encore les ancestrales superstitions comme les tensions sociales entre le peuple et l’aristocratie, mue les membres du menu peuple en pénitents en colère.

Ce phénomène redoutable devient le « souffle du diable » aux yeux des crédules :la marque du cornu. Bientôt, Benjamin quitte l’auberge pour rejoindre la servante congédiée en raison du déficit de clientèle. Mais, après avoir découvert cette dernière morte étouffée, il revient sur ses pas. Alors que son beau-frère Jean part au diable Vauvert chercher secours, craignant que les pénitents s’arment contre eux, Benjamin est pris de délire. Alors, sa sœur aînée évoque pour lui — avec reproches — la question de leurs origines… Cette Indienne qui a conquis leur botaniste de père parti aux Amériques…

Fâché, le cadet fuit alors l’auberge, essuie un dantesque orage de grêlons, et y revient. Une main secourable l’y accueille, celle de Madeleine. Accablée de remords, elle confie à son demi-frère le nom de sa mère indienne, Hirondelle, et le courage de cette dernière : Hirondelle a sauvé leur père des griffes d’un ours. Mais un danger majeur guette la fratrie réconciliée : le retour d’un opportuniste qui entend s’approprier le coffre de l’auberge… Qui est réellement ce grand diable ? Quel rôle joue le tomahawk de Benjamin, seul souvenir de sa défunte maman ? L’ambition d’une nouvelle auberge est-elle caduque ?

Porté par son goût pour le patrimoine — qui a assuré ses premiers succès éditoriaux en Belgique —, l’éditeur wallon qu’est Nicolas Anspach a ouvert sa jeune maison à une poignée d’auteurs néerlandophones. Parmi eux, Ken Broeders dénote par son graphisme enjoué, une nouveauté pour des éditions dont la production oscillait grandement jusqu’ici entre la classique école franco-belge et le sobre réalisme du roman graphique. Bref, on vendrait son âme au diable pour lire également d’autres albums de Broeders.

Jean-François MINIAC 

« Le Souffle du diable » par Ken Broeders

Éditions Anspach (16,95 €) — EAN : 9782931105467

Parution 28 août 2025

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