À l’heure où les derniers témoins de la Shoah se font de plus en plus rares, il est indispensable de se confronter aux témoignages de celles et ceux qui ont vécu la déportation vers les camps d’extermination. C’est ce que nous offre le triptyque « Simone » : biographie de Simone Lagrange, survivante d’Auschwitz à 14 ans. Après « Irena », Jean-David Morvan et David Evrard confirment leur talent pour faire connaitre des figures féminines méconnues de le Seconde Guerre mondiale. Une belle leçon d’histoire pour notre présent et notre futur.
Lire la suite...Simone ou le travail de mémoire toujours nécessaire…

À l’heure où les derniers témoins de la Shoah se font de plus en plus rares, il est indispensable de se confronter aux témoignages de celles et ceux qui ont vécu la déportation vers les camps d’extermination. C’est ce que nous offre le triptyque « Simone » : biographie de Simone Lagrange, survivante d’Auschwitz à 14 ans. Après « Irena », Jean-David Morvan et David Evrard confirment leur talent pour faire connaitre des figures féminines méconnues de le Seconde Guerre mondiale. Une belle leçon d’histoire pour notre présent et notre futur.
Simy Kadosche nait en 1930 dans le Rhône. Ses parents font acte de résistance en hébergeant des réfugiés de la zone occupée et elle, très jeune, distribue des tracts contre la politique de collaboration du gouvernement de Pétain. La famille est dénoncée et arrêtée le jour du débarquement en Normandie : le 6 juin 1944.
À 14 ans, la jeune fille est soumise à la torture par le SS Klaus Barbie, avant d’être déportée vers le camp de Drancy, puis celui d’Auschwitz-Birkenau le 30 juin. Ses parents sont gazés presque aussitôt. Simy survit avec l’aide de camarades telles Macha et Sonia. Cette dernière, déportée et gardienne d’un baraquement, lui trouve un travail dans une usine proche. Si les journées sur des machines durent 13 heures, les conditions de survie y sont plus fortes qu’à l’intérieur du camp.
Ce troisième et dernier volume de la trilogie est habilement structuré autour de trois temporalités :
- la vie de Simy dans le camp de concentration en 1944-1945, puis sa participation à la marche de la mort vers Ravensbrück et enfin son retour en France,
- son travail de transmission aux jeunes générations 40 ans plus tard,
- le procès de celui qui était surnommé Le Boucher de Lyon (Klaus Barbie), en 1987, lors duquel Simy (devenue Simone Lagrange) témoigne de la brutalité et de la cruauté de l’officier SS.
L’ensemble forme un tout cohérent : de la justesse dans la transcription du témoignage d’une adolescence brisée par la déportation et les sévices subies dans les camps nazis au devoir de mémoire honorée par une femme mure et toujours digne qui entend que justice soit rendue, pour éviter que les crimes contre l’humanité de la Seconde Guerre mondiale tombe dans l’oubli et se répètent à nouveau.
La Simone du titre n’est pas une Simone reconnue, ni la philosophe Simone Weil ni son homonyme, femme politique (Simone Veil), mais bien une figure méconnue de l’histoire : Simone Lagrange (1930–2016). La très jeune résistante survit à la déportation, au contraire de ses parents. Elle subi aussi la terrible marche de la mort de l’hiver 1945, de camp en camp, avant de retrouver son jeune frère et sa jeune sœur cachés en France. Devenue adulte, elle témoigne de ce qu’elle a vécu pour participer à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’oubli. Ainsi, au procès Barbie, elle raconte, en pleurs, qu’à la sortie d’un camp elle croise une colonne de prisonniers et y reconnaît son père : « Je lui ai fait signe, il m’a vu et m’a fait signe de la main. Un officier SS s’approche et me demande si c’est mon père. J’ai répondu…oui. Le SS a dit à mon père de venir m’embrasser et alors qu’on se retrouvait, on l’a agenouillé devant moi et le SS l’abattit d’une balle dans la nuque. J’étais pétrifiée. » Pour en savoir davantage sur Simone Lagrange vous pouvez lire son livre témoignage « Coupable d’être née » ou visionner le documentaire « Moi, petite fille de 13 ans » sorti en 2011.
Scénariste prolifique, Jean-David Morvan s’attache depuis quelques années à des figures féminines de la résistance, telles Irena Sendlerowa dans la série « Irena », déjà avec David Evrard au dessin, « Madeleine Riffaud » dans la série en cours « Madeleine, résistante » pour les pinceaux subtils de Dominique Bertail ou « Adieu Birkenau » après un voyage dans le camp avec Ginette Kolinka. Il a aussi écrit une biographie de Missak Manouchian avec « Missak, Mélinée et le groupe Manouchian » pour les dessinateurs Tcherkézian et Ooshima.
Il signe, avec « Simone », une trilogie sensible : une biographie éclatée comme des morceaux de mémoire qui reviennent. Toujours d’une grande justesse, le récit alterne séquences pendant la guerre et des scènes 40 plus tard ; de quoi faire comprendre l’importance du travail de mémoire pour les jeunes, et les moins jeunes, lecteurs.
On ne peut que louer le trait stylisé, rond et expressif, de David Evrard pour cette série. Il permet de rendre acceptable les événements abominables vécues par Simone : de la vie dans les camps aux marches de la mort ou des sévices imposés par les SS à l’assassinat de son père sous ses yeux. Le dessinateur ne néglige pas pour autant les décors : il rend palpable le froid meurtrier qui régnait en Pologne à la libération des camps ou le Paris enfin joyeux du printemps 1945. « Mais un jour dans notre vie, le printemps refleurira » clôt une trilogie admirable. C’est une biographie salutaire sur la vie humble et digne d’une déportée, dont le témoignage est toujours vivant et accessible aux plus jeunes grâce à ce média formidable qu’est la bande dessinée.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Simone T3 : Mais un jour dans notre vie, le printemps refleurira » par David Evrard et Jean-David Morvan
Éditions Glénat (15,00 €) — EAN : 9782344053140
Parution 24 septembre 2025