Revenant au dessin et aux fondamentaux de ses débuts — à une époque où il privilégiait la gaudriole, le grand guignol et la liberté graphique, ce qui était notamment le cas dans le recueil intitulé « Nocturnes » —, Régis Loisel nous gratifie d’un étonnant et magnifique album, de très belle facture, aux éditions Rue de Sèvres : « La Dernière Maison juste avant la forêt », avec l’aide scénaristique de son ami Jean-Blaise Djian. Une histoire foisonnante — de 160 pages — située dans un univers loufoque, délirant, aux limites du fantastique, mais qui est remplie de bons sentiments, et où l’on retrouve tout l’amour pour l’humanité du cocréateur de « La Quête de l’oiseau du temps » ou de « Magasin général » !
Lire la suite...Retour à un passé « Nocturnes » pour Loisel !
Revenant au dessin et aux fondamentaux de ses débuts — à une époque où il privilégiait la gaudriole, le grand guignol et la liberté graphique, ce qui était notamment le cas dans le recueil intitulé « Nocturnes » —, Régis Loisel nous gratifie d’un étonnant et magnifique album, de très belle facture, aux éditions Rue de Sèvres : « La Dernière Maison juste avant la forêt », avec l’aide scénaristique de son ami Jean-Blaise Djian. Une histoire foisonnante — de 160 pages — située dans un univers loufoque, délirant, aux limites du fantastique, mais qui est remplie de bons sentiments, et où l’on retrouve tout l’amour pour l’humanité du cocréateur de « La Quête de l’oiseau du temps » ou de « Magasin général » !
Victime de l’un des mystérieux pouvoirs vaudous de sa mère, Pierrot pense qu’il est beau comme un dieu et se croit donc irrésistible ! En fait, il est terriblement laid, mais il ne le sait pas : ce qui explique qu’il ne comprend pas pourquoi il n’a aucun succès avec la gent féminine qui l’éconduit régulièrement ou se moque carrément de lui. 
Sa famille vit dans un manoir : la dernière maison juste avant la forêt, sur laquelle la dame patronnesse (sa génitrice) règne en maître. Elle y est entourée de ses domestiques — qui ne sont autres que des créatures façonnées de ses mains, à la suite de sortilèges souvent ratés —, de ses terrifiantes plantes carnivores avides de chair humaine, et du colonel : son mari qu’elle a transformé en statue, et à qui son fils fait croire qu’il est le plus grand avocat du barreau de Paris, alors qu’il exerce simplement le beau métier de facteur.
Aujourd’hui, ils sont tous réunis pour l’anniversaire du militaire statufié, mais la fête va être troublée par l’arrivée d’un charmant cadeau que lui a commandé sa matrone de femme : une prostituée louée pour l’occasion et qui, manifestement, ne laisse personne indifférent.
Cette jouissive bande dessinée tout à fait inclassable, où le burlesque côtoie l’étrange — ce qui peut être, on en convient, quelque peu déroutant pour certains —, est d’une inventivité visuelle folle. Elle provient, à l’origine, d’un synopsis écrit par Jean-Blaise Djian (1). Ce dernier l’a soumis à son complice scénaristique du « Grand Mort », lequel, emballé, s’est laissé emporter dans le délire de cette farce grivoise proposée et y a ajouté sa patte baroque et déjantée, ainsi que ses propres procédés de narration.
Graphiquement, le généreux Régis Loisel (2) en met partout, nous assenant, avec son énergie habituelle et pour notre plus grand plaisir, son remarquable trait : un dessin qui semble totalement libéré sur ce drôle de conte fantastique, prétexte à quelques plaisanteries potaches et scènes friponnes ou gores, mais également à de beaux et émouvants passages où l’on s’aperçoit que la sensibilité des créatures fantasmagoriques n’a rien à envier à celles des humains.
Bref, laissez-vous porter par cette étrange et foisonnante suite d’histoires qui n’en font qu’une, aussi amusante que déstabilisante. Vous verrez, vous allez être étonné de tourner les pages les unes après les autres, sans aucun ennui, passant donc un excellent moment de lecture et, à la fin, n’avoir qu’une envie : y revenir…
À noter que le responsable de cette chronique a particulièrement apprécié, le retour inattendu, sur quelques planches de la dernière partie, de l’inspecteur Ratier : lequel a bien vieilli depuis sa précédente apparition. (3)
(1) Sur Jean-Blaise Djian, voir notamment sur BDzoom.com : Mieux comprendre la guerre d’Algérie…, « Liberty Bessie » : cap sur Tripoli !, Les quatre de Baker Street au cœur du quartier chinois…, « Les Quatre de Baker Street T7 : L’Affaire Moran » par David Etien, Jean-Blaise Djian et Olivier Legrand, Spécial Sherlock Holmes : « Les Quatre de Baker Street T6 : L’Homme du Yard » et « Sherlock Holmes Society T1 : L’Affaire Keelodge », Le Grand Mort T1…
(2) Sur Régis Loisel, voir notamment sur BDzoom.com : « L’Omégon » : fin du deuxième cycle de la série mythique « La Quête de l’oiseau du temps » !, Avant « La Quête de l’oiseau du temps » : plus qu’une manche avant le dénouement !, Quand Loisel et Le Tendre se lèvent : « La Quête de l’oiseau du temps » T1, une analyse de planche…, On découvre, enfin, le destin du putain de salopard !, « La Quête de l’oiseau du temps » : Bragon se rebiffe !, Régis Loisel s’associe à Olivier Pont pour « Un putain de salopard »…, La rencontre entre Loisel et Kris : c’est dans « Trait pour trait » !, « La Quête de l’oiseau du temps (cycle Avant la quête) T5 : L’Emprise » par David Étien, Serge Le Tendre et Régis Loisel, « Mickey Mouse : Café “Zombo” » par Régis Loisel, « Peter Pan T6 : Destins » par Régis Loisel, « Magasin général » T8 (« Les Femmes ») par Régis Loisel et Jean-Louis Tripp et « Magasin général » T6 par J.-L. Tripp et R. Loisel…
(3) La première apparition de l’inspecteur Ratier dans l’œuvre de l’ami Régis (qui aime particulièrement bien la sonorité de ce patronyme) date de sa collaboration avec la talentueuse Christine Oudot — qui n’a, hélas, pas persévéré dans la bande dessinée ! —, il y a déjà maintenant 24 ans ! En effet, il était l’un des personnages principaux de l’album de 94 planches « Fanfreluches pour une sirène », paru aux éditions Vents d’Ouest en 2001 : une rocambolesque comédie utilisant tous les ressorts du fantastique pour que les protagonistes plongent dans une cascade d’événements et une avalanche de rebondissements. Voilà un titre trop méconnu du grand Loisel que l’on ferait bien de rééditer !
« La Dernière Maison juste avant la forêt » par Régis Loisel et Jean-Blaise Djian
Éditions Rue de Sèvres (35 €) — EAN : 9782810201532
Parution 19 novembre 2025


















