Après un original premier diptyque remarqué par le public et la critique (1), Benoît Dahan et Cyril Liéron récidivent, en remettant en évidence l’incroyable perspicacité du célèbre détective britannique — créé par sir Arthur Conan Doyle — dans une nouvelle enquête inédite (« Le Cauchemar du loch Leathan »), laquelle va amener Sherlock Holmes au fin fond de l’Écosse. Une intrigante lettre anonyme, au propos décousu, ayant attisé sa curiosité, il entraîne son fidèle ami le Dr Watson sur l’île de Skye, dans une palpitante et inventive, voire brillante, aventure policière, où ses déductions particulièrement précises et pointilleuses vont certainement faire encore mouche !
Lire la suite...« Achab : avant Moby Dick » : la genèse d’une obsession…
Entre 2007 et 2011, Patrick Mallet racontait en quatre tomes la vie du héros tragique « Achab », créé par Herman Melville dans « Moby-Dick ». Conçue comme une préquelle à ce monument de la littérature américaine, la série, actuellement rééditée en intégrale chez Glénat, replonge littéralement aux origines du mythe : où et comment est née l’obsession du capitaine maudit, sillonnant inlassablement les océans sur le Péquod, dans sa traque infernale du grand cachalot blanc ? Magnifiée à tous points de vue par les talents narratifs et graphiques de Mallet, cette saga incontournable est digne des plus grands romans maritimes du XIXesiècle …
En 1841, Herman Melville, qui s’est engagé comme mousse dans la marine marchande, fait une rencontre qui va changer sa vie. Un certain Owen Chase lui remet alors un récit écrit par son père, ancien second du baleinier Essex. Parti de Nantucket (Massachussetts) en août 1819, pour une campagne de chasse à la baleine supposée durer deux années et demie, le navire eut un destin aussi dramatique qu’insolite. Le 20 novembre 1820, l’Essex est en effet percuté à deux reprises par un cachalot de 26 mètres ! Le navire sombre à 3 700 kilomètres des côtes de l’Amérique du Sud : seuls quatre survivants parviendront à rejoindre Nantucket en 1821… Impressionné à vie par cette incroyable épopée, Melville débute l’écriture de son roman en 1850 et l’achève 18 mois plus tard : il y conjugue ses propres expériences de marin sur les baleiniers (1841-1844), la tragédie de l’Essex et les divers récits entourant un cachalot blanc géant surnommé Mocha Dick, réputé impossible à attraper. Probablement atteint d’albinisme, ce cachalot d’environ 21 mètres et vivant dans les eaux chiliennes, resta célèbre pour avoir survécu à de nombreux harponnages, tout en étant capable de faire sombrer de petites embarcations avec ses nageoires. Précisons d’emblée, avec notre regard de lecteur de 2025, sensibilisé aux questions écologiques de préservation de la faune et de la flore marine, qu’il n’est pas question de juger ici les cruelles pratiques d’antan : celles-ci étaient alors nécessaires pour l’économie des ports et des armateurs, l’huile de baleine étant la source de revenus annuels des marins et de leurs familles, exposés aux aléas et drames vécus par ces travailleurs de la mer.
D’abord publié chez Milan dans la collection [Treize étrange], puis chez Glénat à partir du deuxième tome (2009), la série débute avec « Nantucket », narrant les jeunes années d’Achab, troisième fils de Charles Hawthorne, un capitaine réputé, tué jadis par Moby Dick. Fasciné par la mer et la chasse aux baleines, mais encore trop jeune pour pouvoir embarquer, Achab ronge son frein, dans un album alimentant peu à peu la genèse de son obsession. Habilement, le Genevois Patrick Mallet s’empare des indices biographiques laissés par Melville pour bâtir une trajectoire cohérence et romanesque, en profitant au fil des tomes pour revisiter les classiques (Defoe, Stevenson, Sue) afin d’en dégager la puissance symbolique, à l’égal d’un Riff Reb’s dans ses fresques maritimes, également adaptées de romans populaires. Récits d’apprentissages par essence, le premier volume et sa suite (« Achab T2 : Premières campagnes » tirent leurs forces de leur manière de transformer la vie à terre puis à bord en un double huis-clos initiatique : Achab, 13 ans, apprend la fatigue, la hiérarchie, la peur, mais surtout la dépendance vitale à une nature qu’il veut dompter et détruire. La chasse aux cétacés, loin de n’être qu’un motif ou un cadre exotique, devient un système économique, politique, philosophique et mental, où le jeune héros se forge un mental aussi fort que trouble, entre admiration et haine pour ces masses blanches surgies des abysses. Patrick Mallet exploite ainsi la longue durée des campagnes de pêche pour construire une progression psychologique : chaque traversée ajoute une strate de rancœur, d’orgueil blessé et de superstition, les membres de la famille Hawthorne ayant une fâcheuse tendance à disparaitre, ces morts étant (plus ou moins) directement liée à Moby Dick. Un voyage au bout de l’enfer glacé, destination polarisée de tous les fantastiques affrontements (prenons par exemple les cadres introductif et conclusif de « Frankenstein »), ce jusqu’à l’accident fondateur (dans le tome 4, « La Jambe d’ivoire »), qui fixe à jamais la silhouette d’Achab dans la légende…
Série inévitablement inscrite entre répulsions et fascinations maritimes, tout autant qu’entre beautés et brutalités humaines, « Achab » développe, à l’instar de « Moby Dick », un ensemble de descriptions détaillées et réalistes du quotidien des habitants de Nantucket, de la chasse à la baleine, de l’extraction de l’huile, ainsi que de la vie à bord d’un navire au sein d’un équipage culturellement diversifié. Se mêlent à ce regard quasi ethnographique et sociologique l’exploration des questions de classe et de statut social (voir les rivalités et liens tissés entre Achab et ses frères, ainsi qu’avec Élie et Émily Coffin), du bien et du mal, sujets rattachés à la remise en cause de l’existence de Dieu.
Année après année, décennie après décennie (la saga s’étire de l’automne 1806 au printemps 1850), Achab bascule dans l’obsession pathologique et mortifère, destinée annihilant de fait toute vie amoureuse (voir le tome 2 et le tome 3, « Les Trois doublons », paru en 2010). Habilement là encore, Patrick Mallet exploite la longue durée des campagnes de pêche pour construire une progression psychologique : chaque traversée ajoute une strate de rancœur, d’orgueil blessé, chaque échange étant traversé de superstitions et de réalités, dans une perspective aussi trouble que des horizons maritimes à la fois lisses et instables. Au-delà du récit d’aventures, « Achab » interroge sur ce qui fait basculer un marin expérimenté dans la monomanie, en montrant in fine comment la douleur physique (la perte de la jambe) cristallise des frustrations plus anciennes. La série met ainsi en scène un lent glissement : l’animal cesse d’être une proie parmi d’autres pour devenir une entité quasi métaphysique, condensant la malchance, l’injustice et la colère d’un homme qui refuse l’idée même de hasard. En cela, elle fonctionne comme un contrechamp tragique à Moby Dick : comme le montrent les couvertures, qui alternent la proie et l’ombre, le lecteur n’assiste plus seulement à la poursuite du monstre, mais à la fabrication patiente, presque clinique, d’un destin maudit.
Graphiquement, ces quatre tomes déploient un imaginaire maritime sombre et charbonneux, qui joue sur les contrastes entre le noir des cales, des tempêtes ou de la suie des harpons, et la pâleur presque spectrale du cachalot. Comme chez d’autres auteurs qui réinventent l’aventure en noir et blanc ou en gamme restreinte, ce parti pris renforce le sentiment de fatalité : les planches semblent baignées d’un brouillard de sel, de sueur et de sang, où chaque apparition de la baleine fend littéralement la page. Le découpage privilégie les scènes de manœuvre, les détails de cordages, de mâts et de barques, rappelant que l’obsession du capitaine se nourrit d’abord d’une intimité concrète avec le moindre geste du métier. Mue par un indéniable souffle de l’aventure, « Achab » sert de véhicule à des interrogations sur le progrès, la violence et la condition humain, s’imposant ainsi comme une porte d’entrée précieuse dans l’univers de Melville, tout en offrant aux connaisseurs du roman une variation respectueuse mais pleinement autonome.
Philippe TOMBLAINE
« Achab : avant Moby Dick » intégrale par Patrick Mallet
Éditions Glénat (23 €) — EAN : 978-2344072547
Parution 3 décembre 2025

























