Une relecture des aventures de Tintin ; « Le démon inconnu d »Hergé »

Sous titré « Le génie de Georges Rémi », cet ouvrage étourdissant aurait tout aussi bien pu s’intituler « le génie fascinant de Bertrand Portevin ». C’est de nouveau à un véritable maelstr?m initiatique qu’il nous convie, tout à son idée fixe de révéler la façon dont Hergé crypta ses albums.

 

 

L’auteur du Monde inconnu d’Hergé (Dervy, 2002), revient donc, comme il l’avait promis avec un second tome de facture identique au premier (annonçant au passage un troisième opus). Le père de Tintin aurait en effet bâti son oeuvre autour des enseignements de la Kabbale et des symboles du tarot, usant des signes comme autant de marqueurs d’une voie réservée aux seuls initiés.

 

            Cette voie, Portevin l’évoque en ces termes : « Au-delà de l’esthétique ou de la lisibilité du propos, cette ligne claire fut le véhicule d’une pensée de la même veine. Outre la griffe d’Hergé, cette lumineuse façon, ce trait noir et blanc fut LA VOIE qui le guida, celle qui lui permit de cheminer entre le bien et le mal, le juste milieu des taoïstes, et de faire souche pour les futurs humanistes que nous sommes devenus sans peine en le lisant. ». Et plus loin : « Les aventures de Tintin et Milou sont une ligne claire, un fil conducteur des âmes et des destins tendus vers l’équilibre », c’est-à-dire vers cette individuation chère à Hergé. Le ton est donné, la direction tracée, et le style tout en verve nous entraîne dans une démonstration haletante. Guidés par l’admiration sans borne de l’auteur pour Hergé, nous voici en train de rechercher derrière la ligne claire les enseignements que le maître aurait laissés sur le dur chemin du sens caché.

 

            On pourrait sourire devant ce projet, mais rapidement s’impose au lecteur qui accepte de jouer le jeu, l’incroyable et vertigineuse culture ésotérique de l’auteur. Sa connaissance des symboles a de quoi émerveiller, qui lui sert à retrouver d’improbables correspondances là où le lecteur ordinaire ne voit rien d’autre qu’un choix purement artistique. Recherchant les analogies, sa méthode consiste à débusquer les allusions derrière le moindre objet, les couleurs ou les noms. Mythologies antiques, textes des philosophes, tradition juive, symbolisme des alchimistes ou initiation rosicrucienne, Portevin fait flèche de tout bois et preuve de toute interprétation ; il n’est jusqu’aux symboles chimiques de la classification périodique des éléments de Mendeleïev qui ne fournissent des arguments supplémentaires à son astucieuse dissection analogique. On regrettera simplement que l’auteur n’ait pu reproduire les dessins auxquels se réfère sa démonstration. Pour le reste, l’accumulation des corrélations a de quoi émerveiller.

 

            La présence finalement incongrue de tel ou tel signe (voir par exemple la subtile lecture des 7 boules de cristal à l’aune de la symbolique angélique, pp. 69 à 71) ou d’erreurs apparentes de dessin (répertoriées et … réinterprétées p 76) dans l’oeuvre d’Hergé finissent par emporter l’intérêt du lecteur, mûr désormais pour se prêter aux montages virtuoses du décrypteur, qui éveillerait le doute dans l’esprit du critique le plus rationnel. Au demeurant, la méthode toute en transparence explicite, n’a rien du délire. Tout au plus pourrait-on rétorquer, qu’à celui qui cherche, les pistes s’ouvrent multiples au travers du simple jeu des coïncidences, spécialement dans cet univers à sens multiples des correspondances ésotériques multiformes. Mais Portevin déjà rétorque : « L’hermétisme utilise toutes les voies pour se transmettre, et le lecteur avisé peut retirer de la substance princière là où le profane ne verra que délire, ou, au mieux, fantaisie ». Ou encore : « Ne craignez pas l’exagération, vous seriez encore en dessous de la réalité ». Pour lui, aucun doute : Haddock c’est Dionysos, Tournesol c’est Hermès, Tintin un Parfait cathare, et ainsi de suite.

 

            L’auteur nous guide, avec énergie mais minutie, sur les pas de ses propres doutes, de ses joies et de ses étourdissements, ne nous cachant aucun arcane, n’omettant aucune précision, n’écartant aucune des difficultés qu’il a dû surmonter : « Si vous avez le tournis, cela se comprend, je suis passé par là aussi », nous confie-t-il. Certes. Mais on se surprend également plus qu’à son tour à s’interroger sur le but ultime de cette accumulation érudite. Hergé nous livrerait-il donc les clefs de la compréhension et de l’acceptation de soi ? Portevin le croit et nous convie à une démonstration extraordinaire. Et qu’importe si cet ouvrage reflète d’abord la maestria de l’exégète, il nous donne l’occasion de regarder Tintin d’un autre oeil, et de se convaincre que c’est le propre des chefs-d’oeuvre que de s’offrir ainsi à une multitude de lectures croisées et savantes.

 

 

 

Joël DUBOS

 

 

 

Le démon inconnu d’Hergé, de Bertrand Portevin, chez Dervy, 302 p, 18 euros.

 

 

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