Deux ans après la publication remarquée en 2022 du premier opus de « 1629 : l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta » (1), voici la seconde partie : laquelle devrait combler ceux qui se sont passionnés pour ce formidable thriller maritime. Un huis clos éprouvant — inspiré aux auteurs par une histoire vraie déjà adaptée en BD par Jean-Denis Pendanx et Christophe Dabitch (2) — qui renoue avec les grandes séries d’aventures exotiques…
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DE BD DU 27 MARS 2006
Les 5 bandes dessinées de la semaine: “ Magasin général T.1 : Marie ” par Loisel et Tripp, “ A quatre mains T.1 ” par Améziane et Taibo II, “ Nathaniel T.1 : Bienvenue dans l’humain ” par Robin, “ Le Ciel au-dessus de Bruxelles T. 1 : [avant] ” par Yslaire et “ Pandora Box T.7 et 8 : La colère – L’espérance ” par Damour, Pagot et Alcante aux éditions Dupuis.
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“ Magasin général T.1 : Marie ” par Régis Loisel et Jean-Louis Tripp
Editions Casterman (14,95 Euros)
Cela faisait des années que Régis Loisel, l’auteur culte de «Peter Pan» et de «La quête de l’oiseau du temps» (avec Serge Le Tendre) avait l’idée de faire du Frank Capra ou du Ernst Lubitch en BD. Alors qu’il s’expatriait à Montréal, annonçant même une certaine distanciation avec le 9ème art, il retrouve, outre-Atlantique, le Toulousain Jean-Louis Tripp. Ce dernier, bien connu dans les années 1980 pour sa série «Jacques Gallard», s’était réfugié depuis dans la peinture et l’illustration, expérimentant de nouveaux champs graphiques. Les deux dessinateurs ainsi réunis dans le même atelier ont fini par s’associer pour une truculente saga rurale située dans le Québec profond du début du 20ème siècle : on y retrouve les volontés de fraîcheurs cinématographiques citées précédemment, mais cette trilogie tient aussi du roman de terroir et du récit goguenard à la Charles Williams («Fantasia chez les ploucs» n’est pas si loin que ça !). Après le décès de son mari, une femme se retrouve seule à 40 ans, sans enfant, en charge de l’unique commerce de ce village dont elle n’est pas originaire : trouvera-t-elle sa place dans la société locale ? C’est donc sur ce thème de Régis Loisel que nos deux auteurs ont réalisé cette ode à la tolérance et au bonheur de vivre, à quatre mains (réalisant scénario et dessins), les dialogues étant revisités par leur confrère Québécois Jimmy Beaulieu alors que la couleur (superbe !) a été confiée à François Lapierre. L’osmose entre les styles graphiques est étonnante (chacun œuvrant dans sa partie préférée) et la narration est envoûtante : serait-ce l’une des bonnes recettes pour obtenir un chef-d’œuvre ?
“ A quatre mains T.1 ” par Améziane et Paco Ignacio Taibo II
Editions EP (16,90 Euros)
La collection «Noir quadri» des éditions EP propose des romans noirs dus à des auteurs originaires des divers pays du grand continent américain (et pour la plupart issus du catalogue Rivages, maison dépendant elle aussi du même groupe : La Martinière), sous forme de BD. Ainsi après Tony Hillerman, George Chesbro et James Ellroy, c’est au tour du romancier mexicain Paco Ignacio Taibo II d’être mis en images. Ce dernier a même tenu à participer au travail d’adaptation, lequel est quand même dû principalement au jeune dessinateur Améziane, dont c’est le premier album. L’amitié de deux journalistes internationaux (que tout sépare au départ, l’un étant juif américain contemplatif, l’autre mexicain volubile) et leur admiration pour l’acteur comique Stan Laurel vont leur permettre de travailler ensemble sur un roman d’espionnage. En effet, en 1923, le célèbre partenaire de Oliver Hardy fut témoin de l’assassinat de Pancho Villa… Et nous voici parti pour un thriller complexe et halluciné, à la narration multiple et aux partis pris graphiques quelquefois étonnants et déroutants. Pourtant, malgré ces éléments que certains pourraient considérer comme des handicaps, l’ensemble fonctionne bien (en particulier grâce à une bonne utilisation de la couleur, laquelle intervient comme un élément narratif à part entière) : le lecteur finit par se laisser prendre au charme de cette intrigue qui nous plonge dans les arcanes de la désinformation à l’échelle mondiale. Un premier livre à soutenir absolument !
“ Nathaniel T.1 : Bienvenue dans l’humain ” par Alexis Robin
Editions Bamboo/Grand Angle (16,90 Euros)
Alexis Robin, fasciné par les bandes dessinées d’Hergé puis par Moebius (dont il utilisera par la suite le trait protéiforme) a suivi, pendant quatre ans, les cours de bande dessinée à l’Institut Saint Luc à Bruxelles avant de publier un excellent et remarqué premier album («Si j’ai bonne mémoire» dans la collection «Tohu-Bohu» des Humanoïdes Associés, en décembre 2000)… Et depuis : plus rien ! Occupé, entre-temps, à la réalisation de story-boards pour différents docu-fictions, cet auteur revient enfin sur les devantures de librairies avec l’histoire de Nathaniel, un étudiant qui écrit des poèmes étranges pendant ses cours et que ses rares amis considèrent comme un original. Mais personne n’a idée des créatures que Nathaniel voit, depuis son enfance, et qu’il reconnaît malgré leur apparence humaine. D’autant plus que l’un de ses plus proches amis, vient de réapparaître après quelques jours d’absence, transformé et sans doute contaminé… Au lieu de tomber dans les lieux communs et les poncifs du genre, Alexis Robin préfère s’attarder sur la psychologie de son personnage principal et nous propose un scénario captivant et bien construit, avec une ambiance plus proche du polar que du récit fantastique. Quant à son style graphique (certes, encore perfectible) qui a l’avantage d’être rehaussé par une efficace mise en couleurs, il est finalement bien adapté à cet haletant prologue pour une série qui, nous n’en doutons pas, va déménager !
“ Le Ciel au-dessus de Bruxelles T. 1 : avant ” par Bernar Yslaire
Editions Futuropolis (13,50 Euros)
A la veille de l’attaque de l’Irak par Bush, Yslaire (l’auteur réputé de la saga des «Sambre» et des albums alternatifs autour du «XXe siècle») s’attendait à tout ! Son angoisse d’une guerre imminente a été le déclencheur pour cette nouvelle histoire de terrorisme et d’amour, se déroulant en 2003, dans «sa» ville de Bruxelles : le siège de l’OTAN étant, alors, particulièrement exposé aux attentats. Alors que des gens manifestent contre la guerre en Irak, un juif Khazar et une jeune beur, musulmane, se rencontrent dans une chambre d’hôtel, au 25ème étage avec vue sur le ciel, et vivent une histoire d’amour bestiale et symbolique. Si l’album s’ouvre sur la noirceur du camp de concentration de Falkenberg, soixante ans plus tôt, c’est que l’auteur veut nous rappeler que l’histoire a tendance à se répéter mais, qu’en positivant des événements terribles que nous connaissons tous, il est important d’y chercher la lumière… Ainsi, sans entrer frontalement dans le débat des affrontements israélo-palestinien, Yslaire n’hésite pas à parsemer son récit d’humour, tout en se positionnant par rapport à la religion : continuellement en quête de légèreté et du bonheur absolu, il réussit alors à donner corps et frisson à cette rencontre, entre un Roméo et une Juliette d’aujourd’hui, grâce à un trait souple et sensuel, sans encrage. L’outil informatique lui permettra enfin de marteler son propos : son expression graphique, de plus en plus lâchée, se confrontant, sans complexes, à la froideur des couleurs et au réalisme des planches de photos retouchées, tirées des journaux télévisés belges de l’époque.
“ Pandora Box T.7 et 8 : La colère – L’espérance ” par Damour, Didier Pagot et Alcante
Editions Dupuis (13 Euros l’un)
Même s’il semblerait que les meilleurs scénarios de cette série, sur les pêchés capitaux et les dangers du progrès dévoyé, aient été publiés en premier, ces deux épisodes terminent efficacement une œuvre assez bien orchestrée. Le tome 7 insiste sur l’usage des armes bactériologiques et le 8ème (et dernier) prolonge le problème du clonage déjà abordé précédemment, en nous laissant la tête pleine d’espoir pour l’humanité. Il est évident que, malgré la qualité (inégale) des illustrateurs retenus, c’est la fluidité de la narration qui est la base du succès de «Pandora Box». Bâtie sur le même principe que celui du «Décalogue», cette entreprise, au final, ne semble pas être un concept aussi incontournable, mais l’ensemble est fort agréable et a le mérite de nous faire découvrir un scénariste plein de talent dont nous attendons, avec impatience, les prochaines parutions.
Gilles RATIER