Deux ans après la publication remarquée en 2022 du premier opus de « 1629 : l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta » (1), voici la seconde partie : laquelle devrait combler ceux qui se sont passionnés pour ce formidable thriller maritime. Un huis clos éprouvant — inspiré aux auteurs par une histoire vraie déjà adaptée en BD par Jean-Denis Pendanx et Christophe Dabitch (2) — qui renoue avec les grandes séries d’aventures exotiques…
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 22 JANVIER 2007
“ Le sommeil de Léo ” par Jean-Claude Denis, “ Biotope T.1 ” par Brüno et Appollo, “ Secrets bancaires T.2.1 : Blanchiment ” par Dominique Hé et Philippe Richelle, “ Judith T.3 ” par Eric Godeau et Paul Oliveira, et “ Fleurs d’ébène ” par Eric Warnauts et Raives.
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Encore cinq albums, tout juste parus, qui méritent le détour :
“ Le sommeil de Léo ” par Jean-Claude Denis
Editions Futuropolis (16 Euros)
Entre drame et comédie, la lecture du nouveau roman en BD, de l’auteur de «Luc Leroi» et de «Quelques mois à l’Amélie», est véritablement jubilatoire ! Un jeune patron d’une petite entreprise, spécialisée dans les meubles en carton, s’apprête à signer un important contrat avec la Finlande. Il ne peut s’empêcher de draguer assidûment la jeune personne qui lui sert d’interprète alors que son efficace secrétaire se meurt secrètement d’amour pour lui. C’est alors qu’arrive, inopinément, l’un de ses anciens copains de lycée ; mais ces retrouvailles non désirées vont singulièrement compliquer la vie de notre golden boy en pleine ascension : après une tentative ratée pour l’éviter, le bel entrepreneur hyperactif va pourtant passer la soirée avec lui, ainsi qu’avec son assistante amoureuse, accompagnée de sa meilleure amie. Ensemble, ils assistent au spectacle d’un hypnotiseur qui réussit à endormir son public ; mais à la fin de la séance, l’«ami» retrouvé reste dans un état second. Cet homme complètement amorphe, qui ne fait que ce qu’on lui ordonne, même en ce qui concerne les gestes les plus quotidiens, va servir de révélateur aux autres personnages, dont les existences vont être désorganisées et prendre des tours complètement inattendus. Comme dans beaucoup de récits de cet auteur sensible et profondément humain, il ne se passe pas vraiment grand-chose ; mais ce n’est qu’une apparence car, en définitive, le lecteur se pose plein de questions tout le long de cette histoire aussi maligne et expressive que le trait est fin et stylisé !
“ Biotope T.1 ” par Brüno et Appollo
Editions Dargaud (9,80 Euros)
Fort de son «Grand Prix de la Critique» décerné en 2004 pour «La grippe coloniale», le scénariste réunionnais Appollo, pilier du magazine Le Cri du Margouillat, a désormais retrouvé une activité plus soutenue dans le domaine de la BD. Outre un diptyque pour son compatriote Li-An («Fantômes blancs» chez Vents d’Ouest) et un «Île Bourbon» illustré récemment par Lewis Trondheim (chez Delcourt), voici un original et sympathique thriller de science-fiction, au contenu bien plus profond qu’il n’y parait au premier abord. Sur une lointaine planète végétale, et plus exactement dans la base terrienne et scientifique Biotope, trois flics «blacks» cherchent à élucider un étrange crime dans une structure high-tech aseptisée et ennuyeuse qui respecte l’écosystème de l’environnement. Alors que les dirigeants de ce vase clos s’accordent sur l’origine passionnelle du crime (le meurtrier entretenait une relation homosexuelle tourmentée avec le défunt), les trois policiers ont l’impression qu’on leur dissimule certaines informations. La suite des événements va leur donner raison, l’enquête de routine tournant très vite au chaos… Réflexions écologiques et luttes de pouvoir sont les deux mamelles de cette nouvelle série remplie de personnages aux caractères bien complexes. Le mélange des genres et l’opposition du monde scientifique aseptisé avec un propos que l’on tient plutôt dans les séries télévisées américaines sont les autres atouts de cette série à l’atmosphère pesante, et où tout se précipite, sans prévenir. Le dessin simple et efficace de Brüno est particulièrement adapté à cette ambiance et à l’humour distancié du talentueux scénariste : alors, vivement la suite, et vite…
“ Secrets bancaires T.2.1 : Blanchiment ” par Dominique Hé et Philippe Richelle
Editions Glénat (9,40 Euros)
Cette série policière est basée sur l’existence de ces énormes sommes d’argent qui se baladent de pays en pays, grâce à des filières mises en place par de gros malins utilisant différents hommes de mains qui, eux, ne récoltent que des miettes, au bout du compte : et encore, la plupart du temps, il faut que ces derniers s’estiment heureux de ne pas y laisser la peau. Le scénariste Philippe Richelle a prévu huit tomes de quatre récits indépendants (donc constitués de deux albums chacun), dessinés alternativement par Pierre Wach et Dominique Hé : ce dernier revient ici avec un dessin beaucoup plus ligne claire, mais peut-être un peu moins riche, par rapport à ce qu’il faisait sur l’excellente saga historique «Sophaletta» créée par Erik Arnoux. Qu’importe, cela sied bien à cette intrigue qui met une nouvelle fois en scène des gens faibles, hypnotisés par l’appât du gain facile. Dans ce deuxième diptyque, un couple attend impatiemment le décès d’une vieille tante de quatre-vingt-huit ans, tandis qu’un ferronnier livre des lingots d’or qu’un autre quidam charge dans son coffre de voiture : lingots qui serviront à la négociation avec un fabricant de bijoux. Ces personnages sans liens apparents, bientôt rejoints par nombre de banquiers, avocats, financiers internationaux et truands de petite ou grande envergure, participent à ces blanchissements d’argent, escroqueries internationales qui passent sous le nez d’une justice bien démunie… Le scénario, très bien huilé, devrait satisfaire les nombreux amateurs de bonnes histoires à suspense…
“ Judith T.3 ” par Eric Godeau et Paul Oliveira
Editions Grand Angle Bamboo (12,90 Euros)
Premier bon point : la couverture ! Elle est fort bien composée et le graphisme mixte (entre franco-belge, manga et comics) d’Eric Godeau fait mouche (il participe également, tout le long de l’album, à la lisibilité de ce thriller aux confins du fantastique). Deuxième bon point : la narration ! L’efficacité des dialogues et de la mise en scène de Paul Oliveira (l’un de ces nouveaux scénaristes qui ont très bien compris le langage spécifique de la BD) est probante dès les premières pages, et on se laisse avoir tranquillement par l’intrigue. Troisième et dernier bon point : le sujet ! Il était casse-gueule de vouloir parler du danger des sectes au beau milieu d’une course-poursuite où l’héroïne tente d’échapper à une jolie tueuse lancée à ses trousses par une organisation inconnue, flanquée d’une fille médium aux pouvoirs étonnants. Et pourtant, le tout fonctionne parfaitement ! Voici donc, au bout du compte, une série vraiment prometteuse !
“ Fleurs d’ébène ” par Eric Warnauts et Raives
Editions Casterman (13,75 Euros)
Tout juste vingt ans après leur étonnante première œuvre en commun («Congo 40», pré-publié dans feu le mensuel (A Suivre) des éditions Casterman, lequel sera suivi, cinq ans plus tard, par «Equatoriales»), le duo Warnauts et Raives, belges de leur état, reviennent sur la période colonisatrice subie par le Congo : mais cette fois-ci, nous sommes à la fin des années 1950, à la veille de l’indépendance, juste avant que ce pays ne devienne le Zaïre. Dans ce contexte de tensions et d’agitations politiques, un jeune fonctionnaire de police s’évertue à faire la lumière sur le décès suspect d’un homme noir : un simple «nègre» comme on le dit dans la communauté minoritaire des colons blancs, mais aussi, et surtout, un activiste politique bien connu. L’affaire se complique car, en fait, c’est au retour d’une bringue d’enfer, sur une piste défoncée, que la voiture de deux couples illégitimes (hommes blancs «au-dessus de tous soupçons» et femmes noires vendant facilement leurs corps) a roulé sur le défunt. Eh oui, toutes les pulsations sensuelles et enivrantes de l’Afrique irradient ce récit, certes exotique, mais à l’érotisme tour à tour brûlant et poisseux, où les différents protagonistes conservent des pulsions quasi animales : un polar original, dessiné à quatre mains (mais c’est Warnauts qui écrit le scénario, alors que Raives est plutôt préposé à la couleur), qui démontre, une fois de plus, l’évident talent des deux compères !
Gilles RATIER