Deux ans après la publication remarquée en 2022 du premier opus de « 1629 : l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta » (1), voici la seconde partie : laquelle devrait combler ceux qui se sont passionnés pour ce formidable thriller maritime. Un huis clos éprouvant — inspiré aux auteurs par une histoire vraie déjà adaptée en BD par Jean-Denis Pendanx et Christophe Dabitch (2) — qui renoue avec les grandes séries d’aventures exotiques…
Lire la suite...Adventures of Private Kirby : 4ème episode
Après avoir participé à la tragique tête de pont de Dornot et avoir bataillé dur au cours de la campagne de Metz, dans la 5e armée de Patton au cours de l’automne 44, Jack Kirby souffre d’importantes engelures aux jambes…
Le 20 novembre 1944, Jack est rapatrié à l’arrière et se réveille à l’hôpital de terrain. Là, on place les victimes du froid en trois catégories : ceux auxquels on fait une perfusion, ceux auxquels ne peut rien faire et ceux auxquels on donne du whisky. Jack fait partie de la deuxième catégorie.
Comme le médecin ne sait pas quoi faire de lui, il est transporté à Verdun en train. Il risque l’amputation. Là, dans la souffrance, il trouve encore la volonté de produire quelques dessins et, à la demande des médecins qui ont appris ses talents, Jack réalise des planches anatomiques de pieds blessés, prenant modèle sur les soldats autour de lui… Des gouaches détaillées aux couleurs vives, utiles au corps médical, mais absolument répugnantes pour le commun des mortels. Jack, en fauteuil roulant, a toujours les jambes enflées et violacées.
On l’envoie finalement en camion dans un hôpital à Paris, avec six WAC (Woman Army Corps) enceintes.
Dans la capitale, il retrouve Eddie Herron, l’ancien scénariste devenu directeur de publications chez Fawcett, et Murray Boltinoff, occupant les mêmes fonctions à National Periodical, qui lui proposent d’aller visiter la capitale by night, mais Jack ne peut pas marcher !
De toute façon, il préfère être rapatrié et rentrer le plus rapidement possible chez lui.
Il est transféré à Hereford en Angleterre. Sur le retour, on lui vole son paquetage avec toutes les lettres de Roz ; ne lui laissant que son revolver allemand qu’il a ramassé sur un champ de bataille…
Ses jambes sont toujours violettes et les chirurgiens anglais attendent encore un peu avant d’amputer.
L’hôpital prévient Roz par téléphone. N’ayant plus de nouvelles depuis quelques semaines, elle se réjouit de le savoir en vie et trouve le courage de relativiser : avec son métier, il vaut mieux qu’il perde ses pieds que ses mains !
Heureusement, Jack récupère de façon miraculeuse. Il passe son temps à dessiner.
Le seul dessin pornographique connu de Jack (représentant Blanche Neige et les sept nains) aurait été réalisé à cette époque, sur son lit d’hôpital…
Ayant déjà survécu au Lower East Side de New York, il résiste au combat institutionnalisé du conflit mondial. C’est un survivant…
Il doit revenir en Amérique à bord du Queen Mary.
Mais il tombe malade et doit rester en Angleterre quelques semaines de plus, rentrant finalement aux USA à bord d’un petit remorqueur sanitaire se traînant à une vitesse pachydermique de 9 nœuds à l’heure.
Les conditions sont déplorables, les infirmières sont invisibles à bord. Entouré de gueules cassées et de soldats amputés, Jack va de plus en plus mal : à cause du mal de mer, il meurt de faim pendant les 9 jours de la traversée.
Une nuit, il est presque content de tomber de son lit et d’avoir mal à un endroit précis, contrecarrant ainsi les symptômes diffus du mal de mer.
Son seul plaisir est de fumer ses cigares préférés (les Roy Tan Falcon), qu’il se procure auprès d’officiers, en échange de dessins. Un premier pas vers le retour à la vie civile…
Sur son fauteuil roulant, il s’occupe comme il peut en jouant au poker… avec des parachutistes, de vraies brutes qui n’acceptent pas de le voir gagner ! Craignant pour sa vie, il préfère abandonner ses gains, laissant les autres se battre son argent.
À son arrivée au port de New York, en janvier 1945, il est envoyé pour six mois à Camp Butner (Raleigh, NC), via Richmond (Virginie), pour finir ses obligations militaires.
Après la fin de son hospitalisation, on le nomme à l’entretien de moteurs de camions. On imagine son enthousiasme ! En avril, Roz obtient finalement l’autorisation de venir lui rendre visite. Mais Jack n’a pas de permission. Il falsifie sa carte d’assurance pour faire croire à un laisser-passer militaire et sort retrouver Roz, qu’il n’a pas vue depuis près d’un an. Sa femme a du mal à le reconnaitre tant il a maigri : il a perdu vingt kilos depuis son incorporation… Jack part avec Roz.
Le couple sera retrouvé à Richmond, ce qui vaut à Jack un blâme pour désertion sur son dossier militaire… Mais qu’importe !
Et le 20 juillet 1945, Jack est enfin libéré de ses obligations militaires.
Il est promu Première Classe et reçoit la médaille du combattant dans l’Infanterie, le ruban « European Theater » avec l’Étoile de bronze du combattant et une citation du régiment. Son dossier stipule : « a détruit du personnel et de l’équipement ennemi, armé de fusil, mortier, mitraillette, lance-rocket, fusil lance-grenade, grenade à main et baïonnette.
A participé au combat et à des patrouilles de reconnaissance. A réalisé des dessins d’observation pour le Commandement. A installé les équipements automatiques sur le terrain. A utilisé le camouflage et la dissimulation pour se protéger ».
Il prend enfin le train pour New York. Roz l’attend sur le quai de la gare.
Roz est enceinte de Susan, conçue à Camp Butner au cours de leur unique retrouvaille . La petite fille naîtra chez les parents de Roz, le 6 décembre 1945.
Jack revient vivre avec sa femme chez ses beaux-parents, dans l’appartement de Brighton Beach, Brooklyn, où elle était venue habiter après le départ de Jack, pour faire des économies…
Après quelques semaines de repos, il retrouve sa table à dessin (installée commodément dans la chambre à coucher).
Lorsque Joe est libéré à la fin de l’année 1945, les deux familles se retrouvent à New York dans un restaurant, pour fêter le retour des soldats.
D’après Joe, à cette occasion, Jack montre à tous ses peintures anatomiques réalisées lors de son séjour à l’hôpital français et coupe l’appétit de Roz et de toute l’assistance…
La page est enfin tournée pour Jack et Joe : ils vont pouvoir reprendre leur collaboration…
Les collaborateurs de Jack pendant la guerre…
Stan Lee, le jeune directeur des publications Timely, devance l’appel en 1942 et laisse son poste à Vince Fago jusqu’à fin 1945. Il fait ses devoirs militaires dans le New Jersey, où, en tant que sergent, il écrit des scénarios de films de formation militaire.
Joe Simon est également resté aux USA. Il sert dans les Coast Guards. D’abord en tant que cavalier, effectuant pendant un an des patrouilles à cheval sur la plage de Barnegat Island, près d’Atlantic City (NJ).
Son instruction militaire lui est donnée à Baltimore et c’est là qu’il voit l’affiche du serial « Adventures of Captain America » sur le fronton d’un cinéma, ce qui le met fort en colère vis-à-vis de son ex-employeur Timely.
Puis, il est transféré en qualité de dessinateur au sein du Combat Art Corps, basé à Washington DC. Il habite l’ancienne ambassade d’Egypte. Là, il réalise « Adventure is My Career », une BD d’enrôlement distribuée en kiosques en 1945 par l’éditeur de pulps Street & Smith, et « True Comics », un comic strip vantant les mérites des Coast Guards et diffusé à travers tout le pays dans les pages des journaux du dimanche.
C’est à Washington DC que Joe retrouve son ami éditeur et maintenant capitaine, Al Harvey. Les deux hommes échafaudent des plans éditoriaux pour l’après-guerre. En 1945, Joe réalise quelques histoires pour National Periodical depuis le Combat Art Corps.
Il y fait la connaissance de Bill Draut et Ken Reilly qu’il engagera dans le futur studio de S & K.
Joe est libéré après Kirby et Al Harvey, fin 1945… En rentrant à New York, il est invité à la maison d’édition d’Harvey, où celui-ci lui fait une proposition qu’il ne peut refuser : un tarif très intéressant (50 dollars la page), plus un partage des bénéfices à 50% entre l’éditeur et S & K. De quoi faire réfléchir Simon, surtout quand il aperçoit Harriet Feldman, la jolie secrétaire d’Harvey. Les liens avec Harvey se solidifient encore : déjà parrain de son fils cadet, il ne tardera pas à devenir le mari de sa collaboratrice, le 3 juin 1946…
Avec l’aide de Kirby, Joe va rapidement mettre en place deux nouveaux titres pour Harvey (Stuntman et Boy Explorers, sur lesquels nous reviendrons), mais qui ne rencontreront pas le succès escompté. Juste après, Joe contacte le packager Leon Jason, patron du Jason Comic Art Studio, et élabore avec Jack un supplément gratuit intitulé 48 Famous Americans pour J.C. Penney, un client de Jason. Ce fascicule, sorti en 1947, présente les biographies de quelques grandes figures américaines de la 2e guerre mondiale.
Un grand merci à Elisabeth et Alain Gozzo de l’Association Thanks GIs (www.thanksgis.com) pour leur aide historique précieuse et leur générosité.
Cet article est dédié aux 500.000 morts civiles et militaires et plus particulièrement aux 10 489 GIs du plus grand cimetière américain d’Europe à Saint Avold (Lorraine).
Jean DEPELLEY
(1) V-Mails : lettres des soldats microfilmées par les autorités américaines pour gagner de la place sur les cargos transatlantiques.
mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet
Je pensais m’ennuyer en lisant toutes ces parties concernant la vie de Kirby, mais au final j’ai découvert des choses passionnantes qui me permettent de mieux connaitre un des mes dessinateurs préféré. Du bon travail, bravo et continuez !
Eh oui ! Avec une vie pareille, comment peut-il en être autrement ? C’est grâce à ce vécu que Jack a pu devenir l’auteur incontournable et l’être humain formidable que nous connaissons. Merci pour vos commentaires !