Deux ans après la publication remarquée en 2022 du premier opus de « 1629 : l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta » (1), voici la seconde partie : laquelle devrait combler ceux qui se sont passionnés pour ce formidable thriller maritime. Un huis clos éprouvant — inspiré aux auteurs par une histoire vraie déjà adaptée en BD par Jean-Denis Pendanx et Christophe Dabitch (2) — qui renoue avec les grandes séries d’aventures exotiques…
Lire la suite...« Le Chant d’Apollon » par Osamu Tezuka
Aujourd’hui, plus besoin de présenter Osamu Tezuka. Même les plus jeunes le connaissent, s’ils s’intéressent un tant soit peu au manga. Son œuvre, immensément riche, continue d’être publiée, petit à petit, en France ; et c’est une très bonne chose. Loin des grands ouvrages ayant fait la renommée du « Dieu du manga », « Le Chant d’Apollon » fait partie de ces histoires plus adultes, mélangeant réalité et fiction, mais également amour et cruauté.
Avant de devenir Mangaka, Tezuka a fait des études de médecine. C’est sûrement pour cela que les sujets médicaux reviennent régulièrement dans son œuvre. Ici, c’est la psychiatrie qui est évoquée. Shôgo Chikaishi est un jeune homme ayant un gros souci de comportement. Il ne peut s’empêcher de tuer les animaux. Pas n’importe lesquels. Juste ceux en couple, batifolant devant ses yeux. Assez gênant dans la vie de tous les jours… Il a développé une telle haine de l’amour que cela finit par tourner à l’obsession violente. Enfermé en psychiatrie, il se voit infliger une thérapie à base d’électrochoc. Le lecteur va donc suivre ce jeune homme au travers de ses rêves, ou plutôt de ses cauchemars, engendrés par le traitement.
Dès la première séance, on découvre sa mère complètement dépravée. Elle est la cause de son rejet de l’amour : le père de Shôgo étant présentés comme l’un de ses différents amants. Leurs ébats finissent par dégoûter ce gamin rejeté par ces hommes de passage. S’enchaînent alors différentes histoires avec, pour seul lien, une idylle impossible. Shôgo est condamné à vivre l’expérience de l’amour, à différentes époques. Le passé avec la Seconde Guerre mondiale, le futur avec une reine clonée ou, même, le présent, en devenant un sujet d’étude. La seule issue offerte est la mort qui empêche la concrétisation de cette passion. À la lecture de ce manga, on finit par ne plus savoir ce qui relève de la réalité ou de la fiction, tellement toutes les situations semblent liées les unes aux autres.
Le personnage de Shôgo fait le lien entre toutes ces histoires. Au fur et à mesure de ses idylles, il ira jusqu’à ne plus éprouver de répulsion pour ses sentiments envers les femmes. Mais sa guérison n’arrivera finalement jamais. Il est condamné à revivre l’éternel cycle de la vie et de la mort.
Le dernier chapitre explique la légende de Daphné et Apollon. La première étant la muse de ce dieu grec qui donne son non à ce manga. Daphné effrayée par l’empressement d’Apollon se retrouve transformée en laurier, pour l’éternité. Un destin aussi tragique que la mort.
Si, à l’origine, « Le Chant d’Apollon » est une série en trois volumes, sa réédition japonaise, et donc cette version française, est maintenant publié en un seul tome de plus de 500 pages. Un récit dense pour un prix modique. Présenté dans la collection Sensei, le ton est bien plus libre que la plupart des mangas que nous connaissons de Tezuka. La violence est omniprésente, la mort étant le leitmotiv régulant la vie de Shôgo. Bien évidemment, le sexe et les relations charnelles ont une grande place dans la construction du récit. Pourtant, rien n’est explicitement montré : toutes les images sont bien chastes.Tout se passe dans les dialogues qui ne sont en aucun cas vulgaires. Le graphisme, du moins dans le premier chapitre, est un peu plus réaliste que les mangas enfantins de Tezuka. Pourtant, au fil des pages, les visages (de Shôgo et de toutes les femmes) sont de plus en plus dessinés en rondeur. Les derniers chapitres arrivant même à nous rappeler visuellement certains passages d’« Astro le petit robot ». Mais cela correspond également à un apaisement des tensions entre les différents protagonistes. Le visage froid et sévère de Shôgo en début du récit laisse peu à peu place a un être transcendé par l’amour, malgré les turpitudes que la vie lui réserve. On pourra juste regretter le passage abrupt entre les différentes histoires sûrement dû au chapitrage, lors de la prépublication. Bien sûr, Tezuka n’a pas oublié son combat écologique. La nature occupe toujours une grande place alors que les avancées technologiques sont diabolisées car mal utilisées.
En fin de volume, une histoire courte sans aucun rapport avec « Le Chant d’Apollon » est insérée. Récit dans la mouvance de l’époque, la fin des années 60. Sur fond de contestation, un groupe de jeunes défendent leurs idées pacifiquement. Guitare à la main ils chantent leurs mal-être. C’est court, peut-être trop court pour apprécier les différents protagonistes et prendre cause pour leur combat. Néanmoins, cette histoire pleine de fraîcheur tombe à pic, mais la fin, également tragique, nous rappelle que Tezuka a réellement fait plein d’autres choses depuis « Astro ».
Un manga destiné avant tout aux adolescents puisqu’il se pose les mêmes questions qu’eux. Pourquoi la vie ? Comment la perpétuer ? Quels en sont les enjeux ? Ce livre n’y répond pas, mais, au final, offre une certitude sur le besoin de procréer : « Tant que le monde sera monde, l’homme et la femme répéteront inlassablement ce drame infini de la vie… »
Gwenaël JACQUET
« Le Chant d’Apollon » par Osamu Tezuka
Édition Kana (15 €) – ISBN : 9782505011613
APPOLO NO UTA© 1970 Osamu Tezuka
Très belle chronique pour une oeuvre majeure de Tezuka !
Petite question anecdotique : pourquoi les pages de la galerie d’images montrent une encre bleutée, alors que c’est bien une encre noire dans le manga ?
Merci pour les compliments.
Cette chronique, comme beaucoup de chroniques manga anciennes sur BDzoom.com ont des images virées au bleu censé rappeler la charte graphique du site. Ce procédé déstabilisant les lecteurs et déplaisant aux Japonais a été depuis abandonné.
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