Avec « Le Tombeau des chasseurs », le talentueux Victor Lepointe évoque la tragédie collective d’une bataille vosgienne en 1915 et, plus encore — par le regard de l’un d’eux, Victor Granet —, scrute l’intimité des sentiments de ces chasseurs alpins sacrifiés. Plongée dans la si mal nommée Der des ders…
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 2 MARS 2009
Notre sélection de la semaine : ? Jolies ténèbres ? par Kerascoët et Fabien Vehlmann, ? Dans mes yeux ? par Bastien Vivès, et ? Les Aigles décapitées T.21 : La Main du prophète ? par Michel Pierret.
? Jolies ténèbres ? par Kerascoët et Fabien Vehlmann – Editions Dupuis (15,50 Euros)
Fabien Vehlmann est certainement l’un de nos plus intéressants scénaristes actuels, réussissant, entre autres, à passer, sans ambages, de la série mainsteam pour tout public (« Seuls », « Le Marquis d’Anaon », la reprise de « Spirou & Fantasio »…) aux tentatives narratives les plus décalées (« Samedi et Dimanche », « Wondertown », « Les 5 conteurs de Bagdad »…) ! Ici, nous sommes plutôt dans la deuxième catégorie, le dessin simple, frais et joyeux, du couple qui signe Kerascoët en rajoutant une couche qui va clairement dans ce sens… Quoiqu’il en soit, l’alchimie entre ce trait clair et apparemment inoffensif obtenu par les talents conjugués de Sébastien Cosset et de Marie Pommepuy (cette dernière est également à la base de cette idée de conte de fées d’une rare cruauté) et la « mise en bulles » efficace de notre professionnel de l’écriture résulte sur une formidable fable noire où les pires penchants de l’être humain sont disséqués. Cela commence pourtant comme une gentille histoire pour enfants sages où une naïve jeune fille reçoit un beau prince pour le goûter… Mais très vite, ce côté empreint de joliesse et de merveilleux disparaît pour laisser place à l’horreur et à une perversité extrême, dès que le lecteur repère le corps sans vie d’une fillette gisant dans la forêt, son cartable béant à côté d’elle. Il en émerge une communauté de rescapés miniatures qui s’organise pour survivre dans ce monde hostile, tout en gravitant autour du cadavre bientôt en putréfaction… Même si les auteurs n’expliquent rien, ils parviennent néanmoins à nous faire ressentir une gigantesque palette de sentiments : les véritables natures et les penchants les plus noirs de leurs petits personnages se révélant au grand jour dans les moments les plus difficiles : édifiant !
? Dans mes yeux ? par Bastien Vivès – Editions KSTR (16 Euros)
Décidément, le jeune créateur qu’est Bastien Vivès, à peine 25 ans et déjà reconnu comme tel par la critique et pas ses pairs (entre autre grâce à son remarquable « Goût du chlore » paru également chez KSTR l’an passé), aime les histoires où tout repose sur l’ambiance. Ici, il nous propose à nouveau une histoire d’amour mais ajoute une touche d’originalité à son propos puisqu’il analyse la nature d’une rencontre et le pourquoi d’un attachement à quelqu’un. Ce livre, qui désacralise toutes formes de sexualité, reste donc dans le domaine d’un sensitif déjà exploré par ses œuvres précédentes ; même si, au final, le ton y est quand même un peu plus cynique ! Cependant, la nouveauté vient surtout des techniques utilisées : au niveau narratif on ne voit jamais l’autre (seule la fille est toujours en plan fixe et en caméra subjective) et, côté dessin, l’utilisation systématique du crayon de couleurs permet une remise en question du trait qui lui donne un aspect assez flou approprié au contexte. Ceci dit, si l’ouvrage nous fait passer un très bon moment de lecture, il se lit très (trop ?) vite ! Il serait bon, maintenant qu’il nous a prouvé son talent et son inventivité, autant sur le plan scénaristique que graphique, que Bastien Vivès passe à autre chose pour confirmer qu’il est bien « la » révélation de ces dernières années !
? Les Aigles décapitées T.21 : La Main du prophète ? par Michel Pierret – Editions Glénat (9,40 Euros)
Cette populaire série historique, où se sont succédés pas moins de cinq auteurs dessinant et scénarisant à tour de rôle, n’a jamais démérité : elle a toujours été égale à elle-même ; tant du point de vue scénario (l’ambiance feuilletonesque créée par Patrice Pellerin a parfaitement été réutilisée par Jean-Charles Kraehn, poursuivie avec respect par Erik Arnoux secondé par Sophie Fougère, et relancée par Michel Pierret) que du dessin (le trait de Jean-Charles Kraehn ayant évolué progressivement vers une ligne « claire » qui a l’air de convenir tout à fait au dessinateur Michel Pierret, lequel a repris, depuis le 19ème tome, les rênes de la création, assurant désormais toutes les tâches)… Le héros principal de cet efficace récit médiéval, Hugues de Crozenc, poursuit toujours son présomptueux fils Sigwald qui s’est lancé aux trousses d’Al Mansour pour que ce dernier paie pour ses ignominies. En cette fin de l’hiver 1262, retardé par les intempéries, le seigneur du domaine de Crozenc se voit contraint de se réfugier chez une « hospitalière » hôtesse. Elle lui apprend que la seule route de communication des environs est bloquée par les armées du roi qui assiègent le château de Noirlac tombé aux mains d’un renégat. Et, bien entendu, son infortuné rejeton s’est retrouvé mêlé à ce conflit qui ne le concerne pas… Marchant allégrement dans les pas de la technique narrative de ses prédécesseurs, sans nous décevoir, Michel Pierret nous prouve que les séries historiques en bandes dessinées ne sont pas moribondes et qu’elles peuvent encore passionner un grand nombre de lecteurs, nous proposant des rebondissements inattendus qui devraient même réveiller l’intérêt de ceux qui ont laissé en route cette grande saga moyenâgeuse !
Gilles RATIER