La poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) est manifestement intrigante. Elle n’a été reconnue comme écrivaine qu’après sa mort, sa sœur découvrant alors 1 775 poèmes qu’elle avait écrits. Cette femme de bonne famille, solitaire, indépendante, insoumise et passionnée par les mots l’était aussi par les plantes et le monde sensible qui l’entourait, comme le montre joliment « Le Jardin d’Emily » de Lydia Corry.
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Alors que sa première bande dessinée vient d’être rééditée, retour sur les traces du créateur de « Percevan », qui se prépare à publier deux albums de son héros tout en travaillant sur « La mare aux nymphes » qu’il réalise avec Corbeyran.
La semaine dernière, en vous rappelant une anecdote concernant Gilles Chaillet, j’évoquais une facette peu connue de Claude Moliterni : celle qui consistait à aider ses amis dessinateurs, surtout quand ils étaient débutants. Et bien d’autres auteurs bénéficièrent du soutien de Claude, comme peuvent en témoigner les nombreux messages d’amitié que nous avons reçus (ceux de Régis Loisel, Michel Blanc-Dumont, Vink, Michel Rodrigue et bien d’autres). Ce fut aussi le cas pour Philippe Luguy ( 1 ), le dessinateur de « Percevan » : l’une des premières séries médiévales et fantaisistes, créée dans l’éphémère revue Gomme des éditions Glénat, en 1981, sur des scénarios de Jean Léturgie (secondé par Xavier Fauche pour certains épisodes).
Preuve en est ce courriel que Philippe nous a envoyé : « Je viens d’apprendre le décès de Claude Moliterni. Je suis bouleversé par cette nouvelle car je l’ai très bien connu, dès 1966, époque où je voulais devenir dessinateur de bandes dessinées après une expérience dans le dessin animé à l’atelier de Paul Grimault. J’allais le voir très souvent à son domicile rue des Boulangers, où il habitait. Il m’a donné un coup de pouce en publiant l’une de mes pages dans le n°7 de Phénix, en 1968, lors d’un banc d’essai pour quatre jeunes dessinateurs (dont Claude Auclair qui fut aussi un ami) ; puis, par la suite (entre 1980 et 1981), j’ai eu l’occasion de travailler avec lui, au sein du studio Five Stars (en compagnie de Pierre Le Guen, Christian Gaty, René Deynis et Max Lenvers) pour réaliser l’adaptation d’« Albator », le corsaire de l’espace créé par Leiji Matsumoto (2). C’était un homme de grande fidélité, de gentillesse et de parole ; grâce à son obstination, la bande dessinée a pu émerger du cloaque dans lequel elle était plongée et de cette réputation de lecture pour demeurés qui lui collait à la peau. Je me souviens, non sans nostalgie, des réunions et des rencontres qu’il organisait entre les auteurs professionnels, les débutants et les amateurs que nous étions, rue de Rivoli à Paris. Bref, raconter Claude serait tellement long qu’il faudrait de nombreuses heures. C’est une très triste nouvelle. Je lui dirai simplement pour finir, merci pour tout ! Claude, j’ai été heureux de te côtoyer, cela a été une grande chance. »
Cette émouvante missive tombe à point nommé car Philippe Luguy est l’un des auteurs d’une nouvelle maison d’édition basée en Normandie (Vagabondages : 15 rue d’Asnelle, 14400 Ryes, www.editions-vagabondages.fr), laquelle réédite son premier album : une charmante fantasy juvénile intitulée « Karolyn : le château des mille diamants » qui bénéficie, pour l’occasion, d’un sérieux lifting (nouvelle couverture, lettrage, couleurs etc.). C’était en 1977, aux éditions Garnier, et le héros s’appelait alors « Cyril » : il fut rebaptisé « Karolyn » lors de sa première réédition aux éditions Dargaud (en 1989) ; une deuxième aventure inédite (réalisée en 1978), parut également l’année suivante.
S’en suivit une longue carrière qui mérite d’être mise en avant car Philippe Luguy a influencé de nombreux autres dessinateurs ou scénaristes ( 3 ), privilégiant toujours une bande dessinée grand public qui s’adresse, en priorité, aux plus jeunes, d’où son style plutôt semi-humoristique : « Je me suis dirigé vers le dessin humoristique par goût. Cela me rapprochait du dessin animé. Par ailleurs, j’avais envie de rêver : je ne trouvais pas mon compte dans le réalisme et le dessin humoristique me paraissait plus facile… J’avais tort !!! » ( 4 ).
Dès 1969, après sa première publication dans Phénix, Philippe Luguy réalise de nombreuses illustrations pour des jeux et des gags publiés dans Cols bleus, la revue de la Marine Nationale, puis, entre 1970 et 1974, pour des petits formats comme Frimousse, Frimoussette, Princesse (édités par Marijac), Akim, Lancelot (aux éditions Aventures & voyages), Kiwi (aux éditions Lug), Tarzan, Pepito ou Bugs Bunny (à la Sagédition). En effet, cet autodidacte du dessin, n’a pas acquis sa maîtrise actuelle en un seul jour : seulement après de nombreuses années de pratique, de perfectionnements et de projets inaboutis (parmi eux, on peut citer « Trognon au pays des rêves » en 1969, « Argaria, l’homme des temps perdus » en 1970, « Yoêl de Bergerêve », sur un scénario de Patrick Cothias, en 1977…)
Cependant, ses véritables débuts professionnels, il les réalise dans quelques revues de l’époque qui acceptent, finalement, ses premières bandes dessinées : telles Amis-Coop (« Léopold le Hamster », en 1970), Pieds Nickelés Magazine (avec « Syril », quelques aventures d’un chevalier préfigurant « Percevan » publiées en 1972), Bibi Fricotin Magazine (avec « Coquelicot », encore un insecte, créé en 1973), Noir et blanc, Formule 1 (avec des jeux intitulés « Les Contes du père François ») ou Fripounet ( 5 ) où il crée une première version de « Sylvio le grillon » scénarisée par un certain Jérina (qui n’était autre que l’un des pseudonymes de Jean-Marie Nadaud).
C’est surtout la deuxième vie de ce sympathique insecte qui le propulse sous les feux de la rampe puisque, de 1974 à 1982, il anime, presque sans interruption, les amusantes aventures de « Sylvio le grillon » (dont Cléo l’abeille est amoureuse) et de Jack le cafard (qui ne supporte pas les gens heureux) dans Pif Gadget, sur des scénarios de Philippe Luguy, de Gilbert Lions puis de Patrick Cothias. Certains épisodes seront repris tardivement en un album chez MC Productions (qui deviendront les éditions Soleil), en 1988 ; heureusement, l’édition des albums se poursuit, dans un premier temps, chez Bernard Grange (à partir de 2004), puis prochainement chez Jos (où on nous promet des inédits).
Après « Karolyn », « Albator », l’illustration d’un roman, des planches et des strips publicitaires pour Malabar (entre autres) et de nombreuses illustrations pour des émissions de la télévision française (« L’Aventure des plantes », « Espace Fabbri », « Les Tibères »…), Philippe Luguy obtient enfin un succès mérité avec « Percevan » ( 6 ) dont douze albums sont déjà disponibles (les trois premiers sont publiés chez Glénat, à partir de 1982, et la suite chez Dargaud, depuis 1985) ( 7 ) : alors que les lecteurs fidèles attendent impatiemment le prochain ! Qu’ils ne s’inquiètent pas, il y en a deux qui sont programmés d’un seul coup, rien que pour cette année ! Vous pouvez d’ailleurs découvrir une de ces planches inédites et un crayonné ci-dessous.
Et ce n’est pas tout puisque, pour 2009, Philippe Luguy nous annonce la suite de l’édition de « Sylvio » (ce sera le cinquième album publié chez Jos, en mars), le 2ème album des légendes de « Gildwin » (série fantastico-médiévale créée en 2008 chez Jos) assorti d’un tirage de luxe identique, dans la présentation, à celui sorti pour le premier album, un « Art Book » chez Akileos, la réédition du deuxième album de « Karolyn », un calendrier, l’adaptation en 3D de « Sylvio », une nouvelle série pour enfants en tant que scénariste (« Cabestan » : des gags dessinés par Antoine Lecocq, son coloriste)…, sans parler de « La Mare aux nymphes » (un « one-shot » de 62 pages en couleurs directes écrites par Corbeyran sur lequel Philippe travaille depuis 2007, prévu aux éditions Dargaud et dont nous vous proposons également une planche à découvrir ci dessous). PFFFFFFFFFF, n’en jetez plus ! Et dire qu’ils y en avaient qui croyaient que Philippe Luguy (qui n’est pourtant pas si vieux que ça) avait pris une retraite anticipée !
Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes
(1) Pour en savoir plus sur Philippe Luguy (né en 1948), n’hésitez pas à consulter le site http://www.luguy.com dont provient une grande partie des illustrations reprises dans cet article.
(2) Cette bande dessinée mettant en scène un héros de nombreux dessins animés japonais, qui étaient alors diffusés à la télévision, était la vedette du Journal de Cap’tain Fulgur édité par Dargaud et fut compilée en neuf albums (toujours chez Dargaud, entre 1980 et 1981).
(3) On peut citer, par exemple, les noms d’Allan Toriel et de Sylvérik, que Philippe Luguy a mis en rapport, et qui viennent de sortir leur premier album aux éditions Vagabondages : « Tourville chevalier du Levant », avec une mise en couleurs du propre fils de Philippe : Cyril Liéron). Le scénariste Allan Toriel travaille aussi avec Philippe au scénario de « Gildwin » et avec Bernard Capo (encore une rencontre faite par l’entremise du dessinateur de « Percevan ») pour un album qui va sortir prochainement chez Jos.
(4) Déclaration faite à au fanzine Tout bulle or not to bulle, dont le n°2 (hiver 1996) est en grande partie consacré à Philippe Luguy.
(5) Quelques gags inédits furent aussi publiés dans le fanzine Submarine qui l’interviewa, en 1976 ; tout comme le firent, par la suite, Haga (n°41) et Schtroumpf fanzine (n°36), en 1979.
(6) En fait, la série continue de très bien marcher (malgré sa relative rareté sur le marché) et elle est même traduite aux Etats-Unis !
(7) On peut citer également quelques autres travaux moins importants en pagination, qui continuent pourtant à lui prendre beaucoup de temps, comme les « Tranches d’Histoire » dans Circus (scénarios de Jean Léturgie et Xavier Fauche, en 1982), les personnages de « Filergie » (créé, en 1989, pour un guide technique d’une filiale du Groupe Pirelli) et de « Petra et Bob » (une planche, en 1998, pour fêter l’anniversaire de Buro Line, fabricant et distributeur de matériel de bureau en Suisse), de nombreux portfolios, cartes postales et affiches, ainsi que des participations à divers collectifs caritatifs dont « Ex-Yougoslavie : pour un monde meilleur » (six planches aux éditions Agorma, en 1993).