« Pacifique » par Martin Trystram et Romain Baudy

Paru depuis février 2013, « Pacifique » nous entraine dans les eaux toujours (é)mouvantes et plus ou moins silencieuses du Second conflit mondial, à bord d’un U-boot. Réalisé à quatre mains par son équipage d’auteurs (Martin Trystram et Romain Baudy), l’album se présente sous une couverture particulièrement intrigante : voici venir en effet au travers d’un flot de livres déchainé la silhouette filiforme du terrible sous-marin. Plongeons donc, de manière romanesque et fantastique, à vingt mille lieues sous les mers !

L’histoire de « Pacifique » est celle d’Udo, un jeune soldat allemand de la Kriegsmarine qui s’apprête à prendre son poste à bord d’un U-Boot. L’aventure, guerrière, a pour cadre paradoxal l’Océan Pacifique, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le gamin a dans ses bagages un livre subversif dont il ne peut justifier la provenance et dont les idées semblent fasciner jusqu’à la folie chacun des membres de l’équipage qui en commence la lecture. Le livre possède aussi l’étrange faculté d’apparaitre mystérieusement à plusieurs endroits, même quand on pense s’en être définitivement débarrassé. Lorsque le strict capitaine veut faire disparaître l’objet du délit, la révolte gronde…

Première version de la planche 3

Illustration originale pour les 2ème et 3ème de couverture

Avec cette trame, on devinera en « Pacifique » un récit jouant à fond des contrastes : huis-clos maritime confronté au vaste océan, littérature contre aliénation fascisante de l’individu, individualisme opposé à l’esprit de groupe, autoritarisme et liberté, mécanique guerrière contre humanité. En couverture, le titre semble également polysémique : tour à tour cadrage historique et géographique (dans le même contexte, songeons au titre de la série « The Pacific », produite par HBO, Steven Spielberg et Tom Hanks en 2010), indication thématique et renvoi à tout un pan de la littérature mondiale (l’ensemble des romans « d’aventures maritimes »), le mot, perdu dans un océan de livres (tous identiques et eux-mêmes dénués de titres) sur-indique de manière essentielle isolement du sous-marin. Ce dernier est offert dans une situation difficile et étrange, quelque part entre « La Grande Vague de Kanagawa » peinte par Hokusei (1831) et la représentation cinématographique du genre (de « Das Boot » par Wolfgang Petersen en 1981 à « U-571 » par Jonathan Mostow en 2000).

Affiche pour "U-571" par J. Mostow (2000)

Recherche graphique pour une case de la p.42

Le cadrage à l’italienne de l’album permet de jouer sur l’oppression ressentie par le lecteur lorsque la caméra se déplace à l’intérieur du sous marin. Dans le dossier graphique final, où figurent quelques recherches de couvertures, les auteurs expliquent : « Le format horizontal s’est imposé pour faire corps aux proportions allongée d’un U-boot, il y a ainsi une correspondance de formes. Le plafond bas de la page renforce le coté enfermé et permet, par contraste, de tirer les horizons plus larges lors des scènes extérieures. ».

Comme on le voit sur la couverture, le choix de la couleur est également déterminant d’une double ambiance : l’éclair orageux (et propice au genre Fantastique…) qui parcourt le titre confère à la scène son énergie et sa tension vigilante. Dans l’album, l’ambiance de ce récit guerrier et philosophique sera d’abord très sombre, oscillant entre le rouge, l’orange et le noir, pour gagner en luminosité au fil du récit.

Recherche d'ambiance chromatique

Les premières recherches de couvertures des auteurs illustraient une approche plus conventionnelle : sous-marin en chasse sous les flots noirs et bleutés, environné de poisson et de coraux, ou monstration d’un temps de pause de l’équipage, occupé à discuter – et à lire ! – en surface sous un ciel étoilé. La couverture finale est aussi surprenante que le concept : sans y voir strictement la mise en abyme du parcours compliqué d’un nouvel album de bande dessinée, occupé à se frayer son propre chemin parmi une marée envahissante d’ouvrages plus ou moins « anonymes », on pourra y détecter la volonté pour les auteurs de cerner habilement leur propos. La Seconde Guerre mondiale sans violence, croix gammée ni visages humains, mais cet éternel appel mémoriel qui se doit, art et histoire obligent, à plonger et replonger dans le(s) livre(s).

Point de barrage contre ce « Pacifique » !

4ème de couverture

Philippe TOMBLAINE


« Pacifique » par Martin Trystram et Romain Baudy

Éditions Casterman (15,00 €) – ISBN : 978-2203032712

Galerie

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