Buck Danny, Jerry Tumbler et Sonny Tuckson forment un trio inséparable depuis bientôt 80 ans. Après que la plume de Yann nous a fait découvrir les débuts du jeune Buck Danny, c’est au tour de Frédéric Zumbiehl et Patrice Buendia de nous évoquer les jeunes années de Sonny Tuckson. Une histoire pleine d’émotion, non dénuée d’humour et au délicieux parfum fleurant les années 1950, illustrée par le crayon respectueux de l’Italien Giuseppe De Luca. Nostalgie, quand tu nous tiens !
Lire la suite...« Bernard Prince » : la genèse…
Alors qu’après 33 ans d’infidélité la série « Bernard Prince » va être reprise par son créateur graphique (1), l’immense Hermann, les éditions du Lombard proposent, dès aujourd’hui, le premier volume de l’intégrale des aventures de cet ancien agent d’Interpol recyclé dans la marine marchande : il devint ainsi un baroudeur parcourant la planète, de Manhattan à l’Afrique du Nord, en passant par la Chine et l’Amérique du Sud, aux côtés de ses amis le bougon Barney et l’espiègle Djinn ; ceci afin de défendre la veuve et l’orphelin et faire les beaux jours du journal Tintin, de 1966 à 1992. (2)
Et dans les six longues premières histoires et le court récit (3) présentés ici, on retrouve déjà toute la verve des dialogues de Greg et l’expressivité du trait d’Hermann (pourtant encore très influencé par Jijé ou par Jean Giraud).
Curieusement, l’éditeur n’a pas opté pour une stricte édition chronologique, puisque les sept courtes histoires (4) qui les ont précédées (toutes parus en 1966) ne sont pas incluses dans cet ouvrage assorti, cependant, d’un petit dossier bien illustré que nous allons essayer de compléter avec cet article. Le Lombard prévoit certainement de compiler ces petits récits dans l’ultime tome de l’intégrale « Bernard Prince » dessinée par Hermann, avec les autres histoires complètes plus récentes mettant en scène ce personnage ; comme cela avait déjà été fait lors de l’édition, en 1980, de l’album « Bernard Prince d’hier et d’aujourd’hui »(5)…
« Bernard Prince » est donc la première collaboration, effectivement publiée, entre Hermann et Greg (leur autre grande série étant le western « Comanche », publiée de 1969 à 1982 dans Tintin) ; mais il faut savoir que, même si ces deux monstres sacrés ne se connaissaient que depuis seulement un an, Greg avait déjà proposé quelques autres travaux à Hermann… Ceci dans le cadre de son studio que l’apprenti dessinateur venait d’intégrer, pour un essai de six mois, juste après être rentré du Canada où il avait émigré et travaillé, en tant qu’ensemblier d’intérieur, pour une société d’installation de fast-food.
En fait, c’est suite à la publication de « Histoire en …able » dans Plein-Feu (21 pages dessinées sur scénario du beau-frère d’Hermann, Philippe Vandooren, qui était le rédacteur en chef de cette revue scoute belge, bien avant de devenir responsable éditorial chez Dupuis) que Greg s’empresse de convoquer son futur poulain pour le convaincre de venir se perfectionner au sein de son studio qui comprenait déjà Dany, Dupa et Jean-Marie Brouyère.
Dans un premier temps, surtout pour l’obliger à dessiner les voitures de luxe et les personnes en smoking, ce dont il avait horreur, Greg lui écrit un premier scénario qui devait s’appeler « Valéry Valériane, détective mondain » : une histoire concoctée dans le style « Chapeau melon et bottes de cuir » et destinée à Pilote. Hermann en dessine cinq ou six pages, sur les 30 que comportait le scénario d’origine, mais René Goscinny, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire qui ne s’amusait pourtant pas encore à réfléchir, les refuse…
Notre dessinateur continue toutefois sa formation auprès de Greg devenu, entre-temps, rédacteur en chef à Tintin… Et, parallèlement à la réalisation de quelques histoires « authentiques » qui seront publiées dans Tintin (6) (scénarios d’Yves Duval, de Pierre Step ou de Jean-Claude Pasquiez (7)), le dessinateur d’« Achille Talon », qui n’est guère en manque de projets en attente d’être exploités ou remaniés, lui confie l’illustration des premières enquêtes de « Bernard Prince ».
Pour créer « Bernard Prince », Greg va se rappeler de « Bob Francval » : l’une de ses anciennes créations pour IMA, l’Ami des Jeunes, mensuel (puis bimensuel) lancé avec un système de bons-primes. Dessiné par Louis Haché (principalement peintre et illustrateur, sa carrière en BD est moins fournie, puisqu’on le retrouve seulement sur quelques pages didactiques dans Tintin et sur « L’Aventure des Belges » : une ambitieuse histoire chronologique de la Belgique publiée aux éditions bruxelloises De Visscher, en 1957), ce héros ne vécut, pendant l’année 1958, que le temps d’un épisode de 30 pages (« Terreur sur le Pacifique », du n° 115 au 126), d’un récit complet de quatre planches au n° 139 (« Opération jeunes mariés » : titre et scénario qui seront repris pour l’une des premières histoires courtes de « Bernard Prince ») et d’une histoire inachevée de huit pages (« Danger à vendre » du n° 153 au 156).
Bob Francval se révélant être, lui aussi, un inspecteur d’Interpol aidé par un jeune Hindou qu’il aurait recueilli et qui est également nommé Djinn (8), on y retrouve donc tous les ingrédients des premières aventures de Bernard Prince : créées pour boucher un trou, ces dernières vont rapidement se placer en tête du référendum, dans la catégorie « Histoires courtes » !
Seulement voilà, comme il existait déjà un autre enquêteur dans le journal (Ric Hochet), son créateur graphique (Tibet) s’en insurge et, très vite, les responsables du Lombard vont juger qu’il n’est pas opportun d’avoir deux séries policières dans Tintin. Greg va donc improviser et faire évoluer ses personnages dans un autre registre. Comme Hermann a repéré une embarcation originale à Nieuport (sur la côte belge) et qu’il l’a prise en photos sous toutes les coutures, il va en faire hériter Bernard Prince qui, en conséquence, en profite pour prendre sa retraite très jeune dans le court épisode « L’Évasion du Cormoran » ; et pourtant, même s’il avait déjà des cheveux blancs, il n’était si vieux que ça !
Comme un marin de métier était nécessaire pour mettre le cap sur des intrigues plus exotiques, Greg rajoute le fidèle loup de mer braillard qu’est Barney Jordan pour que le trio (qui rappelle celui créé par Sirius dans « L’Épervier bleu ») puisse parcourir les mers du monde et vivre bon nombre de péripéties palpitantes. Par ailleurs, à la demande d’Hermann qui va faire bonifier, sur cette série, son style aussi dynamique qu’inimitable (9), la nature tonitruante et les éléments déchaînés prennent aussi une place de plus en plus importante…
Hélas, malgré l’impeccable technique narrative de Greg qui va, pourtant, multiplier les scènes d’action, Hermann commence à s’ennuyer : ayant l’impression de connaître à l’avance le dénouement des histoires, il ressent de plus en plus le besoin de passer à autre chose…
Quoi qu’il en soit, « Bernard Prince », qui est aussi l’une des premières démonstrations de la nouvelle politique de Greg en tant que rédacteur en chef de Tintin (voir : bdzoom/4139 ) (10), reste un grand classique de la bande dessinée d’aventures qu’il faut (re)découvrir de toute urgence !
Et pour saluer comme il se doit cette excellente initiative, en plus de ce « Coin du patrimoine », nous vous proposons une interview d’Hermann, réalisée par Jean-Michel Lemaire, qui fut publiée dans le n°17 (d’octobre 2008) de la revue On a marché sur la bulle, numéro complètement épuisé aujourd’hui : bdzoom.com/4212 !
GILLES RATIER
(1) Cette dix-huitième aventure, « Menace sur le fleuve », est annoncée pour le mois de juillet prochain au Lombard et bénéficiera de l’aide scénaristique de son fils : Yves H. On peut déjà en voir quelques extraits sur le site officiel de l’auteur : http://www.hermannhuppen.com.
(2) L’équivalent de 13 albums a été dessiné par Hermann (de 1966 à 1978), de deux par Dany (de 1978 à 1985) et de deux autres par Édouard Aidans (de 1991 à 1993, mais avec une parution tardive en 1992 et en 1999).
(3) Ce tome 1 de l’intégrale reprend les titres suivants, tous parus dans Tintin : « Les Pirates de Lokanga » (23 planches parues du n° 952 au 962 français et du n° 3 au 13 de 1967 en Belgique), « Le Général Satan » (22 planches parues du n° 965 au n° 975 français et du n° 16 au 26 de 1967 en Belgique), « Tonnerre sur Coronado » (44 planches parues du n° 979 au n° 1000 français et du n° 30 au 51 de 1967 en Belgique), « La Frontière de l’enfer » (44 planches parues du n° 1016 au n° 1035 français et du n° 15 au 35 de 1968 en Belgique), « Aventure à Manhattan » (37 planches parues du n° 1044 français ou 44 belge de 1968 au n° 1059 français ou 6 belge de 1969), « La Passagère » (huit planches parues au n° 1131 français ou 26 belge de 1970) et le formidable « L’Oasis en flammes » (44 planches parues du n° 1069 au n° 1090 français et du n° 16 au 37 de 1969 en Belgique).
(4) Il s’agit de « Billet surprise » (quatre planches parues en Belgique dans le n° 1 du 3 janvier 1966 et, en France, dans le n° 904 du 17 février 1966), « Simple routine » (quatre planches parues dans le n° 3 belge et le n° 933 français), « Opération « jeunes mariés » » (quatre planches parues dans le n° 10 belge et n° 913 français), « Spécialité maison » (quatre planches parues dans le n° 13 belge et le n° 949 français) « Le Troisième Témoin » (quatre planches parues dans le n° 17 belge et n° 920 français), « Une lanterne pour un petit poucet » (six planches parues dans le n° 27 belge et n° 930 français, sur scénario de Cheradic, alias d’un certain Bernard Richard) et « L’Évasion du Cormoran » (six planches parues dans le n° 33 belge et n° 939 français).
(5) Cependant, « Bernard Prince d’hier et d’aujourd’hui » ne contenait pas l’épisode « Le Soleil rouge » (14 pages en petit format d’une aventure de Barney Jordan scénarisée par Hermann qui parut dans le n° 4 de Tintin sélection en août 1969) ni le roman « Mabuhay, Mister Prince !... » de Jacques Acar : illustré par sept superbes dessins en noir et blanc d’Hermann, il fut publié également dans Tintin sélection, mais dans le n° 23 de 1974.
(6) En fait, sur scénarios d’Octave Joly, Hermann s’était déjà essayé au genre en ayant dessiné trois « Belles Histoires de l’Oncle Paul » dans Spirou : « Une flamande dragon du roi soleil » au n° 1299 du 7 mars 1963, « Le Soupir du Maure » au n° 1327 du 19 septembre 1963 et « Livreuse d’avions » au n° 1397 du 21 janvier 1965.
(7) Les récits complets de quatre à six planches intitulés « Crazy Horse », « Opération « chair à requins » », « La Guerre du comté de Lincoln », « 6,000 mètres en chute libre », « Sitting Bull », « Alerte aux pirates ! », « Les Dalton », « La Fin d’un pirate », « Sauvé par une coquille » et « Georges Madon le « mordu » » ont été publiés, respectivement dans les n° 918, 925, 931, 935 et 941de 1966, dans les n° 950 et 963 de 1967, dans les n° 1067 et 1073 de 1969 et dans le n° 1148 de 1970. Ils ont été repris, avec « La Première Chance de Louis Armstrong » et « Hermann Geiger le samaritain des montagnes » (parus uniquement dans la version belge de Tintin, aux n° 36 de 1966 et au n° 1 de 1967), dans les albums « Les Dalton » et « Alerte aux pirates ! » chez Bédescope, en 1980… Ceux écrits par Yves Duval (voir bdzoom.com /3879) ont également été compilés dans l’album « Les Meilleurs Récits de… » n° 17, en 2004, aux éditions Hibou.
(8) D’après Greg (dans « Michel Greg : dialogues sans bulles » de Benoît Mouchart, chez Dargaud en 1999), Djinn est un hommage au personnage de Sheba qui apparaissait dans la série « L’Épervier bleu » de son ami Sirius (voir le « Coin du patrimoine » qui lui a été consacré) : un petit Hindou qui accompagnait chacune des aventures du héros, dans Spirou.
(9) Outre sur « Bernard Prince », Hermann peaufine aussi son trait réaliste, toujours dans Tintin, avec les débuts de la série antique « Jugurtha » entre 1967 et 1970 (13 épisodes réunis en deux albums, scénarisés par Jean-Luc Vernal qui signait alors Laymilie, aux éditions du Lombard)
et sur diverses illustrations : dont celles des westerns romancés de Pierre Pelot qui avaient Dylan Stark pour protagoniste (« Deux hommes sont venus » du n° 1010 au n° 1022 de 1968, « L’Homme des monts déchirés » du n° 1095 au n° 1107 de 1969 et « L’Erreur » du n° 1173 au n° 1179 de 1970) ou celles de quelques nouvelles signées Jacques Acar (« Trevor » au n° 1047 de 1968), Pierre Step (« Le Fils du facteur Chabot », « Ouvre l’œil, Billy », « Ce matin–là… à Pearl Harbor » aux n° 1062, 1068 et 1079 de 1969), Yves Duval (« La Mission du capitaine Dubreuil », « Un chaland qui passe » et « La Prodigieuse aventure du baron von Pumpernickell » aux n° 1063, 1094 de 1969 et 1108 de 1970 ou encore « L’Impromptu de maître Jehan Corbin » uniquement publié dans la version belge au n° 39 de 1969) et Greg (« Le Père–la–soupe » et « Balak » aux n° 1075 de 1969 et 1151 de 1970).
(10) Après avoir écoulé les fonds de tiroirs, Greg marque officiellement son empreinte en tant que rédacteur en chef lors de l’opération « Coup de canon » du troisième numéro de janvier 1967 (le n° 952 en France) : à partir de là, il va imposer un ton plus moderne (plus d’actions et de personnages féminins) et un juste équilibre entre les nouvelles créations (« Bernard Prince » avec Hermann, « Constant Souci » avec Vicq, « Bruno Brazil » avec William Vance, « Luc Orient » avec Eddy Paape, puis « Olivier Rameau » avec Dany, ou « Martin Milan » de Christian Godard et « Cubitus » de Dupa), réalisées le plus souvent avec ses disciples ou avec ceux reconnus comme tels, et les valeurs sûres comme « Michel Vaillant », « Corentin », « Ric Hochet », « Alix », « Chevalier Ardent », « Dan Cooper », « Taka Takata », « Tounga », « Chlorophylle »…
Passionnant ! Hermann est un géant.
Arnaud de la Croix
Je confirme l’appréciation précédente. Seuls les papys qui décernent les Grands Prix d’Angoulême semblent encore l’ignorer.
Bonjour, je souhaiterais juste préciser au sujet des « Belles histoires de l’Oncle Paul », Hermann n’a réalisé qu’une seule histoire, « Livreuse d’avions ».
Les récits « Une flamande dragon du roi Soleil » et « Le Soupir du Maure » de 1963 ne sont pas dessinées par Hermann, mais elles sont signées par Herman F.J., dessinateur du Studio Vandersteen.
Cordialement.
Bonjour et merci pour cette précision importante ! En effet, dans toutes les bibliographies d’Hermann, il est fait mention de ces histoires : une fois de plus, on aurait dû vérifier pièce en mains, au lieu de faire confiance à nos prédécesseurs bibliographes !
Bonne journée !
Gilles Ratier
quel dommage de ne pas avoir complete cette integrale par les albums dessinés par Dany et Aidans !
« “Le Soleil rouge” (14 pages en petit format d’une aventure de Barney Jordan scénarisée par Hermann qui parût dans le n°4 de Tintin Sélection en août 1969) »
>> qui parut
(pas d’accent circonflexe, c’est le passé simple de l’indicatif).
Superbe article.
Merci, Clotaire, pour votre lecture attentive : c’est corrigé !
Bien cordialement,
la rédaction