C’est avec tristesse que nous apprenons le décès, emporté par la maladie à l’âge de 73 ans, de Daniel Ceppi, le 4 novembre 2024. Son personnage de Stéphane Clément — omniprésent tout au long de sa carrière — illustre parfaitement le goût pour les voyages exotiques de cet enfant des années baba cool, demeuré fidèle à ses convictions. Pionnier d’une certaine forme de la bande dessinée reportage, Daniel Ceppi laisse une œuvre originale et riche :témoignage précieux des grandes heures de la « nouvelle bande dessinée » des années 1970.
Lire la suite...« Astérix T35 : Astérix chez les Pictes » par Didier Conrad et Jean-Yves Ferri
Événement éditorial, culturel et médiatique incontestable, la parution d’une nouvelle aventure d’Astérix demeure toujours hors-norme. Qu’on en juge, avec une sortie mondiale quasi-simultanée en 25 langues dans 15 pays, et un tirage de 5 millions d’exemplaires (2 pour la France), néanmoins inférieur aux tirages des albums précédents en 2001 et 2005 (3 millions d’ex. pour la France) ! Les éditions Albert René (créés en 1979 par Uderzo deux ans après la disparition de son éternel complice Goscinny), désormais placées depuis fin 2008 dans le giron d’Hachette, auront surtout savamment aiguillé un teasing dévoilant peu à peu les principaux éléments du prochain opus : ainsi apprenions-nous en mars 2013 le titre « Astérix chez les Pictes » et la programmation de la date de sortie, lors du Salon International du Livre pour la jeunesse de Bologne. Dans les semaines suivantes furent dévoilés ou commentés quelques rares extraits ainsi que la genèse complexe de ce voyage vers l’ancienne Écosse ; ceci dans la mesure où l’habile Didier Conrad fut contraint de reprendre dans l’urgence (6 mois de réalisation) et sous la supervision d’Uderzo un travail graphique complexe, qui aura fait craquer avant lui l’encreur Frédéric Mébarki. Enfin, c’est le 03 octobre 2013, lors d’une conférence parisienne à la Fnac des Ternes, que fut dévoilée la couverture finalisée, sur laquelle nous revenons longuement au fil de cet article…
Outre une série de six articles écrits par Frédéric Potet pour Le Monde à partir du 08 août 2013 (sous le titre générique « Les coulisses du prochain Astérix ») et une première interview des nouveaux repreneurs de la saga (diffusée en septembre dans le n° 63 du magazine Casemate), le premier lien officiel en rapport avec la couverture d’ « Astérix chez les Pictes » fut l’ouverture d’un concours… pour imaginer soi-même le 1er plat du futur album (le règlement de ce concours est toujours consultable sur http://asterix35.com/concours-couverture.pdf) ! En parallèle, plusieurs visuels incomplets apparurent : le premier à surgir (dès mars 2013) fut un dessin en négatif montrant Obélix porteur d’un intrigant menhir sur lequel se détachait la silhouette d’un guerrier Picte inconnu, souligné par une point d’interrogation. Tout au plus annonçait-on alors qu’Astérix et Obélix allaient se confronter à « un pays riche de traditions, une identité forte, un pays dont l’Histoire passionne, un pays de légendes et de mystères… Un pays qui faisait partie du monde antique connu ». Ce communiqué de presse laconique sera ultérieurement complété, sur le site officiel (cf http://asterix35.com/album.html) dédié au nouvel album par un paragraphe plus précis :
« Les Pictes ? Oui, les Pictes ! Ces peuples de l’ancienne Écosse, redoutables guerriers aux multiples clans, dont le nom, donné par les Romains, signifie littéralement « les hommes peints ». Astérix chez les Pictes, c’est donc un voyage épique vers une contrée riche de traditions, et la découverte d’un peuple dont les différences culturelles se traduiront en gags et jeux de mots mémorables. Sur les forums de lecteurs, les paris sont ouverts et les discussions impatientes s’enchaînent… Du whisky ? Des lancers de troncs ? Des cornemuses ? Des noms en Mac ? Les origines du mur d’Hadrien et du monstre du Loch Ness enfin dévoilées ? Et même, qui sait, des Gaulois en kilts… Le suspense est entier ! »
Car, l’indispensable quota de batailles contre les Romains, de sabordages de pirates et de barde empêchés de chanter mis à part, le scénario (signé par Jean-Yves Ferri) de ce nouvel album est resté top-secret jusqu’au jour J de sa parution : tout au plus savons nous que l’histoire débute dans le village gaulois, sous la neige, alors que nos héros découvrent en bord de mer un homme congelé dans un iceberg… mais encore vivant ! En ramenant ce guerrier Picte nommé Mac Oloch dans son pays écossais, divisé entre les Mac Rampe et les Mac Reese (sic !), Astérix et Obélix vont avoir fort à faire pour libérer sa fiancée Camomillia des mains de l’affreux Mac Abbeh.
S’ajouta ensuite à ce premier visuel, début juillet 2013, une illustration non définitive de couverture, appuyée sur un dessin humoristique de Conrad et destinée à amorcer la prévente de l’album dans toutes les enseignes culturelles (dont la Fnac et Amazon…). Il faut bien le dire, cette couverture provisoire n’incitait pas vraiment les fans de la première heure à se ruer sur l’album. Les lecteurs attendaient autre chose qu’Astérix en train de rigoler à la vue d’Obélix en kilt, le dessin encore un peu malhabile laissant par ailleurs espérer une future illustration plus travaillée. Notons néanmoins que ce premier visuel ne sera pas totalement abandonné lors de l’inévitable merchandising annexe à la parution officielle, dans la mesure où il sera par exemple repris de manière publicitaire par Monnaie de Paris pour l’édition d’un luxueux coffret, limité et numéroté à 1000 exemplaires, et vendu 250 euros. Le visuel final montre cependant une couverture inédite, différente de la version classique (il s’agit d’une case de la planche 3).
Selon Didier Conrad, c’est finalement après six versions successives que le visuel définitif d’ « Astérix chez les Pictes » trouva son accomplissement, avec un dessin à quatre mains puisqu’Albert Uderzo, âgé de 85 ans et handicapé depuis 2001 par des problèmes d’articulations aux mains qui ne lui permettent plus d’encrer, se chargea néanmoins seul du crayonné du personnage d’Obélix. Comme un symbole significatif de ce passage de relais historique dans le panorama de la bande dessinée franco-belge, le signature mythique d’Albert Uderzo figure en bonne place (peut-être pour une ultime fois) en bas du visuel, aux cotés de celle de Didier Conrad… La couverture définitive nous montre donc Obélix en train de se livrer à l’un des jeux traditionnels écossais (le Caber, spectaculaire lancer d’un tronc de plus de cinq mètres), tandis qu’Astérix adresse un clin d’œil complice aux lecteurs, comme pour signifier que l’esprit bon enfant de la bande dessinée – cher à Goscinny et Uderzo – est de retour…
Cette couverture finalisée est l’aboutissement d’un long processus de maturation : Uderzo avait au préalable réalisé (crayonné) une version plus complète montrant Astérix tentant de dissuader Obélix de jeter un tronc. Ce projet fut abandonné en partie car jugé trop proche du visuel du « Combat des chefs ». Ne fut donc conservée que la gestuelle d’Obélix.
Comme on s’en rendra compte, une couverture d’Astérix est un véritable exercice de style en soi, qui aura généré ses propres codes au fil des années. Celle-ci reprend clairement quelques éléments de deux visuels célèbres, en les mélangeant habilement : « Astérix chez les Bretons » (1966) et « Le Cadeau de César » (1974). De fait, comme avec les Bretons on retrouvera ici nos héros face aux locaux, mais dans une situation inversée (fuite dans le premier cas, participation aux coutumes dans le second ; colère et amitié). De nombreux détails sont similaires : présence d’un « sport national », de témoins spectateurs à l’arrière-plan, d’une surface herbeuse coupée par une ligne droite et même d’un madrier dans le coin supérieur droit. Ces analogies sont conjuguées et mixées avec des influences issues du visuel du « Cadeau de César », dont les plus notables demeurent la position et la gestuelle d’Astérix, devenu le complice omniscient du lecteur. Présenté de dos et très actif, Obélix produit un effet d’entraînement du lecteur-spectateur, littéralement projeté au sein de cette nouvelle aventure.
Également présent sur le 1er plat de l’album en version luxe (soit une édition, en grand format (26 x 36,5 cm) de 128 pages, avec dos carré toilé comprenant l’album en couleur, l’intégrale des crayonnés originaux, et un dossier de 33 pages proposant de nombreux dessins et documents de travail inédits), cet ultime visuel est encore agrémenté de détails folkloriques divers qu’il convient de préciser. Ainsi observerons-nous en priorité le titre, dont la typographie aura été réajustée entre mars et octobre 2013 après divers essais (texture bois, tartan, écriture runique, etc.), afin de connoter à la fois l’écriture oghamique (écriture alphabétique composée de vingt lettres, qui était en usage dans les îles Britanniques) et les tatouages coutumiers des Pictes, qui s’ornaient le corps pour effrayer leurs ennemis. Représentés par Conrad aux couleurs (verte et roux) de l’Irlande et de l’Écosse actuelles, les Pictes (habillés de kilt en tartan (étoffe de laine à carreaux)) nous sont historiquement connus depuis le VIème siècle par des annales irlandaises (celles de Bède le Vénérable) ou des hagiographies. Il est probable que l’originaire des Pictes soit picto-charentaise : il s’agissait d’une peuplade celte appartenant à la grande Confédération Celtique, qui regroupait tous les peuples de la Seine à la Garonne, leur place-forte (oppidum) principale étant Poitiers (Lemonum ou Limonum). Comme tant d’autres peuples, les Pictons furent partagés entre le soutien à Jules César et celui à Vercingétorix. Après le 1er siècle de notre ère et la romanisation de la Gaule, les guerriers et les cavaliers Pictes seront intégrés aux légions impériales mais, leur ancienne puissance ayant disparu, certains commencèrent à migrer vers des terres plus lointaines. D’après les écrits et les textes mythologiques irlandais du Haut Moyen Âge, les Pictes se scindèrent peu à peu en deux groupes, l’un s’installant entre la Loire et la Gironde, l’autre continuant sa route vers l’Irlande puis l’Écosse…
En arrière-plan d’ « Astérix chez les Pictes » on peut admirer une faune (moutons et Macareux moines) et un paysage relativement typique des Highlands, puisque constitué d’une lande couverte d’herbes, de bruyères ou de fougères, et parsemée de rochers énormes et de lacs (lochs) aux eaux très claires. Non loin d’un village lacustre, Astérix est assis sur un rocher où sont représentés des dessins géométriques et figuratifs sacrés (cercles et serpent de mer ?) qui viennent compléter les écritures oghamiques déjà mentionnées. Ces deux symboles ne sont pas choisis au hasard, dans la mesure où ils sont archétypaux des coutumes celtiques, tour à tour animistes et polythéistes. Le cercle (rond, spirale, entrelac ou triskèle), symboliquement, demeure comme le motif de la perfection et de la maîtrise du chaos : pourra précisément y être enfermé le serpent, éternel artefact médiéval du mal et de la crainte des envahisseurs venus du Nord. Ce « Crom Cruach », ou Serpent Cornu, est une entité de la mythologie celtique (plutôt irlandaise) : longtemps adoré sous forme d’idole dorée païenne entouré de douze pierres, et réputé pour ses sacrifices humains, il sera finalement vaincu par un certain Saint Patrick, du nom de l’évêque qui arriva sur ces terres sauvages vers l’an 430, lors de la 19ème année de règne du premier roi… Picte.
Les lecteurs nous pardonneront aisément ces longues explications historiques qui complètent notre analyse de la présente couverture : inscrite entre tradition et modernité de la saga, elle n’oublie pas d’illustrer physiquement l’un des nouveaux protagonistes pictes, prénommé Mac Oloch et très fortement inspiré d’une première collaboration du tandem Uderzo-Goscinny en 1951, le Peau-rouge Oumpah-Pah. Gageons qu’à l’instar des divers voyages proposés par l’illustre tandem – Astérix en Hispanie, en Corse, chez les Belges ou chez Rahàzade, pour ne citer que ceux là… – cette nouvelle aventure devrait essentiellement constituer un belle leçon de tolérance, d’humour et d’amitié, et c’est bien là l’essentiel.
Philippe TOMBLAINE
« Astérix T35 : Astérix chez les Pictes » par Didier Conrad et Jean-Yves Ferri
Éditions Albert René (9, 90 €) – ISBN : 978-2864972662
Version luxe (35,00 €) – ISBN : 978-2864972686
Bravo pour cet article détaillé.
Je viens de lire cet album et je tire mon chapeau à Ferri et à Conrad! Comme du temps de Uderzo-Goscinny la lecture de cette nouvelle aventure nous plonge dans un ravissement et une joie intérieure profonde.
Tant par la qualité du dessin (ok ce n’est pas la virtuosité des grandes années « Uderzoesques ») mais songez au peu de temps dont disposait Conrad , je ne parle même pas de la pression, ah ben si tiens je viens d’en parler(!) que ce dessinateur de talent a du subir et le pari est relevé haut les crayons, tant également par les dialogues réjouissants et brillants de Ferri (mais venant de l’auteur de « retour à la terre » et de » De Gaulle à la plage » notamment, on est pas surpris par le talent du lascar!) cet album fera date.
Du coup, c’est à la fois un voyage dans le temps où l’on retrouve l’empreinte de la puissance créatrice des anciens auteurs tout en dégustant une merveilleuse madeleine chère à Marcel, et c’est aussi un formidable appel d’air pour le futur de la bande dessinée et une très agréable confirmation que les héros sont immortels quand on les saupoudre de talents!
Pas de ravissement ou de joie intérieure profonde dans mon cas. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans cet album, dont la lecture n’est cependant guère affligeante. Cela a un petit goût d’ersatz…. Les auteurs se sont appliqués, mais n’arrivent pas à restituer la saveur de l’original…les cases sont oubliées aussi vite qu’elles sont regardées, aucun dialogue percutant. Cela sera sans doute une réussite commerciale, mis quid de l’intérêt artistique?
Il suffit de relire « Les lauriers de Cesar » pour se rendre compte qu’ UDERZO était un monstre du dessin, donc je trouve que Conrad a trouvé un bon compromis dans son dessin. Cela ressemble a du Asterix tout en étant très sobre au niveau des décors par exemple. Mais l’ensemble est convaincant, on ne peut pas dire qu’il n’a pas tout fait pour ne pas décevoir les lecteurs.
Le scénario est agréable, sans surprise.
L’ensemble est donc un bon point de départ rassurant après l’épisode catastrophique d’UDERZO. Les ventes prouvent que le public est prêt à adhérer à la nouvelle équipe.