Le 3 décembre dernier à Strasbourg, le Conseil de l’Union européenne a approuvé le déclassement du loup dans l’échelle des espèces animales à protéger. Il est ainsi passé d’espèce « strictement protégée » à « protégée », ce qui a pour conséquence de faciliter son abattage. La raison invoquée pour cette modification est une mesure de protection du bétail face à une augmentation de la population lupine. Invité sur le plateau de Millevaches durant une année, le dessinateur Troubs s’est penché sur la question de la cohabitation entre le loup et l’homme… et rend compte de ce travail.
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Les éditions Quadrants viennent de publier « Les Escales d’un corsaire » de Patrice Pellerin, un très beau livre sur les principaux thèmes et la méthode de travail utilisée par cet auteur minutieux sur sa série à succès « L’Épervier » : reprise réactualisée et remaquettée des six numéros des « Rendez-vous de L’Épervier », fascicules brochés parus entre 2009 et 2012, dont les textes avaient été rédigés par Patrice Pellerin lui-même, avec la complicité de son éditrice Corinne Bertrand et la participation de spécialistes du sujet comme Alain Boulaire et Guillaume Lécuillier. C’est l’occasion de revenir sur le parcours de cet impressionnant dessinateur réaliste, en ressortant de nos archives une interview réalisée par nos soins au festival « Quai des Bulles » de Saint-Malo et publiée uniquement dans le quotidien régional L’Écho du Centre, de juin à juillet 2001.
Avant de devenir auteur de bandes dessinées sur les pirates, corsaires et autres flibustiers, entre autres des fameux « Barbe-Rouge » et « L’Épervier », Patrice Pellerin, né à Brest le 2 novembre 1955, était surtout connu comme illustrateur : « Pendant quatre ans, j’ai exclusivement pratiqué l’illustration. Pour moi, c’était un moyen d’avoir des livres publiés plus rapidement et cela me permettait surtout de tester différents styles. C’est d’ailleurs l’un des problèmes de la bande dessinée : quand on commence avec un graphisme, il faut s’y tenir pendant tout un album et cela prend un ou deux ans de travail ; alors qu’un livre illustré ne nécessite qu’une dizaine de dessins et, en un mois, c’est bouclé. On passe alors à autre chose, on change de genre : j’ai donc beaucoup appris en pratiquant ainsi. »
Rêvant de devenir peintre classique, ce jeune homme qui a parcouru la France pendant son enfance, en accompagnant son père fonctionnaire jusqu’à Madagascar pour un séjour de trois ans, entre aux Arts appliqués de Reims, en 1973, en section « dessin animé et bande dessinée » dont il sera le seul élève. Trois ans plus tard, alors qu’il a déménagé en Bretagne, il rencontre Claude Gendrot qui assurait alors le poste de rédacteur en chef du journal Pif Gadget. Ce dernier lui propose de faire un essai sur un scénario de Patrick Cothias : l’histoire d’une femme masquée au temps des croisades. Si le projet n’aboutit pas sous le crayon de Patrice, il s’est concrétisé, en juin 1980 sous celui d’André Juillard, en devenant les aventures d’Ariane de Troïl dans « Masque rouge » (puis dans « Les Sept vies de l’Épervier » et « Plume aux vents »).
En fait, Patrice Pellerin ne débute professionnellement qu’en 1977.
Il travaille alors, notamment, pour les ouvrages pédagogiques à vocation historique des éditions Ouest-France (« La Normandie racontée aux enfants » de Jean Favier et « La Vendée racontée aux enfants » de Michel Hérubel en 1978, « La Bretagne racontée aux enfants » de Jean Markale en 1980…) et Hachette (« Les Élections en France » de Marie-Thérèse et Alain Lancelot en 1978, « Charlemagne » de Gaston Duchet-Suchaux en 1979, « La Vie privée des hommes à l’abri des châteaux du Moyen Âge : l’Europe des châteaux forts » de Philippe Brochard sous la direction de Régine Pernoud et « Ben-Hur » de Lewis Wallace en 1980)
ou encore, et surtout, pour les éditions Épi [qui deviendront Alsatia] et leur collection « Signe de piste » (« Les Aiglons de Montrevel » de Louis Simon et Serge Dalens en 1977, « Le Sceau du Daghestan » d’Aude Segond et « Le Buveur de vent » de Dominique Ménager en 1978, « Le Roi d’infortune » de Georges Calissane et « Le Puits d’El-Hadjar » de Dachs en 1979, « Le Roc aux éperviers » d’Éric Michel en 1980, « L’Outsider » de Bruno Saint-Hill et « Kraken ou les fils de l’océan » de Thierry Rollet en 1981) (1).
Le graphisme de Patrice était déjà très fouillé et inspiré par le style léché de Pierre Joubert, l’illustrateur attitré de cette collection de romans pour la jeunesse plébiscitée par les jeunes scouts adolescents catholiques : « C’est ma rencontre avec Pierre Joubert qui m’a donné cette passion pour l’illustration. Moi, je voulais faire de la bande dessinée et c’est lui qui m’a signalé qu’on cherchait beaucoup d’illustrateurs et qui m’a recommandé dans ce milieu. Cela m’a ouvert les yeux, car je ne connaissais qu’assez peu ce domaine. Je m’y suis très vite intéressé et je me suis spécialisé dans l’illustration de romans historiques, car c’était le genre que je préférais. »
Pour le n° 134 de Jeunes Années magazine, un opus spécial de cette revue active des Francs et Franches camarades (Francas) qui paraît en janvier 1980, Patrice Pellerin illustre aussi « Toukoune et Dijou, deux enfants du Sahel » sur des textes de Didier Berruelle ; ce qui ne l’empêchera pas de continuer de fournir des dessins pour quelques livres scolaires ou dictionnaires (notamment chez Hachette).
Justement, la première bande dessinée réalisée par Patrice Pellerin va être une série historique, à tous les points de vue : la reprise des aventures feuilletonnesques du pirate Barbe-Rouge créées par Victor Hubinon pour les dessins et Jean-Michel Charlier pour les scénarios (voir Sur la vague des vieux pirates et autres flibustiers de la bande dessinée…) : « J’avais rencontré Jean Giraud [le dessinateur du western « Blueberry », autre célèbre série scénarisée par Charlier] dans une exposition, par hasard, et je lui ai montré mes illustrations.
Il m’a dit que Charlier cherchait quelqu’un pour reprendre « Barbe-Rouge » après le décès de Jijé (qui avait succédé à Hubinon) et il a parlé de moi à ce grand raconteur d’histoires. Mes travaux ont tout de suite plu à Charlier et il m’a dit qu’il m’enverrait du scénario dans les semaines qui viennent. J’ai vraiment cru à une plaisanterie, car je connaissais sa réputation d’homme toujours en retard pour livrer ses manuscrits. Pourtant, quinze jours ou trois semaines après, j’ai reçu le scénario d’une nouvelle série. C’était d’autant plus exceptionnel que la série en cours réalisée par Jijé n’était pas terminée. D’après lui, mon style de dessin était trop différent de celui de mes prédécesseurs et il souhaitait que je développe ma propre sensibilité sur une nouvelle histoire. J’ai fait deux pages d’essai, je les lui ai montrées et il m’a juste dit : « C’est bon ! ». »
Dans un premier temps, Pellerin se contente donc d’illustrer les couvertures des albums de la série. Le scénariste lui propose alors un nouveau cycle plus réaliste, destiné aux lecteurs plus adultes que ceux de son “Démon des Caraïbes”. Et comme notre dessinateur est passionné par le Moyen Âge, Jean-Michel Charlier envisage même, en ce début des années 1980, de créer, avec lui, une nouvelle bande dessinée sur ce thème. Hélas ! Par manque de temps, ce projet finira aux oubliettes.
Le créateur scénaristique de la série a donc très vite été d’accord pour que Patrice travaille graphiquement sur « Barbe-Rouge » et deux premières planches ont été prépubliées dans le n° 0 d’une revue provisoirement intitulée Extra, imprimée en novembre 1982 : un support de bandes dessinées hebdomadaire pour les jeunes qui, hélas, restera à ce stade, alors qu’il devait être sponsorisé par des marques publicitaires et distribué gratuitement dans les grandes surfaces.
Outre les nouvelles versions de « Barbe-Rouge » ou de « Buck Danny » et un nouvel épisode de « Blueberry », des séries inédites de Jean Roba, Jean Tabary, Martial, Jean Chakir, Hervé Lacoste, Moebius, André Chéret ou Raymond Reding devaient y figurer : une tentative avortée, tuée dans l’œuf, qui laissera bien des regrets à tous les amateurs…
Or, même si une page parodique intitulée « La Fille du pirate », publiée dans le n° 2246 de l’hebdomadaire Spirou daté du 30 avril 1981, permet de faire découvrir le talent de Patrice Pellerin en tant qu’auteur de bandes dessinées et de patienter un peu, il a quand même fallu attendre 1983 pour que l’album « Trafiquants de bois d’ébène » sorte, enfin, chez l’éditeur belge Novedi :
« J’ai mis quatre ans et demi pour réaliser le premier tome, car Jean-Michel Charlier m’envoyait son scénario au compte-gouttes. Cela m’arrangeait bien, car cela me permettait de trouver la documentation au fur et à mesure : je n’étais alors absolument pas documenté sur le XVIIIe siècle et sur les bateaux à dessiner. Cela m’a aussi permis de continuer mes travaux d’illustrations, de faire mes propres couleurs, de dépanner Jean-Charles Kraehn pour deux pages de « 2 000 ans d’histoire de l’Oise » chez ID Program en 1982
ou de dessiner un récit complet pour le bimensuel Okapi des éditions Bayard [« La Première Femme médecin », six planches scénarisées par Jacques Josselin et publiées dans le n° 308 du 15 septembre 1984]
et même d’entamer une nouvelle série comme scénariste : « Les Aigles décapitées » avec l’ami Kraehn. »
Quant au deuxième et dernier volume de cette série que va dessiner Patrice Pellerin, « Les Révoltés de la Jamaïque » (prépublié quand même en Belgique dans le supplément Moustique junior de l’hebdomadaire de télévision Le Moustique des éditions Dupuis, du n° 1 au n° 22 et dans les n° 43 et 46 entre 1987 et 1988), les lecteurs ont du patienter quatre ans de mieux, toujours pour la même raison : « J’avais un peu laissé tomber l’illustration, car la bande dessinée me plaisait plus et me laissait plus de liberté :
j’avais donc plus de temps de libre et j’ai eu envie de créer une série de science-fiction et d’heroic-fantasy car c’est un domaine que j’ai toujours aimé. À l’époque, il n’y avait que « Valérian », c’était bien avant la prolifération de la vague actuelle. J’ai donc commencé cette bande dessinée que j’avais intitulée « La Planète perdue », tout en sachant que le contrat que j’avais signé avec l’éditeur stipulait bien que « Barbe-Rouge » était prioritaire. Donc, dès que j’avais des scénarios de Charlier, je devais m’y atteler. »
Notre interviewé était aussi un grand lecteur de romans abordant ce genre de littérature ; grand admirateur de l’illustrateur et peintre américain Frank Frazetta, il avait d’ailleurs mis en images quatre épopées du « Elric le Nécromancien » de Michael Moorcock, traduites aux éditions Temps futurs, entre 1981 et 1982 : « À la mort de Jean-Michel Charlier, il s’est trouvé que j’étais un peu bloqué sur la narration de mon histoire de science-fiction et que sa femme Christine et son fils Philippe m’ont proposé la reprise de « Barbe-Rouge » à mon compte, en tant qu’auteur complet. J’ai donc commencé à écrire un scénario pour ce vieux pirate (une dizaine de pages), mais j’ai vite laissé tomber suite à toutes les histoires qui se greffaient autour de l’héritage Charlier. Ceci dit, j’avais vraiment pris goût à cette période et ma documentation sur ce XVIIIe siècle était désormais bien fournie. Alors, je me suis dit que j’allais faire une série apparentée et j’ai transformé le scénario de « Barbe-Rouge » pour réaliser « L’Épervier ». Cela explique les nombreux points communs entre les divers personnages. » (2)
La mer a toujours attiré Patrice Pellerin qui situe la plupart de ses histoires en bandes dessinées dans cet univers. Il a pourtant quitté quelque temps sa Bretagne natale, mais aujourd’hui il y est revenu : « Je suis né en Bretagne, mais j’y ai très peu vécu. J’ai habité une vingtaine de villes différentes, et même en Afrique ! En fait, le bord de mer est l’endroit qui me fait rêver et fait rêver tout le monde. Pour moi, cela vient de mes lectures d’enfance : « L’Île au trésor », « Moonfleet », des films de pirates avec Errol Flynn, etc. En fait, quand j’ai rencontré Charlier pour la première fois, on avait parlé de nos goûts, comme ça, à bâtons rompus. Nous avons vite trouvé des terrains communs. Donc, pour « Barbe-Rouge », nous avions la même vision dès le départ. »
Au fil des années, Patrice Pellerin a quand même épuré son style réaliste afin d’être plus lisible et plus efficace : « Cela a commencé quand j’ai réalisé mes couleurs moi-même. Alors que je n’étais encore qu’un illustrateur, j’avais réalisé un album sur les châteaux forts dans un style ligne claire [« La Vie privée des hommes à l’abri des châteaux du Moyen Âge »]. Je me suis rendu compte que cela permettait de mieux montrer les détails et d’être très lisible.
Je suis revenu à « Barbe-Rouge » avec un style plus noir au pinceau (très influencé par Jean Giraud et Frank Frazetta) parce que c’était ce que voulait Charlier. Sur le deuxième album, j’ai fait mes propres couleurs et je me suis aperçu qu’il y avait souvent redondance : le fait de mettre des hachures pour marquer une ombre, par exemple, alors que l’on peut faire un modelé à la couleur.
Aussi, quand j’ai été seul à bord sur ma série, j’ai allégé le graphique en travaillant la couleur. Cela donne une plus grande lisibilité au dessin et, si l’on veut avoir de belles couleurs, il faut que le dessin soit assez clair. Ce qui ne n’empêche pas, comme j’aime aussi le noir, d’en mettre dans les scènes de nuit.
Plus le temps passe et plus la couleur prend de l’importance dans mon travail. J’ai, par exemple, arrêté de dessiner des petits nuages avec des petits traits : je les fais directement en couleurs. Cela donne de la profondeur de champ et un côté plus réaliste. Cela permet aussi d’avoir un dessin très précis, très détaillé, et de créer, en même temps, les ombres et l’ambiance avec la couleur. »
Gilles RATIER
(1) Plus tard, Patrice Pellerin illustrera aussi « La Vie privée des hommes présente : coloriages, à partir de 6 ans » chez Hachette jeunesse en 1985, « Une histoire de la Normandie » de Jean Favier chez Ouest-France en 1986, « Les Francs » de Patrick Périn et Laure-Charlotte Feffer chez Armand Colin en 1987, « Une habitation en Guyane au XVIIIe siècle » de Yannick Le Roux pour l’Inspection académique de la Guyane, Cellule d’action culturelle du Ministère de la Culture en 1991, « La Fabuleuse Épopée de l’Afrique française » d’Henri Servien chez ELOR en 1991, « Esomeric » d’Anne Guilhomon-Lamaze pour l’Inspection académique de la Guyane en 1994, « Une histoire de la Bretagne » de Jean Markale chez Ouest-France en 1994, « Saint Rémi : au commencement chrétien de la France » de Rémi Fontaine chez ELOR en 1995, « Le Moyen Âge » de Pierre Baldurinos chez Hachette jeunesse en 1996, « L’Imaginaire celtique » de Michel Treguer, Yann Brekilien et Dominique Besançon chez Mira en 1999 et « Le Taureau : forteresse Vauban, baie de Morlaix » de Guillaume Lécuillier chez Skol Vreizh en 2005.
(2) En 1988, à la demande de Mourad Boudjellal, Patrice Pellerin réalisera néanmoins deux pages parodiques de « Barbe-Rouge » pour l’album collectif « Parodies… par leurs vrais auteurs ! » tome 2, chez MC Productions (futures éditions Soleil).