Disparu il y a déjà sept ans, René Pétillon — bien connu pour ses dessins d’humour dans Le Canard enchaîné, mais aussi pour son inénarrable détective Jack Palmer dont l’enquête corse a notamment fait parler de lui, car adaptée au cinéma — (1) avait travaillé, depuis 2008, sur ce scénario quasiment achevé. Bien qu’il en ait également assuré partiellement le découpage et les crayonnés (donc, il ne restait pratiquement plus qu’à dessiner l’album), il avait abandonné cet ultime projet pour différentes raisons, dont la nécessité d’honorer d’autres entreprises en cours. C’est le célèbre Manu Larcenet (2), récemment auréolé de son adaptation de « La Route », qui a été approché pour s’approprier l’histoire, la terminer et la mettre en images : un très bon choix !
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En juillet 1629, le Batavia, un trois-mâts de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, s’échoue sur l’une des îles Albrolhos de Houtman, au large de l’Australie.
Jeronimus, apothicaire peureux et faible qui avait embarqué à bord pour suivre la longue route des épices d’Amsterdam à l’île de Java, va curieusement exercer un étrange pouvoir sur les survivants : cet homme qui a fui son passé et ses responsabilités familiales (il a abandonné épouse et amis à la suite du décès de son fils étrangement atteint par la syphilis, peu après sa naissance) va même se métamorphoser en un véritable monstre : obligeant les femmes à se prostituer et massacrant tous ceux qui vont s’opposer à son bon vouloir, qu’ils soient hommes, femmes, enfants ou même nourrissons…
En croisant les approches historiques et philosophiques qui se sont fait jour sur cette histoire de naufrage, laquelle a suscité un modèle original mais horrifiant de microsociété totalitaire, Christophe Dabitch nous confirme, avec ce final terrifiant, son sens du récit dramatique, autant sur le plan historique que psychologique ; voir aussi, dans un autre genre, son superbe, mais hélas un peu trop passé inaperçu, « Mauvais garçons » (en deux tomes) avec Benjamin Flao, toujours chez Futuropolis : www.bdzoom.com/article4018.
Par l’intermédiaire d’une narration très lente, le scénariste nous permet de prendre notre temps pour que l’on puisse admirer les planches, superbement colorisées, de Jean-Denis Pendanx. La technique exigeante et minutieuse(1) de ce dernier reconstituant finement les décors et les costumes d’époque : chaque dessin tirant vers la peinture et rendant hommage aux maîtres flamands du XVIIème siècle.
Certains, aujourd’hui, déclarent, sans ambages, que la bande dessinée n’a plus besoin d’être essentiellement graphique… Peut-être, mais quand on voit le plaisir que l’on peut avoir à contempler le travail réalisé, à tous les niveaux (des vignettes parfaitement composées aux planches subtilement mises en pages), par cet immense talent pictural, on se dit que cela aurait été vraiment dommage de passer à côté de ça ! Non ?
Gilles RATIER
? Jeronimus ? T3 (« L’Île ») par Jean-Denis Pendanx et Christophe Dabitch
Éditions Futuropolis (17 Euros)
(1) Ne se permettant aucun raccourci et restant fidèle aux méthodes traditionnelles, Jean-Denis Pendanx réalise d’abord un premier crayonné soigné qui lui permet de mettre en place les bases de son découpage. Ensuite, il réalise un dessin au feutre, puis, par un jeu de calque, il le transpose sur des feuilles à dessin classiques, avant de passer à la mise en couleurs avec de la peinture acrylique.