Yannick Corboz (1), déjà remarqué pour ses « Célestin Gobe-la-Lune » et « L’Assassin qu’elle mérite » avec Wilfrid Lupano, sa version BD des polars à succès de Pierre Lemaître (« Brigade Verhoeven ») avec Pascal Berho ou son diptyque « Les Rivières du passé » avec Stephen Desberg, s’est attaqué à la mise en cases du roman sombre, fantasque, historique et romantique du célèbre avocat Richard Malka : « Le Voleur d’amour », sorte de retranscription du mythe de Dracula et de la jeunesse éternelle, publié chez Grasset en 2021. Le résultat, qui privilégie le narratif sur le plan des textes, est graphiquement lumineux et éblouissant…
Lire la suite...« Choc T1 : Les Fantômes de Knightgrave, 1ère partie » par Éric Maltaite et Stephen Colman
Insaisissable adversaire du duo Tif et Tondu, l’énigmatique Monsieur Choc était apparu initialement sous la plume de Maurice Rosy et le crayon de Willy Maltaite (dit Will) en 1955, lors de la prépublication dans le journal Spirou de « Tif et Tondu contre la Main blanche ». En avril 2014, voici ce légendaire personnage ressuscité par Stephen Colman et Éric Maltaite (le fils de Will), au sein d’un long premier album de 90 pages s’intéressant aux origines perturbées de ce génie du mal : dans le manoir londonien de Knightgrave, les fantômes issus de ce lourd passé vont ressurgir de manière assassine…
Inspiré par « Fantômas » (Souvestre et Allain, 1910), Choc préfigure dans les années 1950 ces grandes incarnations mégalomanes du mal que le cinéma mettra en scène dans la décennie suivante, notamment au travers de la saga des « James Bond » (initiée dès 1962 avec « contre Dr. No »). Le maître de la Main blanche incarne une certaine élégance glaçante : silhouette élancée perpétuellement habillée en smoking dont la veste spencer se ferme sur un plastron boutonné, nœud papillon et porte-cigarettes, l’homme est en outre coiffé d’un heaume médiéval qui camoufle sa véritable identité, personnifiant dans l’esprit de Rosy un véritable « chevalier du mal ». Plus sombre et revanchard que jamais, le retour de Choc prépare véritablement les lecteurs… « à un choc », comme l’annonçait déjà cyniquement le visuel imaginé le 20 novembre 2013 pour la prépublication des « Fantômes de Knightgrave » dans Spirou n° 3945.
Ambiances glauques et nombreux cadavres parsèmeront donc ce premier épisode réservé aux lecteurs avertis : en couverture, présenté de manière frontale, le buste de M. Choc vient remplir tout l’espace. Ses traits, imperceptibles mais renforcés par la tonalité rougeoyante de l’ensemble (les couleurs blanches, noires et rouges renvoyant aux codes du récit policier), ainsi que par la fumée s’élevant sur le côté droit (on aura deviné le porte-cigarette, dans le hors-champ bas), suggèrent autant la monstruosité que le caractère inconnu du personnage. À l’arrière-plan, la grandiose présence architecturale du manoir suggèrera à son tour la puissance et la richesse du maître des lieux, mais aussi une histoire plus lointaine et complexe, dont la mort n’est pas exclue. On pourra ainsi et notamment associer mentalement le curieux heaume de Choc à cette « tombe du chevalier » indiquée par le toponyme « Knightgrave ». Enfin, retour aux sources oblige, la version du heaume ici dessinée est bien la toute première (version avec des fentes verticales) jamais représentée par Will dans les tomes 4 et 5 (« Tif et Tondu contre la Main blanche » en 1956 et « Le Retour de Choc » en 1957 ; scénarios par Rosy) de la série publiée chez Dupuis. À partir du tome 5, Choc n’arborera plus qu’un heaume pourvu dans sa partie inférieure de cinq fentes disposées en biais, de chaque côté d’une mentonnière devenue plus proéminente.
Notons que le crayonné de couverture ici présenté correspond à la toute première mouture de la couverture actuelle, élaborée à partir d’un projet initial de Colman puis exécutée sur papier par Maltaite. Lequel passera directement dans un second temps à une version 100 % digitale, y compris pour l’encrage de la couverture. Un visuel en apparence simpliste mais relativement efficace puisque se devant de présenter cet intrigant personnage à des générations de jeunes lecteurs qui le méconnaissent. Nul doute que beaucoup ne se remettent pas du choc de cette passionnante relecture !
Concluons sur ces mots chaleureux de Rosy, disparu le 23 février 2013 mais qui aura pu découvrir avec enthousiasme le travail de ses successeurs : dans Spirou n° 3945, Stéphan Colman raconte ainsi :
« J’ai été incroyablement surpris par sa réaction ultra-positive ! Il était transporté de joie ! Il m’a avoué que, s’il n’avait pas été tributaire des contraintes que subissait la bande dessinée pour la jeunesse dans les années 1950, il aurait donné lui-même à Choc cet aspect sombre qui est au cœur de mon projet. Il m’a même dit : « Il y a longtemps, j’avais écrit une lettre dans laquelle je révélais qui était Choc. Mais je vais déchirer cette lettre, car je trouve votre développement bien plus intéressant que ce que j’avais imaginé ! » Ma seule petite frustration fut de ne jamais connaître la version de Rosy, puisqu’il m’a dit : « Ah ça, Monsieur Colman, je ne vous la livrerai pas, puisque désormais, c’est votre version qui prime ! A vous de jouer, maintenant ! ».
Concernant Rosy, on relira le « Coin du Patrimoine » dédié, signé par Gilles Ratier en 2009 :
http://bdzoom.com/5866/patrimoine/le-coin-du-patrimoine-bd-maurice-rosy/
On pourra aussi redécouvrir en kiosque l’intégralité de la collection « Tif et Tondu », rééditée depuis février 2014 par Hachette :
http://bdzoom.com/71786/actualites/%C2%AB-tif-et-tondu-%C2%BB-en-collection/
Philippe TOMBLAINE
« Choc T1 : Les Fantômes de Knightgrave, 1ère partie » par Éric Maltaite et Stephen Colman
Éditions Dupuis (16, 50 €) – ISBN : 978-2800157573
J’ai pu lire cette histoire en prépublication dans Spirou, à l’époque (pas si ancienne), les couleurs étaient trop sombres. Ont elles été arrangées pour l’album?
Sinon, je dirai que la séquence à l’aéroport m’a rappelé l’ambiance des films récents de Batman, par son ambiance de confusion, d’infiltration et d’explosions. Bien cordialement. François Pincemi
Stephen Colman a expliqué en novembre 2013 que le souci de couleurs constaté dans la prépublication provenait d’un problème technique, qui sera effectivement résolu pour la parution en album.
Pour avoir testé et visualisé cet article sur deux ordinateurs et un écran de smartphone, je n’ai pas vu de soucis concernant le 1er visuel… Cette couverture originale de Will figurait parmi les prestigieuses ventes récentes (05 avril), chez Christie’s.
L’illustration « Couverture originale par Will » apparait en négatif (trait blanc sur fiond noir) sur mon écran d’ordinateur. Est ce normal?