Buck Danny, Jerry Tumbler et Sonny Tuckson forment un trio inséparable depuis bientôt 80 ans. Après que la plume de Yann nous a fait découvrir les débuts du jeune Buck Danny, c’est au tour de Frédéric Zumbiehl et Patrice Buendia de nous évoquer les jeunes années de Sonny Tuckson. Une histoire pleine d’émotion, non dénuée d’humour et au délicieux parfum fleurant les années 1950, illustrée par le crayon respectueux de l’Italien Giuseppe De Luca. Nostalgie, quand tu nous tiens !
Lire la suite...Entretien avec Denis Vierge, l’auteur d’« Un Marron T1 : Caf’La Bou »…
Le 10 mai est, depuis 2006, la « Journée commémorative du souvenir de l’esclavage et de son abolition ». Cet entretien avec Denis Vierge qui, par le biais de sa bande dessinée « Caf’la bou », traite d’un aspect méconnu de l’esclavage (le marronnage) tombe donc à point nommé…
Cet album débute par l’évasion d’un esclave sur l’Île Bourbon en 1793. Un avis d’« Effets perdus » nous apprend que l’évadé, un beau noir malgache prénommé Ulysse, est la propriété de Mr Destroudeau de Beaumorne. Ulysse est reconnaissable aux traces de fouet sur son dos et à son oreille droite manquante. Mr de Beaumorne assure une bonne récompense à qui aidera à la recherche du fugitif. Ulysse est devenu un marron, un esclave en fuite.
L’action reprend lors d’un dîner chez Mr et Mme de Beaumorne. Ils reçoivent, en compagnie de l’Abbé de la paroisse, Mr Bourreau arrivant tout juste de métropole. La discussion tourne autour de la fin des Jacobins, de l’esclavage, de son importance dans l’économie nationale, des conditions de vie des esclaves. Soudain une bande de marrons, avec Ulysse à sa tête, fait irruption et massacre tout ce petit monde. Ils incendient la propriété après avoir dérobé ce dont ils ont besoin, vêtements, nourriture, armes. Ulysse choisit comme butin une jeune esclave, Louise.Au camp des marrons au moment du partage des prises, une altercation a lieu au sujet de Louise. Ulysse, surnommé « Caf’la bou » tient à garder Louise. La rixe faisant un mort, Ulysse et Louise sont bannis du campement. Ils s’exilent dans les sommets et les cirques de l’Île Bourbon. Les débuts de la cohabitation sont plus que houleux, mais face aux chasseurs d’esclaves, aux difficiles conditions de vie et surtout la naissance d’un enfant, les relations entre les deux protagonistes finissent par s’adoucir.
De la fuite d’Ulysse à la fin de ce premier tome, six années s’écoulent. L’Île Bourbon est devenue l’Île de la Réunion pendant la fuite de Louise et Ulysse. Denis Vierge nous raconte leur quotidien à travers des moments importants de leur vie clandestine, le boucanage de la viande, la construction d’un abri, la naissance de leur fils Tsifarono, la chasse, les expéditions de marronnage… Le dessin de Denis Vierge est aussi agréable à suivre dans les salons cossus d’un planteur que dans la profondeur de la forêt tropicale, soutenu par les couleurs végétales de Jérôme Alvarez.
Denis Vierge, pour commencer cet entretien, accepteriez-vous de vous présenter ?
Maiiiiiis… avec plaisir : j’ai 43 ans, je vis à Bordeaux comme tous les dessinateurs de bande dessinée, et ma vie professionnelle est organisée alternativement entre mon métier d’enseignant d’Arts plastiques et d’écrivain de livres dessinés.
Comment avez-vous choisi de vous intéresser à l’esclavage et plus particulièrement aux marrons ?
En fait c’est d’abord l’Île de la Réunion que j’ai découverte. J’y ai écrit mon précèdent livre, « Vazahabé ! » (chez Paquet, voir « Vazahabe ! » par Denis Vierge). La nature luxuriante m’y a aussi fortement interpellée. Puis J.-L. Schneider, libraire, depuis devenu mon éditeur, m’y a réinvité à plusieurs reprises pour signer le livre.
C’est lors de ces séjours que j’ai découvert le thème du marronnage. Ce n’est pas tant l’esclavage qui m’a intéressé, que le marron. Et plus précisément, cette interrogation : quelle force avait donc la liberté pour ces esclaves, qu’elle les poussait à préférer les souffrances (le froid, la faim, la solitude…) à l’existence, malgré tout plus confortable du statut d’esclave ? En lisant, j’ai surtout découvert le mythe, car son histoire est plus difficile à trouver.
Et c’est la troisième origine de cet album : le fait que c’est une histoire effacée, détournée… Au point que ce sont désormais les archéologues qui s’intéressent à cette histoire, pourtant vieille de seulement 200 ans, afin d’en trouver des traces ! Tout a été effacé, oublié.
Cette omission n’est pas un hasard : le marron est aussi utilisé idéologiquement : voleur les poules ou résistant à un système d’oppression ? La réponse vous classe politiquement.
Ainsi quand on réhabilite en musée une ancienne habitation, on montre les salons, la cuisine et l’hôpital des esclaves. Mais où sont les cachots et les fers ? Les jougs ? Les fouets. On a la vaisselle des maîtres, mais pas les outils des esclaves… Étrange.
En plus de cet aspect historique, il y a aussi un côté aventureux ?
Ce livre à d’autres aspects, c’est aussi une robinsonnade. À l’envers, mais une robinsonnade quand même, sans vouloir dévoiler la fin du livre 2… C’est ce qui m’intéressait le plus : le rapport de l’homme et de la nature. La nature dans toute la pensée occidentale est opposée à la société humaine civilisée. La barbarie contre la civilisation, pour simplifier. Mais quand la société humaine est barbare, l’humanité peut-elle trouver refuge dans — ou se reconstruire avec — la nature ? Et puis j’avais aussi envie de dessiner des images, en référence aux gravures romantiques du XIXe siècle, qui montre justement une nature sauvage et envahissante… Bref on est à la croisée de pas mal de choses.
Que signifie « Caf’la bou » surnom donné à Ulysse ?
« Caf’la bou » en créole signifie « cafre (noir) de boue », qui est le statut le plus en bas de l’échelle sociale hiérarchique d’une habitation. Car tous les esclaves n’étaient pas égaux dans les propriétés agricoles des colonies. Le nègre de boue ou de pioche, c’est l’esclave le plus exploité, le plus maltraité, celui qui effectue les travaux de force.
A contrario, plus l’esclave est placé au contact des maîtres, plus il est haut dans la pyramide. C’est le cas de Louise, esclave de maison, créole née dans la colonie, avec du sang blanc dans les veines, qui sert le maître à table et dans son lit. Elle est dans une position très avantageuse — sa maîtresse lui donne même ses vieilles robes — elle a toutes les chances d’être affranchie à la mort du maître – elle, ou son enfant.Le parcours de Louise est aussi très intéressant, car en plus de gagner sa liberté par rapport à ses maîtres, elle doit une fois dans la forêt s’affranchir de la domination d’Ulysse ?
Tout à fait, elle a un double travail de libération à effectuer. Marx disait qu’il y a plus exploité que le prolétaire, c’est la femme du prolétaire. Malheureusement par extension il faut comprendre, que, plus maltraité que l’esclave, il y a la femme-esclave. À l’exploitation de sa force de travail, il faut ajouter l’exploitation sexuelle, violée par les maîtres ou les blancs, mais aussi par les esclaves masculins, et ce, dès le bateau qui l’amène aux colonies !
Son statut est d’autant plus délicat que la femme manque dans les colonies. Elle manque pour les blancs et les esclaves, puisque les blanches ne veulent pas venir, et les esclaves, que l’on achète d’abord pour leur force de travail, sont donc à 75 % des hommes. La femme manque. Donc elle est rare. C’est pour ça que les blancs se choisissent par dépit une compagne noire, et qu’Ulysse l’enlève, puis tue, pour la garder.
Et c’est aussi l’ambiguïté de Louise, mais ce qui me la rend attachante : cette nécessité de s’en sortir par tous les moyens qu’elle trouvera. On la croit garce autoritaire au début ou manipulatrice, mais elle joue sa survie dans un système où les hommes, quels qu’ils soient, ne lui demandent jamais son avis…
Elle me fait beaucoup penser à Jill, le personnage joué par Claudia Cardinale dans « Il était une fois dans l’Ouest ».
Vous êtes-vous beaucoup documenté ? La préface de votre album est signée d’Anne-Laure Dijoux historienne réunionnaise, vous avez travaillé ensemble ?
C’est surtout moi qui ai travaillé avec elle, avec ses travaux, et ceux de ses maîtres (Sudel Fuma, Prosper Eve…). Nous nous sommes rencontrés et elle m’a aidé en répondant avec beaucoup de gentillesse à mes questions et précisions.
J’ai lu quasiment tout ce que j’ai pu trouver sur le marronnage — heureusement il n’y avait pas grand-chose —, le thème du marronnage étant encore largement méconnu (j’ai d’ailleurs mis en ligne la bibliographie sur mon site). Mais je pense que c’est un angle d’étude de l’esclavage qui sera très présent à l’avenir et Anne-Laure Dijoux, qui est d’abord une archéologue, en fera partie.Elle participe notamment à la fouille de la « Vallée secrète » où ont été trouvées les premières traces de campement marron à la Réunion. Un véritable évènement historique et scientifique. Il faut bien comprendre qu’il n’y a quasiment rien sur les Marrons : un vague couteau, un vil outil. Nous ne savons rien sur comment ils ont vécu ni comment ils s’organisaient.Vous avez pu suivre ces fouilles, dessiner sur place ?
Non, malheureusement, le lieu s’appelle « la Vallée Secrète », et effectivement elle le reste. Il faut savoir qu’elle est très difficile d’accès – les archéologues s’y font déposer par un hélicoptère qui ne peut même pas atterrir ! — et que c’est un lieu de reproduction du fouquet, oiseau très protégé. Alors on ne m’a jamais dit où il était. Mais je ne désespère pas…
Dans l’édition Canal BD, et sur votre site, on peut voir des croquis que vous annotez « d’après Roussin », il s’agit sans doute d’Antoine Louis Roussin. Vous avez travaillé d’après ses croquis ou vous êtes allé sur les lieux qu’il avait reproduits ?
La résidence que j’ai effectuée à la Réunion m’a permis de travailler aux archives départementales et au musée de Villèle où on a mis à ma disposition des images et gravures du XIXe magnifiques. Bien sûr, je suis allé voir ensuite les lieux dessinés, puisque j’ai beaucoup marché là -bas ; mais c’est presque davantage les images qui m’intéressaient que le réel d’aujourd’hui, beaucoup plus décevant.
Le planteur, Mr Destroudeau de Beaumorne, le chef des Marrons, Saina, sont-ils des personnages historiques ?
Saina est un personnage mythique de la Réunion. C’est le nom malgache du personnage d’Anchaing, un chef marron fameux — dont un sommet porte le nom — qui est présent dans les contes et romans réunionnais. Le clin d’œil a été de lui rendre son nom malgache, c’est-à -dire de le remettre dans sa culture.
Les historiens ne savent pas ce que devenaient les marrons. Reprenaient-ils leurs traditions et croyances africaines ? Gardaient-ils la religion catholique, puisqu’ils étaient baptisés automatiquement ?
C’est une des problématiques du livre : comment se reconstruire après la déportation et la déculturation que fut l’esclavage colonial ? Et par extension comment se construit la créolité, ce métissage tous azimuts : religieux, culturel, linguistique et génétique…Pour moi cette créolité commence par le renoncement au retour. Elle débute dès que le personnage se dit je ne suis plus malgache, je ne rentrerais jamais chez moi, je n’honorerais pas ma lignée. Je suis désormais d’ici et je vais me reconstruire avec tout ce que je peux y trouver.
Mr Destroudeau de Beaumorne lui n’a pas existé. En revanche, si vous cherchez bien chez les « gros blancs » de cette époque vous trouverez un Mr Desbassayns de Richemont. Peut-être ne sont-ils pas sans rapport ?
La discussion lors du souper chez Mr Destroudeau de Beaumorne est surréaliste, il traite de l’esclavage de manière économique et « humaniste ». Avez-vous lu le « Code noir »* pour la préparation de votre diptyque ?
Non ce n’est pas surréaliste : c’est la véritable grille d’analyse pour comprendre l’esclavage occidental de l’ère moderne.
Car de quoi s’agit-il ? D’une histoire de coût du travail. Faire travailler des hommes dans des territoires éloignés, pour fabriquer des produits, mais faire en sorte que leur prix ne soit pas trop élevé ensuite pour les métropolitains. Comme ce n’est ni sur les matières premières ni sur le coût du transport qu’on peut alors jouer, on a supprimé la colonne traitements et salaires. Ce qui fait baisser les prix !
Le « Code noir » est presque l’équivalent de notre « Code du travail ». C’est cela l’esclavage.Et l’homme occidental, post-Renaissance, humaniste et chrétien a été obligé afin de rendre acceptable moralement l’esclavage des Nègres d’inventer l’idéologie de l’inégalité des races.
Il faut se remettre dans le contexte de la civilisation morale. Ce qui ouvre sur la traite négrière, c’est la controverse de Valladolid. Débutée en 1550, les grands esprits théologiens du siècle ont polémiqué afin de savoir si les Amérindiens avaient ou non une âme, et si alors on pouvait en faire des esclaves. Comme il a été décidé que non, on s’est rabattu sur les Noirs. Pour eux, il n’y a pas eu de débat.Mais les débats de l’époque sont-ils si éloignés des nôtres ?
Ce tome se termine en 1799, soit près de cinq ans après le premier décret d’abolition de l’esclavage, Ulysse et Louise ont vécu libre sans le savoir ?
Non ! Car il n’y a jamais eu de première abolition à la Réunion ni à Maurice. Les envoyés de la République n’ont même jamais mis les pieds sur la toute nouvellement nommée Réunion. Ils ont été rembarqués et réexpédiés manu militari en métropole par les colons de l’Île de France (future Île Maurice) qui ne voulaient pas en entendre parler.De même, la Réunion a attendu le 20 décembre 1848, comme date effective de l’Abolition. Le temps de négocier l’indemnisation financière des propriétaires de l’île à qui ont enlevait leurs « biens mobiliers ».
Les marrons furent-ils amnistiés après cette date ? L’histoire d’Ulysse et de sa famille se poursuivra jusque-là  ?
Oh ! La belle question piège ! Je ne pense pas qu’il y ait eu d’amnistie, il n’y avait plus d’esclave !Mais ce qui est incroyable c’est le discours de l’envoyé de la Seconde République aux anciens esclaves : « vous êtes libres, mais il n’y a pas de liberté sans responsabilités. Alors, continuez à travailler pour les propriétaires afin de ne pas ruiner l’île ! »
L’abolition a fait des anciens esclaves, des ouvriers. Or le statut de l’ouvrier au XIXe est à peine plus enviable… L’obligation d’avoir un emploi par exemple ! Un ouvrier devait se déplacer avec un passeport tamponné par son employeur. Sans cela, cheminot errant, il pouvait être arrêté par les gendarmes et emprisonné.À la Réunion, l’obligation pour les anciens esclaves de travailler chez les mêmes maîtres, avec les mêmes contremaîtres, la même organisation du travail, et ce passeport de déplacement, entraîna eu une seconde et très importante vague de marronnage. Les colons, en manque de main-d’œuvre, se mirent alors à importer des Indiens (entraînant d’ailleurs une vague de paludisme), puis des Chinois.
Mais pour que « Caf’la bou » voie 1848, il faudrait qu’il vive presque 50 ans dans les bois. Ça paraît difficile… mais vous verrez bien !
Le précédent album de Denis Vierge, « Vazahabe », fut chroniqué par Didier Quella-Guoyt (voir « Vazahabe ! » par Denis Vierge).
Vous pouvez suivre les travaux de Denis Vierge et de son coloriste Jérôme Alvarez sur leurs sites respectifs : http://denisvierge.com/ et http://www.jerome-alvarez.blogspot.fr/
« Un Marron T1 : Caf’La Bou » par Denis Vierge (couleurs Jérôme Alvarez)
Éditions Des bulles dans l’océan » (14 €) – ISBN : 978-2-919069-19-4
Le réseau de libraires « Canal BD » a réalisé une édition augmentée de croquis préparatoires
Canal BD Éditions. (17,50 €) — ISBN : 978-2-912804-68-6
*Il s’agit d’un ensemble d’articles légiférant l’esclavage. La première mouture date de 1685, elle est revue en 1724 afin d’y inclure les territoires américains appartenant à la France. Le décret abolissant l’esclavage dans les colonies françaises sera signé le 27 avril 1848.
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